Annulation de l’interdiction de distribuer des denrées alimentaires aux migrants

Le préfet du Pas-de-Calais  ne pouvait pas interdire les distributions gratuites de boissons et denrées alimentaires en certains lieux du centre-ville de Calais. C’est ce qu’a jugé le tribunal administratif de Lille.

Le tribunal censure l’arrêté préfectoral sur trois points, en faisant une application classique du contrôle des mesures de police administrative, qui doivent être nécessaires et proportionnées, et comme toutes décisions, non entachées d’erreurs matérielles).

Tout d’abord, les atteintes à l’ordre public alléguées par la préfecture sont circonscrites à la seule salubrité publique.

Le trouble à la tranquillité publique, composante de l’ordre public, est ainsi écarté:

« Or si des troubles à la tranquillité publique sont en effet établis par mains-courantes des forces de police, ils concernent des évènements ponctuels, épars et le plus souvent dénués de gravité. Il en est ainsi de la présence de deux migrants alcoolisés devant un centre social, qui quittent les lieux à l’arrivée de la police, d’un migrant alcoolisé dans un parc d’abord suspecté d’avoir blessé un individu, mais que les policiers ont finalement laissé repartir et d’un groupe d’exilés dispersé par la police après avoir investi illégalement un local à vélo. En tout état de cause, ces troubles ne sauraient être regardés comme imputables aux distributions de denrées effectuées par les associations humanitaires. »

Tout comme le manquement aux règles sanitaires, non démontré :

« Deuxièmement, le préfet du Pas-de-Calais se fonde sur des manquements aux règles sanitaires mises en place pour lutter contre l’épidémie de la Covid-19, lors des rassemblements importants qu’impliquent ces distributions. S’il est plausible, au vu de leur nature même, qu’à l’occasion de ces distributions, les gestes barrières et la distanciation sociale n’aient pas été toujours rigoureusement assurés, les protocoles sanitaires mis en place par les associations requérantes, les extraits de conversations groupées versées au dossier et les distributions de masques sanitaires effectuées établissent, au contraire, le degré élevé de préoccupation des associations pour le respect des règles sanitaires. Dès lors, faute pour le préfet du Pas-de-Calais de démontrer l’existence de tels manquements répétés aux règles sanitaires à l’occasion de ces distributions, la nécessité d’agir au regard de l’impératif sanitaire n’est pas établie. »

En revanche, la nécessité d’agir est bien établie s’agissant de l’atteinte à la salubrité publique en raison de l’accumulation de déchets.

Mais, la solution retenue par le préfet était inadaptée:

« En interdisant la distribution gratuite de denrées dans certaines zones du centre-ville, les interdictions édictées par l’arrêté litigieux ne s’opposent pas à ce que les distributions de denrées s’effectuent exactement dans les mêmes conditions qu’à l’accoutumée, à la nuance que leur emplacement se voit nécessairement déplacé de quelques centaines de mètres, hors du périmètre d’interdiction. Dans ces circonstances, les interdictions édictées ne sauraient remédier aux abandons de déchets consécutifs à l’activité de distribution de denrées, en étant inadaptés et inefficaces pour réduire les troubles à la salubrité publique liés au volume de déchets abandonnés sur place et, par extension, le coût supporté par la mairie lorsqu’elle procède à leur enlèvement. Au surplus et pour les mêmes raisons, les interdictions édictées ne sauraient remédier aux nécessités, par ailleurs non avérées, tirées des manquements aux règles sanitaires et des troubles à la tranquillité publique. Par suite, les arrêtés attaqués sont inadaptés aux finalités qu’ils poursuivent. »

Une mesure de police ne doit cependant pas qu’être nécessaire pour être légale, elle doit également être proportionnée. Et le tribunal censure à nouveau le préfet.

Enfin, si le juge considère que l’interdiction n’est pas générale et absolue, elle est néanmoins disproportionnée au regard de la carence de l’Etat à assurer lui même l’approvisionnement des personnes vulnérables vivant à Calais:

« il ressort des pièces versées au dossier, et notamment des rapports du comité consultatif des droits de l’homme et de la défenseure des droits, que de nombreux migrants du centre-ville de Calais dépendent directement des associations humanitaires requérantes pour leur approvisionnement en nourriture et en eau. Les distributions assurées par l’État sont quantitativement insuffisantes au regard du nombre de migrants présents, dès lors que, d’une part, le nombre de repas quotidiennement distribué par l’association La Vie Active en septembre 2020 ne saurait, même sur la base des estimations plausibles les plus basses du nombre de migrants à Calais, assurer trois repas par jour à chaque personne et que, d’autre part, les associations non mandatées par l’État ont du augmenter significativement leur volume de distribution depuis le mois d’août 2020. Si en ciblant directement les zones immédiatement adjacentes aux lieux de vie des populations migrantes, les interdictions édictées n’ont pas pour effet de rendre impossible pour les associations d’apporter une aide alimentaire aux populations migrantes de la commune, elles ont en revanche pour effet de compliquer considérablement la possibilité pour ces populations précaires d’accéder, à des distances raisonnables de leurs lieux de vies qui soient compatibles avec la précarité de leur conditions, à des biens de première nécessité.

Par suite, les interdictions édictées, en affectant d’une part, les conditions de vie de populations particulièrement vulnérables et en étant, d’autre part, manifestement inadaptées pour répondre à la nécessité d’assurer la salubrité publique dès lors qu’elle pourrait être poursuivie plus efficacement par la simple mise en place de bennes dédiées aux abords des lieux de distribution, sont disproportionnées par rapport aux finalités poursuivies. »

Le tribunal administratif annule donc les arrêtés du préfet du Pas-de-Calais du 30 septembre 2020, du 16 novembre 2020 et du 14 décembre 2020.

TA Lille, 3e ch., 12 oct. 2022, n° 2007484