Une commune peut-elle autoriser le port du burkini dans les piscines?

La question juridique de la possibilité d’autoriser ou non le burkini dans les piscines  municipales suscite passions et débats enflammés. Nous vous proposons un éclairage juridique sur ce sujet qui –  en droit – ne soulève pas de difficulté particulière. NB: La note n’aborde pas le point des piscines dans le cadre scolaire.

En droit, différentes dispositions garantissent aux citoyens leur liberté religieuse, le droit au respect de leur vie privée et les principes de non-discrimination fondée sur le sexe ou la religion.

D’un point de vue international, l’article 13 C de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (ratifiée par la France en 1983), garantit notamment à ces dernières « le droit de participer aux activités récréatives, aux sports et à tous les aspects de la vie culturelle ».

Ces dispositions spécifiques doivent être complétées par celles plus générales garantissant le respect de la vie privée, la liberté religieuse, le droit au respect de la vie privé, et l’interdiction de toute discrimination fondée sur la religion contenues dans la Convention européenne des droits de l’Homme (articles 8, 9, et 14).

Citons par exemple l’article 9 qui consacre « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites (…) La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

La Cour européenne des droits de l’Homme considère sur le fondement de ces articles que le port de vêtements, religieux ou non, dans l’espace public relève du libre choix de chacun et donc de la vie privée (CEDH 1er juillet 2014 SAS c/ France, Req. n° 43835/11 – CEDH 15 mai 1980 McFeeley et autres c/ Royaume-Uni, no 8317/78 – CEDH 22 octobre 1998 Kara c/ Royaume-Uni, no 36528/97 – CEDH 1er juillet 2014 SAS c/ France, Req. n° 43835/11 – CDH 27 sept. 2011 Ranjit Singh c/ France n°1876/2009)

Ainsi, d’un point de vue conventionnel, la lutte contre les discriminations faites aux femmes, la liberté religieuse et le droit au respect de la vie privée s’opposent à ce qu’il soit porté atteinte à la liberté des celles-ci de se vêtir comme elles l’entendent sauf à ce que ces mesures d’interdiction soient justifiées par des intérêts de sécurité publique, de santé publique ou de protection des libertés d’autrui.

Ces mêmes mécanismes de protection se retrouvent en droit interne. Ainsi, l’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, qui a valeur constitutionnelle, précise que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre établi par la loi. »

Ces principes de liberté religieuse et d’expression de sa religion se retrouvent également dans la Constitution du 4 octobre 1958 à son article 1er.

Ces libertés évoquées sont garanties aux usagers du service public. C’est d’ailleurs ce que précise la Circulaire n° 5209/SG du 13 avril 2007 relative à la charte de laïcité dans les services publics qui rappelle ce droit :

« Tous les usagers sont égaux devant le service public. Les usagers des services publics ont le droit d’exprimer leurs convictions religieuses dans les limites du respect de la neutralité du service public, de son bon fonctionnement et des impératifs d’ordre public, de sécurité, de santé et d’hygiène. »

Rappelons en effet que la laïcité, et l’obligation de neutralité qui en découle n’est applicable qu’aux agents publics et non aux usagers du service public.

Relevons enfin une réponse ministérielle « Dès lors, le port du « burkini » par des femmes fréquentant un espace public tel qu’une piscine municipale, s’il constitue effectivement une manifestation de leur religion, ne peut faire l’objet d’une interdiction générale et absolue. Toutefois, des considérations liées à l’ordre public peuvent justifier une interdiction au principe de libre manifestation des croyances religieuses dans l’espace public, dans certains cas qui peuvent tenir aux réactions et troubles pouvant être engendrés par le port de ces tenues. Il appartient aux autorités investies du pouvoir de police de prendre les mesures qui leur paraissent appropriées » (Question écrite n° 07151 de M. Stéphane Ravier (Bouches-du-Rhône – NI) publiée dans le JO Sénat du 11/10/2018 – page 5114)

Ainsi, l’usager du service public est libre de revêtir les vêtements qu’il choisit au titre du respect de sa vie privée et de sa liberté religieuse puisqu’il n’agit pas en tant qu’agent du service public. Le seul motif d’interdiction serait un trouble à l’ordre public, par exemple à la salubrité publique. L’argument manque cependant en fait s’agissant du burkini puisque cette tenue qui n’a pas vocation à être portée en extérieure, contrairement au short de bain, ne pose en principe pas de problème de salubrité publique ou d’hygiène. L’autre fondement d’interdiction possible serait l’hypothèse où des manifestants menaceraient la sécurité des personnes portant un burkini.

Cette analyse a été confirmée par le Conseil d’État lors des affaires s’intéressant au port de celui-ci sur les plages publiques dans deux ordonnances de référé des 26 août (requête n°402742) et 26 septembre 2016 (requête n°403578).

Les juges du Palais-royal ont rappelé que le maire ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs de police, édicter des dispositions qui interdisent l’accès à la plage et la baignade à des femmes portant un burkini alors qu’elles ne reposaient ni sur des risques avérés de troubles à l’ordre public ni, par ailleurs, sur des motifs d’hygiène ou de décence.

Ainsi, il apparaît qu’aucun texte interdise aux femmes de porter un burkini au sein des piscines et bassins de baignade municipaux et qu’aucun texte n’interdit réciproquement à un maire d’autoriser une telle tenue. C’est au contraire la décision interdisant le port du burkini dont la légalité pourrait être – en droit – contestée.