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Les limites de la contribution intercommunale aux frais de cantine scolaire : une clarification bienvenue

Le tribunal administratif de Bastia a rendu le 24 octobre 2025 un jugement particulièrement éclairant sur la question délicate du financement de la restauration scolaire lorsque des enfants sont scolarisés dans une commune autre que leur commune de résidence. Cette décision tranche un litige opposant les communes d’Albitreccia et de Pietrosella sur une période de trois années scolaires et pose des principes clairs sur les obligations financières des collectivités territoriales en matière de services périscolaires.

Le contexte factuel révèle une situation fréquente en milieu rural ou péri-urbain. Des enfants domiciliés dans la commune d’Albitreccia étaient scolarisés à l’école de la commune voisine de Pietrosella. Le centre communal d’action sociale de cette dernière commune avait émis deux titres exécutoires à l’encontre d’Albitreccia, le premier le 3 mai 2022 pour un montant de 6269 euros au titre de l’année 2022, le second le 9 novembre 2022 pour 24124 euros couvrant les années 2020, 2021 et 2022. Ces sommes correspondaient à la participation demandée pour les dépenses de fonctionnement de la cantine scolaire. La commune d’Albitreccia contestait ces titres et refusait de s’acquitter de ces contributions.

Le fondement juridique de la contestation repose sur l’interprétation de l’article L. 212-8 du code de l’éducation. Ce texte organise la répartition des dépenses de fonctionnement des écoles maternelles et élémentaires publiques lorsqu’elles accueillent des élèves domiciliés dans d’autres communes. Le mécanisme prévu par le législateur prévoit qu’un accord entre la commune d’accueil et la commune de résidence doit fixer cette répartition. À défaut d’accord, c’est le représentant de l’État dans le département qui fixe la contribution après avis du conseil départemental de l’éducation nationale. Le calcul de cette contribution prend en compte les ressources de la commune de résidence, le nombre d’élèves concernés et le coût moyen par élève dans la commune d’accueil.

La question centrale soumise au tribunal portait sur le périmètre exact des dépenses de fonctionnement susceptibles d’être mises à la charge de la commune de résidence. Le texte précise explicitement que les dépenses à prendre en compte excluent celles relatives aux activités périscolaires. C’est précisément sur ce point que le tribunal apporte une clarification déterminante en affirmant que la cantine scolaire constitue un service public facultatif relevant des activités périscolaires et ne figure donc pas au nombre des dépenses de fonctionnement de l’école publique pouvant être mises de plein droit à la charge de la commune de résidence.

Cette interprétation mérite d’être soulignée car elle distingue nettement le fonctionnement obligatoire de l’école, que les communes doivent assurer en vertu de leurs obligations légales, et les services périscolaires facultatifs que chaque collectivité organise librement. La restauration scolaire, bien qu’elle facilite la scolarisation et réponde à un besoin social évident, conserve juridiquement sa nature de service public facultatif. Les communes ne sont pas tenues de l’organiser, contrairement à l’enseignement primaire lui-même qui relève de l’obligation scolaire.

Le tribunal examine ensuite un argument de la commune de Pietrosella fondé sur la pratique antérieure. Il était établi qu’Albitreccia avait acquitté depuis 1991 et jusqu’en 2018, à la demande de Pietrosella, une partie des frais de fonctionnement de l’école. La commune demanderesse tentait de faire valoir que cette longue pratique constituait un accord tacite pérenne l’obligeant à poursuivre ces paiements. Le tribunal écarte cette prétention de manière ferme en jugeant que ces paiements successifs ne peuvent établir qu’un accord tacite limité à chaque année pour laquelle le paiement a été effectué, sans créer d’engagement pour les années ultérieures.

Ce raisonnement protège l’autonomie financière des communes en refusant qu’une pratique, même prolongée, puisse créer une obligation perpétuelle sans manifestation de volonté expresse renouvelée. Une collectivité territoriale conserve ainsi la possibilité de remettre en cause des arrangements financiers devenus inadaptés ou trop coûteux, même s’ils ont perduré pendant plusieurs décennies. Cette solution préserve le principe du consentement à l’impôt et aux dépenses publiques.

Le tribunal rappelle ensuite qu’il demeure loisible aux communes de conclure un accord spécifique prévoyant la prise en charge par la commune de résidence d’une partie des frais de restauration scolaire. La liberté contractuelle des collectivités n’est pas remise en cause. Simplement, un tel accord ne peut résulter d’une simple reconduction tacite ou d’une obligation légale automatique. Il nécessite un consentement explicite pour chaque période concernée.

L’élément factuel décisif réside dans le courrier du 26 novembre 2020 par lequel le maire d’Albitreccia a clairement manifesté à son homologue de Pietrosella son refus de prendre en charge les frais de restauration des enfants de sa commune. Cette manifestation expresse de volonté contraire scelle le sort du litige. En l’absence d’accord de la commune débitrice sur la prise en charge de ces frais de cantine pour les années scolaires 2019-2020, 2020-2021 et 2021-2022, les titres exécutoires émis par le centre communal d’action sociale sont dépourvus de base légale.

Les conséquences pratiques de cette décision sont importantes. Le tribunal prononce l’annulation des deux titres de recettes et décharge la commune d’Albitreccia de l’obligation de payer les sommes réclamées, soit un total de plus de 30000 euros. La commune de Pietrosella est en outre condamnée à verser 2000 euros au titre des frais de justice exposés par Albitreccia. On notera que la commune demanderesse avait elle-même sollicité pareille somme à son profit, prétention logiquement rejetée puisqu’elle n’était pas la partie gagnante.

Cette jurisprudence offre plusieurs enseignements aux collectivités territoriales. Pour les communes d’accueil qui scolarisent des enfants d’autres communes, elle rappelle qu’elles ne peuvent exiger unilatéralement la participation aux frais de cantine sans accord préalable de la commune de résidence. Les arrangements financiers en matière de restauration scolaire doivent faire l’objet de conventions formalisées, régulièrement actualisées et acceptées par toutes les parties. La simple habitude ou l’ancienneté d’une pratique ne suffisent pas à créer une obligation juridiquement contraignante.

Pour les communes de résidence, la décision confirme qu’elles peuvent légitimement refuser de contribuer aux frais de cantine d’une autre commune, même si leurs administrés bénéficient du service. Cette position peut néanmoins s’avérer délicate politiquement, car elle risque de placer les familles concernées dans une situation difficile, la commune d’accueil pouvant être tentée de facturer directement aux parents des tarifs plus élevés pour compenser l’absence de participation de la commune de résidence.

On relèvera enfin l’intérêt procédural de cette affaire. Le jugement joint deux requêtes portant sur des questions identiques ayant fait l’objet d’une instruction commune. On observe également que la commune de Pietrosella avait déclaré se désister dans des mémoires de septembre 2025, désistement qui n’a manifestement pas été validé puisque le tribunal a statué au fond. Cette tentative de désistement tardive illustre peut-être une prise de conscience de la fragilité juridique de la position défendue.

Cette décision participe d’une jurisprudence plus large qui circonscrit précisément les obligations financières réciproques des communes en matière scolaire, distinguant ce qui relève du service public obligatoire de l’enseignement et ce qui appartient aux services facultatifs périscolaires.

 

TA Bastia, 1re ch., 24 oct. 2025, n°2300034