L’arrêt rendu le 6 avril 2023 par la cour administrative d’appel de Marseille apporte un éclairage précieux sur les conditions dans lesquelles un maire peut s’opposer au raccordement d’une construction au réseau d’assainissement collectif. Cette décision, qui confirme au fond l’annulation prononcée en première instance tout en corrigeant les motifs retenus par les premiers juges, illustre la rigueur avec laquelle le juge administratif encadre l’exercice des pouvoirs de police en matière d’urbanisme.
Le cadre juridique du refus de raccordement
L’article L. 111-12 du code de l’urbanisme constitue le fondement essentiel du pouvoir dont dispose l’autorité compétente pour refuser le raccordement définitif d’une construction aux différents réseaux. Ce texte prévoit que les bâtiments soumis aux dispositions relatives aux autorisations d’urbanisme ne peuvent être raccordés aux réseaux d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone si leur construction n’a pas été régulièrement autorisée. La cour administrative d’appel rappelle dans son considérant de principe que ces dispositions présentent le caractère de mesures de police de l’urbanisme destinées à assurer le respect des règles d’utilisation du sol.
Un apport significatif de cet arrêt réside dans la précision selon laquelle les réseaux d’eau visés par l’article L. 111-12 incluent les réseaux d’assainissement en tant que réseaux d’eaux usées. Cette interprétation extensive permet à l’autorité administrative chargée de la délivrance des permis de construire de refuser le raccordement au réseau d’assainissement collectif d’un bâtiment irrégulièrement édifié, levant ainsi toute ambiguïté sur le champ d’application de ce pouvoir de police.
Une compétence établie mais un fondement insuffisant
Dans l’affaire jugée, la commune de Cadolive avait fait opposition à une demande de raccordement au réseau public d’assainissement présentée par deux propriétaires. Le maire invoquait diverses irrégularités affectant la construction concernée, notamment une prétendue non-conformité au permis de construire délivré en 2007 et des considérations relatives au caractère constructible du terrain.
Le tribunal administratif de Marseille avait annulé l’arrêté d’opposition en retenant quatre motifs : l’incompétence du maire, l’insuffisance de motivation de la décision, le non-respect du principe du contradictoire et la méconnaissance des dispositions de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme. La cour administrative d’appel, saisie par la commune, a procédé à un réexamen complet de ces différents griefs en application de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme qui impose au juge d’appel, en matière d’urbanisme, de se prononcer sur tous les motifs d’annulation retenus par les premiers juges.
Sur les aspects formels et procéduraux, la cour a considéré que le tribunal avait commis plusieurs erreurs de droit. S’agissant de la motivation, elle a relevé que l’arrêté, bien que ne mentionnant pas explicitement l’article L. 111-12, faisait référence à différentes motivations juridiques suffisantes. Concernant le principe du contradictoire, la cour a jugé que le maire, qui réagissait à une demande de raccordement, n’était pas tenu d’organiser une procédure contradictoire préalable, même pour une mesure de police de l’urbanisme. Enfin, la cour a confirmé la compétence du maire pour se prononcer sur de telles demandes de raccordement.
L’exigence de prouver l’irrégularité de la construction
Le cœur du raisonnement de la cour réside dans l’examen au fond de la légalité du refus de raccordement. Ayant infirmé les motifs formels retenus par les premiers juges, elle devait, par l’effet dévolutif de l’appel, se prononcer sur les autres moyens soulevés en première instance. C’est sur ce terrain substantiel que l’arrêté d’opposition s’est révélé illégal.
La cour a d’abord écarté l’argument selon lequel la construction serait devenue irrégulière du seul fait d’une division parcellaire intervenue postérieurement à la délivrance du permis de construire en 2007. Cette position est conforme au principe selon lequel une autorisation d’urbanisme régulièrement délivrée confère des droits acquis qui ne peuvent être remis en cause par des modifications ultérieures du contexte foncier, sauf circonstances particulières.
Plus fondamentalement, la cour a constaté que la commune n’apportait aucune précision pour étayer son affirmation selon laquelle la construction ne serait pas conforme au permis de construire initial. Cette absence totale d’éléments probants était rédhibitoire. En effet, l’article L. 111-12 ne permet de refuser un raccordement que si la construction n’a pas été régulièrement autorisée ou si elle ne respecte pas l’autorisation délivrée. L’autorité qui entend s’opposer à un raccordement sur ce fondement doit donc démontrer l’existence d’une irrégularité caractérisée.
La cour a également relevé que la commune n’explicitait pas le fondement juridique des autres motifs opposés au raccordement. Cette absence de base légale claire pour justifier le refus constituait un vice supplémentaire entachant la décision contestée.
Les enseignements pour la pratique
Cet arrêt rappelle aux communes que le pouvoir de refuser un raccordement au réseau d’assainissement, bien qu’il constitue une prérogative de police de l’urbanisme, ne peut s’exercer qu’à des conditions strictes. L’autorité municipale doit établir de manière précise et documentée l’irrégularité de la construction dont le raccordement est sollicité. De simples allégations non étayées sont insuffisantes.
Pour les administrés, cette jurisprudence confirme qu’une construction régulièrement autorisée par un permis de construire ne peut se voir refuser ultérieurement le raccordement aux réseaux au seul motif d’évolutions du contexte foncier, comme une division parcellaire. La sécurité juridique des autorisations d’urbanisme se trouve ainsi préservée, sous réserve que la construction ait effectivement été réalisée conformément au permis délivré.
CAA Marseille, 1re ch. – formation à 3, 6 avr. 2023, n° 20MA00172.