Le tribunal administratif de Melun a rendu le 12 septembre 2025 une décision qui mérite l’attention de tous les praticiens du droit de l’éducation et des collectivités territoriales. Dans cette affaire, le juge a annulé le refus du maire de Maisons-Alfort d’inscrire une enfant dans une école située hors de sa commune de résidence, au motif d’une erreur manifeste d’appréciation des conséquences sanitaires d’un tel refus.
Les parents de la jeune A., résidant à Créteil, souhaitaient que leur fille de six ans poursuive sa scolarité à l’école Jules Ferry de Maisons-Alfort, où elle avait déjà été scolarisée. Face au refus du maire, réitéré après suspension en référé, les requérants ont saisi le tribunal administratif en invoquant plusieurs moyens, dont celui tiré de l’erreur manifeste d’appréciation au regard de l’état de santé de l’enfant.
Le cadre juridique applicable mérite d’être rappelé. L’article L. 212-8 du code de l’éducation prévoit qu’une commune doit participer financièrement à la scolarisation d’enfants résidant sur son territoire lorsque leur inscription dans une autre commune est justifiée par des raisons médicales. Cette obligation s’inscrit dans un régime dérogatoire au principe de sectorisation scolaire, lui-même fondé sur l’article L. 131-5 du même code. Le législateur a ainsi voulu concilier le principe d’organisation territoriale du service public de l’éducation avec la prise en compte de situations particulières nécessitant une souplesse d’application.
L’apport essentiel de cette décision réside dans l’appréciation concrète que le juge administratif opère des motifs médicaux justifiant une dérogation. Le tribunal ne s’est pas contenté d’une analyse formelle de l’existence d’un état de santé problématique. Il a procédé à un examen approfondi des conséquences qu’aurait un changement d’établissement sur la santé de l’enfant. Les pièces médicales versées au dossier faisaient état d’une anxiété importante, de troubles alimentaires ayant des répercussions sur le poids de l’enfant, et surtout, démontraient que le maintien dans l’établissement où elle avait déjà été scolarisée lui permettait de surmonter progressivement ces difficultés.
Face à ces éléments, la commune de Maisons-Alfort avait opposé la possibilité de mettre en place un projet d’accueil individualisé (PAI) dans l’école de secteur à Créteil. Cet argument, bien que juridiquement recevable, n’a pas convaincu le tribunal. Les juges ont estimé que si un PAI pouvait certes aplanir une partie des difficultés, le transfert dans un autre établissement était néanmoins de nature à aggraver notablement l’état de santé de l’enfant et à compromettre gravement son équilibre psychologique. Cette analyse témoigne d’une approche pragmatique et soucieuse de l’intérêt supérieur de l’enfant.
La décision illustre également les limites du pouvoir d’appréciation des maires en matière de dérogations scolaires. Si l’autorité municipale dispose d’une marge de manœuvre dans la gestion de la carte scolaire et l’organisation des inscriptions, cette marge n’est pas discrétionnaire lorsque sont en jeu des motifs médicaux sérieux. Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, exercé par le juge administratif, se révèle ici particulièrement approfondi. Il ne s’agit plus simplement de vérifier l’absence d’erreur grossière, mais d’apprécier la proportionnalité entre les contraintes organisationnelles invoquées par la commune et l’atteinte potentielle à la santé de l’enfant.
Un autre aspect notable de la décision concerne la charge de la preuve. Les requérants ont produit un certificat médical du service des urgences pédiatriques et deux attestations d’une psychologue clinicienne. Cette documentation médicale solide a été déterminante. Elle souligne l’importance, pour les familles confrontées à un refus de dérogation, de constituer un dossier médical complet et circonstancié, démontrant non seulement l’existence de troubles de santé, mais surtout leurs liens avec la scolarisation dans un établissement déterminé.
Le tribunal a également relevé que la commune ne soutenait pas que l’école Jules Ferry était dépourvue de places disponibles. Ce point est essentiel car la capacité d’accueil constitue une limite légitime au droit à dérogation. En l’absence d’un tel argument, le refus opposé aux parents apparaissait d’autant plus fragile face à l’impératif de protection de la santé de l’enfant.
La portée de cette décision dépasse le cas d’espèce. Elle rappelle aux collectivités territoriales l’exigence d’un examen attentif et individualisé de chaque demande de dérogation fondée sur des motifs médicaux. Un refus automatique ou insuffisamment motivé s’expose à la censure du juge. Par ailleurs, les maires doivent veiller à respecter les règles de procédure qu’ils ont eux-mêmes instituées, comme la consultation d’une commission de dérogation, même si ce moyen n’a finalement pas été examiné par le tribunal qui a fait droit aux requérants sur le fond.
Pour les praticiens, cette jurisprudence confirme l’effectivité du contrôle juridictionnel en matière de sectorisation scolaire. Elle démontre que le juge administratif n’hésite pas à censurer les décisions communales lorsque l’intérêt de l’enfant, notamment sous l’angle de sa santé, n’a pas été suffisamment pris en compte. L’injonction prononcée par le tribunal, imposant à la commune d’inscrire l’enfant dans un délai de trois jours, témoigne également de la volonté du juge de garantir l’exécution rapide de sa décision, dans l’intérêt direct de la scolarité de l’enfant.
Cette affaire illustre enfin la nécessité d’un dialogue constructif entre les familles et les autorités scolaires, qui pourrait éviter bien des contentieux lorsque des situations médicales particulières sont en jeu.
TA Melun, 4e ch., 12 sept. 2025, n° 2509608