Le Conseil d’Etat a rendu le 27 novembre 2019 une décision qui condamne implicitement l’obligation instaurée par de nombreuses préfectures de prise de rendez-vous par les étrangers sur internet.
La requête avait été déposée par les principales associations de défense des droits des étrangers (GISTI, Cimade, Ligue des droits de l’Homme…) contre le refus du Premier ministre de modifier le décret du 27 mai 2016 autorisant la mise en œuvre des téléservices, pour rendre facultatif et alternatif la saisine par voie électronique de l’administration par ses usagers. Cette obligation est problématique car il est en pratique matériellement impossible pour les étrangers de prendre rendez-vous sur internet. Le problème n’est pas tant les difficultés d’accès aux outils informatiques par des personnes souvent en situation précaire, que le fait que les sites internet de certaines préfectures indiquent systématiquement qu’aucun créneau n’est disponible, et ce alors que la prise de rendez-vous sur place, par courrier par email est également interdite. Malgré une connexion quotidienne, de jour comme de nuit, il est impossible de prendre un rendez-vous. Des milliers d’étrangers ont été donc contraints de renoncer à effectuer leurs démarches aux fins d’obtenir ou de renouveler leur titres de séjour. D’autres étrangers ont intenté des procédures en référé pour contraindre l’administration à leur accorder un rendez-vous sur le fondement l’article L.521-3 du Code de justice administrative (voir en ce sens Tribunal administratif de Montreuil, 9 mars 2018, n° 1800939).
Le Défenseur des droits avait également condamné cette situation : « La dématérialisation des procédures, qui devait être une occasion pour améliorer ces difficultés, est venue cristalliser, voire exacerber, et surtout rendre invisibles les entraves à l’accès aux services publics : aux files d’attentes indignes des usagers cherchant à atteindre le guichet de la préfecture est venue se substituer une file invisible qui parvient encore moins qu’auparavant à accéder aux guichets. Ici, nul problème technique en jeu mais l’absence de moyens suffisants donnés à des dispositifs téléphoniques et numériques saturés de manière récurrente, voire permanente. » (Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics, 2018).
Le Conseil d’Etat a considéré dans ce contexte que le décret n° 2016-685 du 27 mai 2016 autorisant les téléservices tendant à la mise en œuvre du droit des usagers de saisir l’administration par voie électronique « ne saurait avoir légalement pour effet de rendre obligatoire la saisine de l’administration par voie électronique« . En effet, le Conseil d’Etat considère que les dispositions du code des relations entre le public et l’administration, créent « un droit, pour les usagers, à saisir l’administration par voie électronique » mais « elles ne prévoient en revanche aucune obligation de saisine électronique ». Ainsi « quand l’administration met en place un téléservice et qu’un usager choisit de la saisir par voie électronique, cette saisine électronique n’est possible que par l’utilisation de ce téléservice ».
Autrement dit, les « difficultés rencontrées par les ressortissants étrangers pour prendre rendez-vous par voie électronique dans les préfectures » ne sont pas une conséquence de l’application du décret relatif aux téléservices mais résultent des « décisions rendant obligatoires de telles prises de rendez-vous », prises localement par les préfets. Le Conseil d’Etat rejette donc la requête mais en condamnant toutefois les décisions des préfectures rendant obligatoire la prise de rendez-vous sur internet.