Le jugement rendu par le Tribunal administratif de Montpellier le 28 septembre 2023 illustre de manière remarquable les principes applicables en matière de responsabilité sans faute pour dommages de travaux publics, tout en apportant des précisions utiles sur les pouvoirs d’injonction du juge administratif.
Les faits et la procédure
Le propriétaire d’une parcelle située en bout d’impasse des Micocouliers à Clapiers subissait des inondations récurrentes lors d’épisodes pluvieux importants. Après avoir vainement sollicité Montpellier Méditerranée Métropole, compétente en matière de gestion des réseaux d’eaux pluviales, il a obtenu la désignation d’un expert par ordonnance de référé en décembre 2020. Le rapport d’expertise rendu en avril 2021 a mis en évidence un défaut de dimensionnement des ouvrages de collecte des eaux pluviales ainsi qu’un raccordement insuffisant entre les différentes sections du réseau.
Fort de ces conclusions, le requérant a demandé au tribunal de condamner la métropole à réaliser les travaux nécessaires, à l’indemniser de ses préjudices et à prendre en charge les frais d’expertise.
Le fondement de la responsabilité : une application classique du régime sans faute
Le tribunal a fondé sa décision sur le régime de responsabilité sans faute pour dommages de travaux publics. Ce régime, bien établi en jurisprudence administrative, impose au maître de l’ouvrage une responsabilité objective pour les dommages causés par les ouvrages publics dont il a la garde, que ces dommages résultent de leur existence ou de leur fonctionnement.
Le tribunal rappelle avec précision que cette responsabilité ne peut être écartée qu’en cas de faute de la victime ou de force majeure. Il souligne également une distinction importante : lorsque le dommage présente un caractère accidentel, la victime n’est pas tenue de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice, contrairement à ce qui serait exigé pour un dommage permanent.
En l’espèce, le lien de causalité entre les désordres et les ouvrages publics a été clairement établi par le rapport d’expertise. La métropole tentait de s’exonérer en invoquant la configuration naturelle des lieux et un prétendu défaut d’aménagement du terrain par le propriétaire. Le tribunal balaie ces arguments de manière ferme, considérant que la configuration des lieux ne peut constituer un cas d’exonération et que les allégations concernant le défaut d’aménagement n’étaient pas suffisamment précises pour être retenues.
Le rejet des demandes indemnitaires faute de preuves suffisantes
Si le tribunal a reconnu la responsabilité de la métropole, il a néanmoins rejeté les demandes indemnitaires du requérant. Celui-ci alléguait des inondations de sa grange et de biens donnés à bail, ainsi que la nécessité de réaliser une dalle surélevée pour protéger ses biens. Le tribunal constate cependant que ces préjudices n’étaient étayés par aucun élément précis et circonstancié permettant d’en démontrer la réalité matérielle.
Cette exigence de preuve rappelle que la reconnaissance de responsabilité ne suffit pas : il incombe toujours à la victime d’établir l’existence et l’étendue de son préjudice par des éléments concrets, qu’il s’agisse de factures, de photographies, de témoignages ou d’autres justificatifs probants.
L’obligation de mettre fin aux dommages persistants
L’apport le plus intéressant de ce jugement réside dans le développement consacré aux conclusions à fin d’injonction. Le tribunal s’appuie sur une jurisprudence désormais bien établie du Conseil d’État pour préciser les conditions dans lesquelles le juge peut enjoindre à une personne publique de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à un dommage qui perdure.
Lorsque le dommage trouve son origine non pas dans la seule existence d’un ouvrage public, mais dans son exécution défectueuse ou son fonctionnement anormal, l’abstention de la personne publique à prendre les mesures correctrices constitue une faute. Le juge doit alors vérifier qu’aucun motif d’intérêt général, notamment un coût manifestement disproportionné par rapport au préjudice, ne justifie cette abstention.
En l’espèce, le tribunal constate que les inondations persistent du fait d’une conception défectueuse du réseau de collecte. L’absence de réalisation des travaux nécessaires constitue donc une faute. Aucun motif d’intérêt général n’étant invoqué ou établi, le tribunal ordonne la réalisation des travaux préconisés par l’expert, consistant à assurer la continuité du réseau de canalisation avec un diamètre approprié.
Le délai fixé est de six mois à compter de la notification du jugement, sans assortir cette injonction d’une astreinte. Ce choix du tribunal témoigne d’une approche mesurée, laissant à la collectivité le temps nécessaire pour organiser et réaliser les travaux sans la pression immédiate d’une pénalité financière quotidienne.
Cette décision du Tribunal administratif de Montpellier rappelle utilement les principes fondamentaux du droit de la responsabilité administrative en matière d’ouvrages publics, tout en illustrant les pouvoirs étendus dont dispose le juge pour contraindre les collectivités à remédier aux désordres dont elles sont responsables.
TA Montpellier, 4e ch., 28 sept. 2023, n° 2200520.