Le jugement rendu par le Tribunal administratif de Bordeaux le 30 octobre 2023 offre une illustration particulièrement claire des obligations qui pèsent sur le maire en matière de police de la voirie. Cette décision rappelle avec fermeté que l’autorité municipale ne peut tolérer la présence d’obstacles sur la voie publique lorsque ceux-ci portent atteinte à la sécurité et à la commodité du passage, même s’ils ont été installés par des particuliers sans son intervention.
Un conflit de voisinage révélateur
Les faits à l’origine du litige sont relativement simples mais symptomatiques de tensions fréquentes en zone rurale. Un propriétaire d’une maison desservie par la rue du Moulin de Mazières à Sainte-Livrade-sur-Lot constatait la présence de poteaux et piquets métalliques installés sur la voie communale, vraisemblablement par un riverain souhaitant protéger le mur d’enceinte de sa propriété contre les dégradations causées par les véhicules. Ces installations réduisaient significativement la largeur praticable de la voie, la ramenant à moins de trois mètres par endroits.
Face à cette situation, le propriétaire lésé avait sollicité le maire pour qu’il procède à l’enlèvement de ces obstacles. Le silence de l’autorité municipale pendant plus de deux mois ayant fait naître une décision implicite de rejet, le requérant a saisi le tribunal administratif pour obtenir l’annulation de cette décision et l’injonction de procéder aux travaux nécessaires.
Les fondements de la police municipale de la voirie
Le tribunal rappelle utilement l’étendue des pouvoirs de police dont dispose le maire en matière de voirie communale. L’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales confie au maire la responsabilité d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, ce qui comprend notamment tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les voies publiques.
Cette mission englobe expressément le soin d’interdire tout ce qui pourrait nuire à la sûreté ou à la commodité du passage. L’article L. 2213-1 du même code précise par ailleurs que le maire exerce la police de la circulation sur l’ensemble des voies situées à l’intérieur des agglomérations. Le tribunal souligne que dans l’exercice de ces pouvoirs, il appartient au maire de prendre les mesures nécessaires pour concilier les droits de l’ensemble des usagers de la voie publique avec les contraintes liées à la circulation et au stationnement des véhicules.
Cette formulation met en évidence le caractère obligatoire de l’intervention du maire dès lors qu’un obstacle compromet l’équilibre entre les différents usages de la voie publique. Il ne s’agit pas d’une simple faculté mais d’une véritable obligation qui s’impose à l’autorité municipale.
L’impératif de sécurité incendie
Au-delà des considérations générales relatives à la commodité de passage, le tribunal met en avant un argument particulièrement déterminant : le respect des normes de sécurité incendie. L’arrêté du 31 janvier 1986 relatif à la protection contre l’incendie des bâtiments d’habitation impose que les voies utilisables par les engins de secours et de lutte contre l’incendie présentent une largeur de chaussée d’au moins trois mètres, bandes de stationnement exclues.
Or, le constat d’huissier versé au dossier établissait que les poteaux et piquets litigieux réduisaient la largeur de la voie à 2,45 mètres et 2,78 mètres selon les endroits. Cette réduction rendait donc impossible le passage des véhicules de secours dans des conditions conformes à la réglementation. Face à cet impératif de sécurité publique, l’argument invoqué par la commune selon lequel ces obstacles contribueraient à ralentir la circulation ne pouvait prospérer, d’autant que le tribunal relève qu’il ne s’agissait pas d’aménagements homologués.
Le rejet des arguments de la commune
La position défensive adoptée par la commune de Sainte-Livrade-sur-Lot illustre une tentation parfois observée chez les autorités municipales confrontées à des conflits de voisinage : celle de ne pas intervenir pour éviter de prendre parti. Cette attitude d’abstention ne peut toutefois se justifier dès lors que des obligations légales précises pèsent sur le maire.
Le tribunal écarte également l’argument selon lequel ces installations participeraient à la sécurité routière en réduisant la vitesse des véhicules. Cette argumentation ne pouvait convaincre pour plusieurs raisons. D’une part, il ne s’agissait pas d’aménagements homologués répondant aux normes techniques applicables. D’autre part, même si tel avait été le cas, ces dispositifs ne pouvaient avoir pour effet de rendre la voie impraticable pour les véhicules de secours.
Le jugement établit ainsi une hiérarchie claire des impératifs : la sécurité publique et l’accessibilité aux services de secours priment sur toute autre considération, y compris la protection des propriétés privées riveraines contre d’éventuelles dégradations.
Une injonction assortie d’un délai raisonnable
Ayant constaté l’illégalité de la décision implicite de rejet, le tribunal prononce son annulation et fait droit aux conclusions à fin d’injonction du requérant. Il enjoint à la commune de procéder à la suppression des poteaux et piquets litigieux dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Ce délai apparaît raisonnable au regard de la nature des travaux à réaliser, qui ne présentent pas de difficulté technique particulière. Le tribunal décide toutefois de ne pas assortir cette injonction d’une astreinte, témoignant ainsi d’une certaine mesure dans l’exercice de ses pouvoirs. Cette absence d’astreinte suggère que le tribunal fait confiance à la commune pour exécuter la décision dans les délais impartis, tout en réservant la possibilité pour le requérant de solliciter ultérieurement une astreinte en cas de non-exécution.
Cette décision du Tribunal administratif de Bordeaux constitue un rappel salutaire des obligations qui pèsent sur les maires en matière de police de la voirie. Elle confirme que l’autorité municipale ne peut tolérer la présence d’installations irrégulières sur le domaine public, particulièrement lorsque celles-ci compromettent l’intervention des services de secours et la sécurité des usagers.
TA Bordeaux, 6e ch., 30 oct. 2023, n° 2105236.