La Cour administrative d’appel de Paris a rendu une décision intéressante sur l’engagement de la responsabilité de l’Etat en cas de carence dans la prise en charge d’un enfant autiste. Cette décision s’inscrit dans la droite lignée de la jurisprudence qui impose une obligation de résultat à l’Etat.
Le droit en la matière est fixé par l’article L. 246-1 du code de l’action sociale et des familles selon lequel:
« Toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique et des troubles qui lui sont apparentés bénéficie, quel que soit son âge, d’une prise en charge pluridisciplinaire qui tient compte de ses besoins et difficultés spécifiques. Adaptée à l’état et à l’âge de la personne, cette prise en charge peut être d’ordre éducatif, pédagogique, thérapeutique et social. (…) ».
Et par l’article L. 114-1 du même code selon lequel:
« Toute personne handicapée a droit à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l’accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté. L’Etat est garant de l’égalité de traitement des personnes handicapées sur l’ensemble du territoire et définit des objectifs pluriannuels d’actions. ».
Selon la jurisprudence, se fondant sur ces deux dispositions, toute personne a :
« le droit à une prise en charge pluridisciplinaire est garanti à toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique, quelles que soient les différences de situation. Si, eu égard à la variété des formes du syndrome autistique, le législateur a voulu que cette prise en charge, afin d’être adaptée aux besoins et difficultés spécifiques de la personne handicapée, puisse être mise en œuvre selon des modalités diversifiées, notamment par l’accueil dans un établissement spécialisé ou par l’intervention d’un service à domicile, c’est sous réserve que la prise en charge soit effective dans la durée, pluridisciplinaire, et adaptée à l’état et à l’âge de la personne atteinte de ce syndrome ».
« En vertu de l’article L. 241-6 du code de l’action sociale et des familles, il incombe par conséquent à la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH), à la demande des parents, de se prononcer sur l’orientation des enfants atteints du syndrome autistique et de désigner les établissements ou les services correspondant aux besoins de ceux-ci et étant en mesure de les accueillir, ces structures étant tenues de se conformer à la décision de la commission. Ainsi, lorsqu’un enfant autiste ne peut être pris en charge par l’une des structures désignées par la CDAPH en raison du manque de places disponibles, l’absence de prise en charge pluridisciplinaire qui en résulte est, en principe, de nature à révéler une carence de l’État dans la mise en œuvre des moyens nécessaires pour que cet enfant bénéficie effectivement d’une telle prise en charge dans une structure adaptée. »
Dans cette affaire, la CDAPH de la Seine-Saint-Denis avait décidé de l’orientation de l’enfant en établissement médico-social de type IME, en internat ou semi-internat, et a désigné à cette fin, au total et successivement, 77 établissements médico-sociaux. Tous les établissements désignés avaient été contactés par les parents et il leur avait été répondu qu’ils n’étaient pas en mesure d’accueillir l’enfant. Si l’enfant a pu être pris en charge, ce n’est que partiellement, à raison de quinze heures par semaine et dans le cadre d’une prise en charge par défaut, en l’absence de solution pérenne à 100 % en internat en semi-internat.
Sur la preuve, la cour administrative d’appel de Paris considère comme probant les nombreux éléments produits par les parents:
« A cet effet, ceux-ci ont produit plus de quarante réponses négatives. Pour le surplus (une vingtaine d’établissements en France), ils se prévalent des annotations portées par Mme H… sur les listes communiquées par D… et portant mentions, pour chaque établissement : de l’envoi d’un courrier de sa part demeuré sans réponse – ainsi qu’en atteste le 13 décembre 2021 la cheffe du bureau de l’évaluation enfants à D… -, ou d’indications relatives à la date d’un contact téléphonique et du motif précis du refus opposé, soit des indications scripturales qui ne sauraient être regardées comme ayant été portées a posteriori et pour les besoins de la cause. Par ailleurs, dans un contexte où la surveillance rapprochée et continuelle réclamée par son fils l’accaparait et rendait nécessaire qu’une structure d’accueil soit trouvée pour celui-ci, Mme H… établit également avoir spontanément contacté des établissements autres que ceux désignés par la CDPAH, la nécessité d’envisager la prise en charge du jeune E… en F… révélant, enfin, une carence de l’Etat dans la mise en œuvre des moyens nécessaires pour que celui-ci bénéficie effectivement en France d’une prise en charge pluridisciplinaire, adaptée et conforme à l’orientation première décidée par la CDAPH »
S’agissant des préjudices, la cour administrative d’appel s’appuie sur les documents médicaux versés au dossier qui permettent de prouver que, du fait de l’absence de prise en charge adaptée, l’enfant a régressé, faute notamment d’avoir été stimulé par des professionnels formés à l’occasion d’une prise en charge adaptée.
Par suite, la cour retient un préjudice résultant des troubles dans ses conditions d’existence dont, dans les circonstances de l’espèce, évalué à 30 000 euros. »
Référence de la décision commentée: CAA Paris, 3e ch., 29 avril 2022, n° 21PA03014. Voir également : CE, 29 décembre 2014, n°371707 ; TA Cergy-Pontoise, 26 mars 2020, n°181146 ; CAA de Versailles, 21 octobre 2021, 19VE02418 ; CAA Paris, 6e ch., 10 juill. 2018, n° 17PA01993.