Le juge du référé liberté du tribunal administratif de Bordeaux a eu à mettre en balance la liberté de manifestation et d’expression avec l’ordre public s’agissant d’une manifestation nudiste. L’affaire portait sur un projet de manifestation cycliste, nu, sous le slogan « Roulons ensemble, pour le climat, la biodiversité et les libertés ! « , interdit par le préfet.
L’interdiction de manifestation fut prise par le préfet sur le fondement de l’article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure.
Le juge, saisi d’un référé liberté, retient que :
« Dans l’appréciation qu’il lui appartient de porter dans l’exercice des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure, le préfet doit prendre en considération d’une part, l’atteinte à la liberté d’expression qu’emporte nécessairement une interdiction de manifestation au regard des objectifs poursuivis par ses organisateurs et, d’autre part, l’importance des troubles à l’ordre public susceptibles de résulter de l’autorisation de la manifestation. »
Dans cette affaire, la manifestation prévoyait « de faire parcourir jeudi 10 août 2023 une distance de 15,4 kilomètres à bicyclette à un nombre de participants pouvant être totalement ou partiellement dénudés, compris entre 50 et 150 personnes afin d’attirer l’attention sur la fragilité du corps humain dans le trafic routier et de manière plus générale sur la fragilité de l’espèce humaine face aux bouleversements écologiques. »
La manifestation caractérisait selon le juge un trouble à l’ordre public. Ainsi, le juge relève que « compte tenu de l’ampleur et de la durée du parcours, du nombre incertain et potentiellement élevé de manifestants, de l’importante fréquentation touristique que connaissent la ville et l’agglomération à cette date, à cet horaire et dans les lieux choisis, le préfet de la Gironde n’a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés invoquées en décidant d’interdire cette manifestation au motif que le fait de défiler nu sur les routes du département ainsi que sur les rues et espaces publics du centre-ville de Bordeaux était de nature à caractériser le délit d’exhibition sexuelle réprimé par l’article 222-32 du code pénal, dont les dispositions ne sont pas incompatibles avec les stipulations citées au point 4, dès lors qu’elles ne garantissent pas la liberté de circuler en état de nudité sur la voie publique, et que les organisateurs avaient refusé de manifester avec un minimum de vêtements. »
Molière semble toujours d’actualité « Couvrez ce sein que je ne saurais voir: – Par de pareils objets les âmes sont blessées, – Et cela fait venir de coupables pensées. »
Relevons que le juge judiciaire a été moins prude ou plus attentif à la liberté d’expression, ayant relaxé une militante politique Femen, en considérant que si exposer ses seins relevait bien de l’exhibition sexuelle, cela pouvait être justifié en par la liberté d’expression : « son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression. » (Crim. 26 février 2020, n° 19-81.827)
Décision commentée: Tribunal administratif de Bordeaux, 10 août 2023, 2304418