Le Tribunal administratif de Rennes vient de rendre une décision particulièrement instructive sur les limites de la consultation du fichier des antécédents judiciaires par les autorités administratives. Dans un jugement du 7 novembre 2025, les juges administratifs ont annulé le refus du CNAPS de délivrer une carte professionnelle d’agent de sécurité, au motif que l’administration s’était fondée sur des données qu’elle n’aurait jamais dû pouvoir consulter.
L’affaire concerne un agent de sécurité dont la carte professionnelle, délivrée en 2017, arrivait à échéance en 2022. Comme l’exige la réglementation, il sollicitait d’abord une autorisation préalable pour accéder à la formation de renouvellement, puis demandait la délivrance d’une nouvelle carte professionnelle. Le CNAPS refusait cette délivrance en se fondant sur deux mises en cause pour des faits de violence survenus en février 2018, l’une avec usage ou menace d’une arme, l’autre dans un contexte de violences conjugales.
À première vue, on pourrait penser que le CNAPS était fondé à refuser la carte professionnelle. Les activités privées de sécurité requièrent effectivement des garanties particulières de moralité et de comportement. L’article L. 612-20 du code de la sécurité intérieure est d’ailleurs très clair : nul ne peut exercer ces fonctions si son comportement ou ses agissements sont contraires à l’honneur, à la probité, aux bonnes mœurs ou sont de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes.
Mais c’est précisément là que le bât blesse. Le tribunal rappelle avec force qu’il ne suffit pas que des faits soient matériellement accessibles dans un fichier pour que l’administration puisse légalement les utiliser. La question de la licéité de la consultation prime sur celle de la réalité des faits reprochés.
En l’espèce, les faits de violence avaient donné lieu à des classements sans suite. Or, et c’est le point juridique central de cette décision, l’article 230-8 du code de procédure pénale prévoit qu’en cas de classement sans suite, les données relatives aux personnes mises en cause font l’objet d’une mention, sauf décision contraire du procureur. Lorsque cette mention est apposée, les données ne peuvent plus être consultées dans le cadre des enquêtes administratives.
Le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc avait d’ailleurs pris soin, le 19 décembre 2022, de préciser explicitement dans sa décision que les données en cause ne devaient être maintenues que sous forme de mention au fichier TAJ. Il avait même ajouté, avec une clarté remarquable, que ces données ne seraient plus accessibles aux autorités administratives de sorte que les démarches d’insertion professionnelle du requérant ne seraient plus entravées. Cette formulation n’avait rien d’anodin : elle témoignait de la volonté du parquet de permettre à l’intéressé de tourner la page.
Le CNAPS n’en avait pourtant tenu aucun compte. En consultant le TAJ et en fondant son refus sur ces données mentionnées, l’administration a commis une erreur de droit que le tribunal sanctionne sévèrement. Les juges sont formels : aucun texte ne permet de déroger à l’interdiction de consulter des données mentionnées. L’article R. 40-29 du code de procédure pénale, qui organise les modalités de consultation du TAJ par les autorités administratives, impose d’ailleurs une saisine préalable des services de police et du parquet lorsque la consultation révèle une mise en cause. Cette procédure vise précisément à s’assurer que les données peuvent légalement être utilisées.
Le jugement illustre ainsi la hiérarchie des normes dans notre système juridique. Peu importe que les faits soient avérés ou que l’administration estime légitimement nécessaire d’en tenir compte : si la procédure de consultation n’a pas été respectée, la décision ne peut qu’être annulée. Le juge administratif ne se prononce d’ailleurs pas sur le fond, c’est-à-dire sur la question de savoir si les faits reprochés étaient effectivement incompatibles avec l’exercice de la profession d’agent de sécurité. Il se contente de constater que la décision est fondée exclusivement sur des éléments que l’autorité administrative ne pouvait pas légalement retenir.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui distingue soigneusement l’enquête administrative de l’enquête judiciaire. Le TAJ reste accessible aux policiers et gendarmes agissant dans le cadre de leurs missions judiciaires, mais son utilisation par les autorités administratives obéit à des règles strictes de protection des données personnelles. Le mécanisme de la mention constitue précisément un filtre destiné à éviter que des poursuites abandonnées ne handicapent indéfiniment la vie professionnelle des personnes.
Le tribunal a par ailleurs tiré toutes les conséquences procédurales de la carence du CNAPS. L’administration, malgré une mise en demeure en bonne et due forme, n’avait produit aucun mémoire en défense avant la clôture de l’instruction. Elle est ainsi réputée avoir acquiescé aux faits exposés par le requérant, ce qui n’a fait que faciliter le travail du juge.
Sur le plan des injonctions, le tribunal fait preuve de pragmatisme. Il enjoint au CNAPS de réexaminer la demande dans un délai de deux mois et, dans l’attente, de délivrer non pas une carte provisoire comme le demandait le requérant, mais le récépissé prévu par la réglementation. Cette solution respecte mieux l’architecture du dispositif légal tout en permettant au requérant de poursuivre provisoirement son activité.
Cette décision constitue un rappel salutaire pour toutes les administrations qui consultent régulièrement le TAJ dans le cadre d’enquêtes administratives, qu’il s’agisse du CNAPS, des préfectures pour la délivrance d’agréments ou d’autorisations diverses, ou d’autres autorités de tutelle. La tentation peut être grande, lorsqu’une information apparaît dans le fichier, de s’en saisir pour motiver un refus. Mais le droit des données personnelles impose des garde-fous que le juge administratif fait respecter strictement. Une consultation irrégulière du TAJ vicie irrémédiablement la décision qui s’en inspire, quand bien même les faits révélés pourraient légitimement justifier un refus s’ils avaient été portés à la connaissance de l’administration par d’autres voies légales. La forme, en droit administratif, n’est jamais accessoire : elle est la garantie essentielle des droits des administrés.
TA Rennes, 4e ch., 7 nov. 2025, n° 2305284