Une université ne peut pas télésurveiller un examen en ligne juge le tribunal administratif de Montreuil

L’organisation des examens à distance, ou en « distanciel » ne finit pas de nourrir la jurisprudence.  Nous avons pu constater l’explosion des affaires relatives aux fraudes aux examens tenus en ligne, celles relatives au changement inopiné de modalités d’examen, celle relative à l’écran éteint de l’examinateur, ou encore afférentes au procès-verbal du jury délibérant en visioconférence. Le tribunal administratif de Montreuil a quant à lui eu à juger la question de la télésurveillance des examens en distanciel, dans une affaire qui croise de manière assez inédite le droit de l’éducation et le droit de la protection des données personnelles.

L’affaire portait sur l’usage par l’institut d’études à distance de l’Université Paris 8 du logiciel de surveillance algorithmique des examens « TestWe », contesté en référé par l’association La Quadrature du net devant le tribunal administratif de Montreuil. Il s’agit d’une surveillance automatisée qui analyse les candidats en train de passer leur épreuve écrite via une analyse vidéo et sonore, et  qui traite donc des données personnelles.

Le juge retient l’urgence à statuer au regard de la proximité des examens et de l’atteinte grave tant à la situation des requérants qu’ à un intérêt public:

« l’application dont l’utilisation a été décidée par la décision du 21 septembre 2022 a été effectivement acquise par l’université et est susceptible d’être utilisée lors de la session d’examens organisés du 4 au 14 janvier 2023 puis du 11 au 22 avril 2023. Compte tenu de l’atteinte ainsi grave et immédiate, non seulement à la situation de (…) mais encore à un intérêt public, qui a suscité la requête, l’intervention de cinquante autres étudiants et une pétition de six cent un étudiants supplémentaires » 

Le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil considère que Test We est un logiciel dont le recours aux données personnelles est disproportionné au regard de la finalité et contraire à l’exigence de minimisation des données du RGPD (article 5 paragraphe 1 point c).

L’argumentaire intéressant est indiqué dans la partie relative à la recevabilité de la requête, qui indique que la décision contestée est bien susceptible de recours quand bien même ce n’est qu’un acte relevant de l’organisation matérielle :

« Les conditions dans lesquelles les épreuves de validation des enseignements universitaires sont organisées à distance sous forme numérique, dans le respect des décisions prises par le président de l’université, du conseil d’administration et de la commission de la formation et de la vie universitaire du conseil académique dans leur domaine de compétence respectif, et des dispositions précitées de l’article D. 611-2 du code de l’éducation, notamment en ce qui concerne la surveillance de l’épreuve, ne constituent que des actes relevant de l’organisation matérielle du service et non des actes administratifs susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, sous réserve que ne soient pas en cause des libertés et des droits fondamentaux des candidats. »

 » Il résulte de l’instruction, notamment de la documentation publiée par la société Testwe qui développe l’application éponyme et ainsi que le relève l’association La Quadrature du Net, que l’utilisation de cette application rend possible notamment la vérification automatisée de l’identité du candidat, l’analyse continue de son visage filmé, l’analyse continue de son regard, l’accès à l’ensemble des données stockées sur son ordinateur, la captation et l’analyse automatisée de l’environnement sonore et visuel et institue en conséquence un traitement de données à caractère personnel au sens des dispositions précitées de l’article 4 du règlement général sur la protection des données. Si l’université fait valoir lors de l’audience du 6 décembre 2022 qu’elle n’entend pas en pratique collecter effectivement ces données, elle n’expose pas quel dispositif technique ferait obstacle, en dépit de l’acquisition qu’implique la décision attaquée de la licence d’exploitation du logiciel et de l’utilisation de celui-ci lors des sessions d’examen, à ce que celles-ci soit effectivement collectées et susceptibles de recevoir un traitement, pas plus qu’elle ne détaille avec exactitude les modalités de surveillance des examens, la nature des données collectées et le caractère adéquat, pertinent et limité de leur traitement. Dans ces conditions, en l’absence de définition préalable des données traitées et de la justification de ce traitement, en décidant d’avoir recours à une plate-forme du type de celle de l’application Testwe pour l’organisation et la surveillance des examens en ligne et au traitement de données qu’elle rend possible, l’université doit être regardée comme ayant porté une atteinte excessive au droit à la protection des données personnelles que les candidats tirent du règlement général sur la protection des données. La décision du 21 septembre 2022, qui met en cause les libertés et des droits fondamentaux des intéressés, doit en conséquence être regardée comme une décision susceptible de recours pour excès de pouvoir et de référé à fin de suspension d’exécution. »

Le juge suspend  donc en urgence la décision du 21 septembre 2022 du conseil de l’institut d’enseignement à distance de l’université Paris VIII ayant adopté des modalités d’organisation et de surveillance des examens en ligne.

TA Montreuil,  ord. 14 décembre 2022, n°2216570

La décision est à lire sur le site de la Quadrature du net.

Voir aussi comme exemples de connexion entre données personnelles et droit de l’éducation

  • à propos de reconnaissance faciale dans les lycées: TA Marseille 27 février 2020 n° 1901249
  • Décision de la CNIL sur la collecte de données pour le recensement des enfants soumis à l’obligation scolaire et par l’amélioration du suivi de l’assiduité (CNIL, délib. n° 2021-135, 18 nov. 2021.)
  • Censure par le Conseil constitutionnel de l’accès au statut vaccinal des élèves : Décision n° 2021-828 DC du 9 novembre 2021