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Le droit d’accès des riverains à leur propriété : une limite aux pouvoirs de police du maire

Le jugement rendu par le Tribunal administratif de Toulouse le 7 octobre 2024 vient utilement rappeler que les pouvoirs de police du maire en matière de circulation, aussi étendus soient-ils, trouvent leur limite dans le respect des droits fondamentaux des riverains, au premier rang desquels figure le droit d’accès à la propriété. Cette décision illustre l’exercice délicat du contrôle de proportionnalité auquel se livre le juge administratif lorsqu’une mesure de police municipale heurte frontalement une liberté fondamentale.

L’affaire trouve son origine dans un arrêté municipal du 15 décembre 2021 par lequel la maire de Pamiers a interdit le stationnement et la circulation place du Camp et rue du Camp, aux abords d’une église. Cette mesure avait pour objectif avoué de réserver le parvis de l’église à la circulation des piétons et des modes doux. Si cette finalité peut sembler légitime dans une perspective d’apaisement de l’espace public urbain et de promotion des mobilités douces, sa mise en œuvre s’est révélée juridiquement problématique dès lors qu’elle privait totalement une riveraine de tout accès véhiculé à son domicile.

La requérante, propriétaire d’un immeuble situé au 1, rue du Camp, s’est trouvée dans l’impossibilité d’accéder en voiture à sa propriété, la rue du Camp constituant l’unique voie d’accès à son domicile. Elle ne disposait d’aucune alternative pour rejoindre son bien avec un véhicule, ni d’aucune possibilité de stationnement à proximité, même pour une courte durée. Face au refus implicite de la commune de retirer cet arrêté, elle a saisi le tribunal administratif pour en obtenir l’annulation.

Un aspect procédural mérite d’être souligné en préambule. La commune de Pamiers n’a produit aucun mémoire en défense malgré une mise en demeure du tribunal. Dans cette hypothèse, l’article R. 612-6 du code de justice administrative prévoit que le défendeur est réputé avoir acquiescé aux faits exposés par le requérant, sous réserve que leur inexactitude ne ressorte d’aucune pièce du dossier. Le tribunal a donc considéré comme établis les faits allégués par la requérante concernant l’absence totale d’accès alternatif à son domicile. Cette abstention de la commune, qui témoigne peut-être d’une difficulté à justifier juridiquement sa décision, a facilité le travail du juge mais n’en détermine pas moins la solution du litige.

Sur le fond, le tribunal a d’abord rappelé le cadre juridique applicable aux mesures de police de la circulation. Les articles L. 2212-2, L. 2213-1, L. 2213-2 et L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales confèrent au maire d’importants pouvoirs pour réglementer la circulation et le stationnement sur le territoire communal. Ces prérogatives s’exercent notamment en vue d’assurer la sûreté et la commodité du passage dans les voies publiques, ainsi que la tranquillité des habitants et la sécurité des usagers. Le maire peut ainsi interdire l’accès de certaines voies à certaines heures ou à certaines catégories de véhicules, eu égard aux nécessités de la circulation et de la protection de l’environnement.

Toutefois, ces pouvoirs de police ne sont pas discrétionnaires et leur exercice est soumis à un contrôle juridictionnel rigoureux. Le tribunal a rappelé trois principes essentiels qui encadrent l’action du maire. Premièrement, il appartient au juge de l’excès de pouvoir de contrôler l’adéquation des mesures prises aux nécessités de la sécurité publique et la prise en compte par l’autorité municipale des droits d’accès des riverains à la voie publique. Deuxièmement, la légalité d’une mesure de police est subordonnée à sa nécessité, celle-ci devant être justifiée par l’existence de risques particuliers et adaptée par son contenu à l’objectif poursuivi. Troisièmement, et c’est là le cœur du raisonnement, les riverains d’une voie publique ont le droit d’accéder librement à leur propriété, à pied ou avec un véhicule.

Ce droit d’accès constitue un accessoire du droit de propriété, lequel revêt le caractère d’une liberté fondamentale. Le maire ne peut en refuser l’exercice que pour des motifs tirés de la conservation et de la protection du domaine public ou de la sécurité de la circulation sur la voie publique. Cette exigence jurisprudentielle constante protège les propriétaires contre des restrictions injustifiées de leurs prérogatives essentielles.

Le tribunal a ensuite opéré une distinction capitale entre une simple gêne dans l’exercice du droit d’accès et une privation totale de ce droit. Alors qu’une gêne temporaire ou partielle peut être admise au nom de considérations d’intérêt général, la privation de tout accès à la voie publique est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que représente le droit de propriété.

En l’espèce, le tribunal a constaté que l’interdiction édictée ne constituait pas une simple gêne mais bien une interdiction générale et absolue. La requérante se trouvait dans l’impossibilité totale d’accéder en voiture à son domicile et de stationner à proximité, même brièvement. Cette situation caractérisait une atteinte disproportionnée à son droit de propriété.

L’analyse du tribunal sur la justification de la mesure est particulièrement instructive. Les motifs invoqués par la commune, à savoir la réservation du parvis de l’église aux piétons et aux modes doux, pouvaient certes se rapporter à la sécurité de la circulation des piétons et des cyclistes. Cependant, le tribunal a estimé qu’il n’était pas établi que le maintien d’un accès pour les seuls riverains de la rue du Camp compromettrait cet objectif de sécurité. Le tribunal a notamment relevé le faible nombre de riverains concernés et l’existence d’aménagements possibles, comme une barrière entre la rue et la place, qui auraient permis de concilier la sécurité de la circulation piétonne et l’accès véhiculé des résidents.

Cette analyse révèle que le juge administratif ne se contente pas de vérifier l’existence d’un motif d’intérêt général, mais examine concrètement si des solutions alternatives moins attentatoires aux droits des administrés auraient pu être mises en œuvre. En l’absence de démonstration par la commune de l’impossibilité de tels aménagements, l’interdiction totale apparaît disproportionnée.

Le tribunal a donc annulé l’arrêté municipal en tant qu’il portait interdiction générale et absolue de circulation et de stationnement pour les riverains de la rue du Camp, et a condamné la commune à verser à la requérante la somme de 1 000 euros au titre des frais de justice.

Cette décision appelle plusieurs enseignements pour les collectivités territoriales. Elle rappelle d’abord que toute mesure de police doit être proportionnée à l’objectif poursuivi et qu’une interdiction générale et absolue requiert une justification particulièrement solide. Elle souligne ensuite l’obligation pour le maire de rechercher, avant d’édicter une mesure restrictive, des solutions alternatives permettant de concilier les impératifs de sécurité ou d’aménagement urbain avec les droits fondamentaux des riverains. Enfin, elle illustre les risques contentieux encourus lorsqu’une collectivité ne produit aucune défense, laissant ainsi le juge sans élément pour apprécier la proportionnalité de la mesure contestée.

TA Toulouse, 5e ch., 7 oct. 2024, n° 2202615