Un maire ne peut pas s’opposer à une déclaration préalable de mutation ou une translation de licence IV juge le Conseil d’Etat

Quel sont les pouvoirs du maire et du préfet en cas de déclaration préalable de mutation du gérant et translation sur le territoire de la commune d’un débit de boissons qui ne répondrait pas aux conditions légales? C’est à cette question que répond le conseil d’Etat dans une très intéressante affaire qui permet de faire le point sur le contrôle opéré par le maire et le préfet en tant qu’autorité hiérarchique de ce dernier. La question est celle de la possibilité pour ces autorités de s’opposer à une mutation, et la distinction de ce pouvoir de contrôle ex ante de celui de la fermeture et de celui opéré par le pouvoir judiciaire.

Dans cette affaire, le propriétaire de l’établissement dénommé « Rose Bonbon », avait présenté au maire de Tours une déclaration préalable de mutation du gérant et translation d’un débit de boissons de quatrième catégorie (licence IV). Cependant, une association avait demandé au préfet qu’il s’oppose à l’exploitation de ce débit de boissons. Devant le refus du préfet, l’association avait obtenu du juge qu’il procède au retrait du récépissé de déclaration ce qui avait donc fait obstacle à la mutation et à la possibilité d’exploitation du débit de boisson.

Le Conseil d’Etat rappelle le cadre juridique posé par les articles L. 3332-3 du code de la santé publique et suivants qui prévoit une déclaration préalable dont « il en est donné immédiatement récépissé. En application de l’article L. 3332-4 du même code « une mutation dans la personne du propriétaire ou du gérant d’un café ou débit de boissons vendant de l’alcool à consommer sur place doit faire, quinze jours au moins à l’avance et par écrit, l’objet d’une déclaration identique à celle qui est requise pour l’ouverture d’un débit nouveau. (…) / Cette déclaration est reçue et transmise dans les mêmes conditions. / Une translation d’un lieu à un autre doit être déclarée quinze jours au moins à l’avance, dans les mêmes conditions ».

Le Conseil d’Etat en conclut que :

« Il résulte de ces dispositions que l’intervention du maire, qui, en ce domaine, agit en qualité d’agent de l’Etat, doit se borner à constater l’accomplissement de la formalité de déclaration d’ouverture d’un débit de boissons, de mutation dans la personne de son propriétaire ou de son gérant ou de translation d’un lieu à un autre qui lui est présentée et à en délivrer récépissé, sans examen de la capacité du requérant, de la situation du débit ou de la régularité de l’opération envisagée et à en transmettre copie intégrale au représentant de l’Etat dans le département, ainsi que, en l’état des textes applicables, au procureur de la République. S’il appartient, le cas échéant, d’une part, au procureur de la République, susceptible d’être à tout moment saisi, de rechercher et de poursuivre les infractions qui pourraient être commises, et, d’autre part, au préfet de faire usage après l’ouverture, la mutation ou la translation du débit de boissons, de ses pouvoirs de police administrative lorsque la situation le justifie, il n’appartient en revanche pas au maire ni, par suite, au préfet, de s’opposer à l’opération envisagée avant sa réalisation. »

Ainsi, le maire, et pas plus le préfet, ne peut procéder à un contrôle. Il doit simplement acter la déclaration et délivrer le récépissé. C’est seulement au procureur de la république d’agir – a posteriori – en cas d’infraction. Le Conseil d’Etat, considère en conséquence, que le préfet aurait du rejeter la demande de l’association et ne pas faire droit à l’opposition à l’exploitation du débit de boissons .

Il est intéressant de lire les conclusions du rapporteur public Maxime Boutron, qui éclairent la décision:

Il rappelle que :

 » une jurisprudence très ancienne donne compétence liée au maire dans la délivrance du récépissé : d’abord sous l’empire de la loi du 17 juillet 1880 qui abroge le décret du 29 décembre 1851 sur les cafés, cabarets et débits de boissons, puis sous l’empire de
celle du 9 novembre 1915 relative à la réglementation de l’ouverture de nouveaux débits de boissons, lois dont l’article L. 3332-3 du CSP reprend largement les dispositions, le Conseil d’Etat a jugé que l’intervention du maire « doit se borner à constater l’accomplissement de
cette formalité, sans examen préalable de la capacité du déclarant ou de la situation du débit, et à transmettre dans les trois jours copie intégrale au procureur de la République, auquel il appartient de rechercher et de poursuivre les infractions qui pourraient être commises » (CE, 4 juillet 1884, Blanc et Delcasso, p. 546) ; autrement dit que le maire « est dans l’obligation d’accepter les déclarations qui lui sont présentées en matière d’ouverture de débits de boissons et d’en délivrer récépissé, sans lui conférer le contrôle de leur régularité » (15 mars 1939, Dame veuve Cassagnous, p. 169).

Le préfet est dans la même situation poursuit le rapporteur public:

« Mais nous ne voyons pas comment ce pouvoir hiérarchique pourrait lui donner compétence pour, comme l’a jugé la cour, interdire l’exploitation d’une licence IV : 

 D’abord, nous ne voyons pas comment il tirerait de ce pouvoir hiérarchique sur le maire exerçant comme agent de l’Etat, plus de pouvoir que le maire n’en a lui-même. 

Ensuite, aucun texte ne lui donne de tels pouvoirs. L’article R. 3335-15 lui donne compétence pour déterminer par arrêté les distances minimales à maintenir entre débits de boisson et l’article L. 3332-15 compétence pour ordonner la fermeture en cas
d’infractions, atteintes à l’ordre public. Il s’agit uniquement d’un pouvoir de fermeture. Mais non d’un pouvoir d’opposition à l’ouverture ex ante.

C’est la raison pour laquelle le contentieux des débits de boisson relève très largement de la juridiction judiciaire. Comme indiqué, jusqu’à l’intervention de la loi du 23 mars 2019, le procureur de la République recevait copie du récépissé. La compétence de la juridiction administrative se limite à la légalité d’opérations de transfert de licences, elles soumises à autorisation donnant lieu à une décision administrative (CE, 5/3 ssr, 9 novembre 1992, B…, 107899) ou lorsque le Préfet s’est trouvé saisi d’une demande préalable à la déclaration de transfert et s’était prononcé par avance sur la réglementation applicable (CE, 5/3 ssr, 28 juillet 1993, Ministre c. Mme C…, 115053, T. p545).

Bien entendu, l’exercice de l’activité, par exemple sans déclaration préalable conduirait le préfet à faire usage de ses pouvoirs de fermeture de l’établissement qu’il tient de l’article L. 3332-15. Mais dès lors qu’il y a une déclaration, le préfet ne dispose d’aucun pouvoir de retrait. Le ministre voudrait voir reconnu le droit de retrait du Préfet, en application des conditions du code des relations entre le public et l’administration. »

 

 

 

Conseil d’Etat, 5-6 chr, 12 juillet 2022, n° 447143.