Annulation d’une délibération d’université rédigée en écriture inclusive

Une administration peut-elle adopter une délibération rédigée en écriture inclusive? Le tribunal administratif de Grenoble répond par la négative. Ce dernier était saisi par un professeur agrégé d’anglais, qui contestait la légalité d’une délibération adoptée par le conseil d’administration de l’université Grenoble-Alpes, en raison de sa rédaction en écriture inclusive.

Le requérant soulevait la méconnaissance de l’objectif constitutionnel de « clarté et d’intelligibilité de la norme », consacré par le Conseil constitutionnel et auquel doivent également satisfaire les actes administratifs (CE 29 octobre 2013 n° 360085). Le tribunal administratif de Grenoble ajoute que  » le degré de clarté attendu d’un texte dépend de ses nature et fonction. Ainsi, le caractère technique et efficient d’un texte juridique impose un niveau de clarté propre à garantir son accessibilité immédiate. »

Dans cette affaire, le juge relève que « la plupart des articles des statuts en litige est rédigé en écriture « inclusive » consistant à décliner, autour d’un point médian, les formes masculine et féminines des mots variables. »

Le juge cite des exemples :

« En attestent les exemples suivants : « Lorsqu’un.e représentant.e des personnels perd la qualité au titre de laquelle il.elle a été élu.e ou lorsque son siège devient vacant, il.elle est remplacé.e, pour la durée du mandat restant à courir par le.a candidat.e de la même liste non élu.e venant immédiatement après le.a dernière.e candidat.e élu.e » (premier alinéa de l’article 7) ;

« Le.la Directeur.trice du Service Des Langues est élu.e pour 5 ans au scrutin secret. Il.elle est élu.e au premier tour à la majorité absolue des membres élu.e.s, aux tours suivants, il.elle est élu.e à la majorité relative./ Il ne peut être procédé à plus de trois tours de scrutin au cours d’une même séance en vue de l’élection du.de la Directeur.trice » (premier alinéa de l’article 11)

ou encore

« La séance est présidée par le.la directeur.rice sortant.e. Si ce.cette dernier.ère est candidat.e, la séance est présidée par le.a doyen.ne d’âge élu.e non candidat.e parmi les enseignant.es, enseignant.es chercheur.es et les chercher.es. » (huitième alinéa de l’article 11). »

Le juge administratif ajoute que « Conformément au constat opéré par l’Académie française dans sa déclaration du 26 octobre 2017, l’usage d’un tel mode rédactionnel a pour effet de rendre la lecture de ces statuts malaisée alors même qu’aucune nécessité en rapport avec l’objet de ce texte, qui impose, au contraire, sa compréhensibilité immédiate, n’en justifie l’emploi ».

Le juge grenoblois conclut en conséquence, de manière assez audacieuse, que le requérant, était fondé à soutenir que l’utilisation de ce type de rédaction portait atteinte à l’objectif constitutionnel de clarté et d’intelligibilité de la norme.

Le juge annule donc la délibération du conseil d’administration de l’université Grenoble-Alpes portant approbation des articles 2 à 15, 17 et 18 du statut du service des langues en tant qu’ils sont rédigés en écriture « inclusive ».

Il est à noter que les annulations prononcées par les juges administratifs en raison de la méconnaissance de l’objectif constitutionnel de « clarté et d’intelligibilité de la norme » sont rarissimes. C’est en outre -à notre connaissance- la première censure d’un acte administratif en raison de sa rédaction en écriture inclusive, même si le juge administratif avait déjà pu examiner des questions relatives à cette question. Le tribunal administratif interprétant de manière inédite et sans doute maximaliste l’objectif de clarté et d’intelligibilité de la norme, la portée de cette décision doit donc être appréciée avec prudence.

Décision commentée: TA Grenoble, 4e ch., 11 mai 2023, n° 2005367

Voir également validant une circulaire interdisant l’écriture inclusive, CE, 2e – 7e ch. réunies, 28 févr. 2019, n° 417128 ; a contrario, décision validant le recours à l’écriture inclusive mais saisi sur un fondement différent: Tribunal administratif de Paris, 14 Mars 2023 n° 2206681/2-1 qui juge qu« Il ne résulte pas des dispositions précitées, ni d’aucun autre texte ou principe que la graphie appelée « écriture inclusive », consistant à faire apparaître, autour d’un point médian, l’existence des formes masculine et féminine d’un mot ne relève pas de la langue française. »

S’agissant du principe de clarté et d’intelligibilité de la norme: CE 29 octobre 2013, Association les amis de la rade et des calanques, req. n° 360085 ;  Conseil constitutionnel, n° 99-421 DC du 16 décembre 1999.