L’article L. 228-2 du code de l’environnement issu de la loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie consacre depuis plus de 20 ans une obligation de création d’itinéraires cyclables pour les collectivités. Il est ainsi prévu qu’ « A l’occasion des réalisations ou des rénovations des voies urbaines, à l’exception des autoroutes et voies rapides, doivent être mis au point des itinéraires cyclables pourvus d’aménagements sous forme de pistes, marquages au sol ou couloirs indépendants, en fonction des besoins et contraintes de la circulation. »
Cette disposition reste encore assez inégalement appliquée par les collectivités territoriales et donne régulièrement lieu à des contentieux devant les juridictions administratives. Nous étions revenus sur la position de la jurisprudence assez hésitante sur ce point dans un précédent article (cf. Lever les freins à l’usage du vélo – Les outils juridiques des collectivités locales).
Trois ans après ce premier bilan, il est apparu utile de revenir sur les jurisprudences les plus récentes. Les juges administratifs continuent d’exercer un compromis entre l’exigence de création d’itinéraires cyclables et la pondération de cette exigence en fonction des besoins et contraintes de la circulation. Trois jurisprudences ayant sanctionné le défaut d’aménagement cyclable ont retenu notre attention.
1.Le premier arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes est intéressant en ce qu’il rappelle qu’on ne peut se prévaloir d’un autre itinéraire cyclable pour s’exonérer se son obligation au titre de l’article L. 228-2 du code de l’environnement. L’arrêt a ainsi sanctionné une opération de réaménagement d’une route à Batz sur Mer, sur une portion de 1200 mètres car le projet de réaménagement litigieux ne prévoyait aucun itinéraire cyclable sur la voie qu’il avait pour objet de rénover.
L’arrêt retient pour justifier l’annulation que:« La commune de Batz-sur-Mer ne saurait, pour s’exonérer des obligations auxquelles elle est légalement tenue, se prévaloir de la création d’une liaison douce reliant le centre bourg et les villages, laquelle est indépendante de la voie réaménagée et dessert des points différents. ».
En outre, la cour administrative d’appel relève qu’ « Il n’est pas démontré que les besoins et contraintes de la circulation auraient fait obstacle à la mise en place d’itinéraires cyclables pourvus d’aménagements sur la portion de la RD 245 considérée, sous forme de pistes, marquages au sol ou couloirs indépendants. Dès lors, faute d’avoir prévu de tels itinéraires, le projet d’aménagement litigieux et, par suite, la décision refusant de le modifier méconnaissent les dispositions de l’article L. 228-2 du code de l’environnement. » (Cour administrative d’appel de Nantes – 30 avril 2019 – n° 17NT00346).
2.Le deuxième arrêt rendu par la cour administrative de Bordeaux s’intéresse à l’obstacle à la possibilité d’échapper à l’obligation de créer un itinéraire cyclable au regard de règles issues dans le PLU. L’arrêt a considéré que la présence de tilleuls et la nécessité de les abattre, ne pouvait pas faire obstacle à l’obligation de création de l’itinéraire cyclable.
En l’occurrence, il a été jugé que le règlement d’urbanisme n’y faisait pas obstacle malgré la mention selon laquelle « les arbres existants devront être conservés dans la mesure du possible », notamment car faire passer la piste du côté opposé aux arbres obligeait « à traverser à deux reprises la route à forte fréquentation, générant des risques importants pour la sécurité publique. » (CAA Bordeaux, 1ère Chambre, 20 décembre 2018, n° 16BX02848).
3. La troisième décision, rendue par le tribunal administratif de Marseille, permet d’apprécier in concreto, les éléments de fait et leur preuve, utilisés pour justifier de la possibilité de créer ou non un itinéraire cyclable, tout en confirmant que l’existence d’un itinéraire alternatif n’est pas suffisante pour s’exonérer de l’obligation de créer l’itinéraire cyclable.
Le jugement a annulé le décision par laquelle la communauté urbaine de Marseille Provence Métropole avait refusé la mise au point d’un itinéraire cyclable sur l’avenue Desautel dans la ville de Marseille. Le juge rappelle en premier lieu que « la qualification de rénovation de voies urbaines, au sens des dispositions de l’article L. 228-2 du code de l’environnement précité, s’entend de tous travaux, quelle qu’en soit l’ampleur, qu’une collectivité est amenée à réaliser sur la voirie dont l’entretien est à sa charge, dès lors que ces travaux sont de nature à modifier les conditions de circulation sur ces voies, soit par modification de leur profil, soit par adjonction ou suppression d’éléments de voirie, soit encore par réfection du revêtement ou du marquage de ces voies ; qu’il en résulte une obligation de procéder, sur lesdites voies, sous les seules réserves des besoins et contraintes de la circulation, à l’aménagement d’itinéraires cyclables prévus par ces dispositions »
Le tribunal relève ensuite que la métropole ne justifie pas que la largeur de la voie était de 3,30 mètres, alors que l’association requérante indiquait qu’elle comportait « une voie de circulation large de 3,80 mètres, qui permettrait facilement la création d’un itinéraire réservé aux cyclistes« . Par ailleurs, en s’appuyant sur les photographies de l’association, le juge constate que la voie était d’une largeur suffisante pour permettre la circulation des automobiles à double sens avant 2010. Dès lors, conclut le juge, « en se bornant à faire valoir que l’élargissement du trottoir réalisé en 2010 interdit désormais la création d’un itinéraire cyclable, la MAMP n’établit pas qu’il aurait été impossible de prévoir la mise en place d’un itinéraire cyclable à l’occasion des travaux de rénovation ». Le juge administratif écarte enfin la circonstance qu’un itinéraire cyclable alternatif a été mis en place sur un autre axe, distant d’environ 120 mètres de l’avenue en question, cela étant « sans incidence sur l’obligation qui incombe à la collectivité de mettre en place des itinéraires cyclables à l’occasion des travaux de rénovation des voies urbaines » (TA Marseille N° 1403742 25 avril 2017).