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La responsabilité des communes dans l’entretien de leurs espaces verts : une obligation renforcée par le Tribunal administratif de Rouen

Le jugement rendu par le Tribunal administratif de Rouen le 23 janvier 2025 illustre avec acuité l’étendue des obligations pesant sur les collectivités territoriales en matière d’entretien de leurs espaces publics. Cette décision mérite l’attention tant elle rappelle les principes gouvernant la responsabilité administrative pour défaut d’entretien d’un ouvrage public, tout en précisant les conditions d’exonération de cette responsabilité.

L’affaire trouve son origine dans un drame survenu le 31 juillet 2014, lorsqu’un enfant de douze ans a été gravement blessé par la chute d’une branche d’arbre de 300 kilogrammes dans le parc du Quesnot à Saint-Aubin-lès-Elbeuf. La victime a subi une fracture du fémur ayant nécessité plusieurs interventions chirurgicales et laissant des séquelles permanentes. Après consolidation de son état de santé en décembre 2020 et réalisation d’une expertise, l’enfant devenu jeune adulte a réclamé à la commune une indemnisation de plus de 88 000 euros.

Le tribunal a d’abord écarté les conclusions en annulation de la décision implicite de rejet, rappelant qu’en présence d’un recours de plein contentieux, les vices affectant la décision administrative sont sans incidence sur la solution du litige. Cette approche procédurale traduit la nature spécifique du contentieux indemnitaire, où le juge se prononce directement sur le droit à indemnisation sans s’attacher aux modalités de la décision initiale.

Sur le fond, le tribunal a appliqué le régime classique de responsabilité pour défaut d’entretien normal d’un ouvrage public. Ce régime établit une présomption de responsabilité pesant sur la collectivité gestionnaire dès lors qu’un lien de causalité est établi entre l’ouvrage et le dommage. Il appartient alors à la personne publique de démontrer soit l’entretien normal de l’ouvrage, soit une faute de la victime, soit un cas de force majeure.

L’expertise sylvicole réalisée par un spécialiste s’est révélée particulièrement accablante pour la commune. L’expert a mis en évidence que la branche était issue d’un rejet sur une souche d’érable sycomore fortement endommagée par des parasites et des champignons. Cette structure végétale présentait une fragilité structurelle évidente, la branche supérieure étant morte depuis de longs mois et menaçant de chuter à tout instant. Plus grave encore, l’expert a relevé que cette situation résultait d’une coupe initiale non conforme aux règles de l’art sylvicole, suivie d’une absence d’entretien du rejet dégénéré qui en était issu.

Le tribunal ne s’est pas contenté de ce constat isolé. Il a souligné que l’expertise avait révélé l’existence d’autres arbres dangereux dans le parc, notamment une autre souche supportant un rejet à risque, un sujet de grande taille complètement rongé et incliné, ainsi que de nombreux spécimens en état de suspension maintenus uniquement par l’entremêlement des branches. L’expert avait d’ailleurs noté un état d’abandon quasi-complet des arbres du périmètre et l’usage de coupes sporadiques mal réalisées créant des risques supplémentaires.

Face à ces éléments, l’argument de la commune selon lequel elle disposait de quatorze agents et réalisait des opérations de fauchage et d’élagage périodiques s’est révélé insuffisant. Le tribunal a considéré que les pratiques de surveillance et d’entretien du patrimoine sylvicole du parc n’étaient conformes ni aux règles de l’art sylvicole ni même aux règles élémentaires de sécurité dans un parc d’agrément.

La commune a également tenté, sans succès, d’obtenir un partage de responsabilité en invoquant un défaut de surveillance de l’enfant. Le tribunal a rejeté cet argument en relevant que le fait de se tenir sous un arbre dans un espace boisé ouvert au public ne constitue pas un comportement imprudent ou anormal. Cette position jurisprudentielle est importante car elle place la barre très haut s’agissant de la faute de la victime susceptible d’exonérer partiellement la collectivité. Le juge considère qu’un usager est en droit d’attendre que les espaces publics qui lui sont ouverts présentent les conditions normales de sécurité.

Sur le plan indemnitaire, le tribunal a procédé à une évaluation détaillée des différents postes de préjudice. La commune a été condamnée à verser à la victime la somme de 22 997 euros, comprenant notamment 6 473 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 8 000 euros pour les souffrances endurées, et 4 000 euros pour le déficit fonctionnel permanent. Le tribunal a cependant rejeté les demandes relatives au préjudice scolaire et d’orientation professionnelle, considérant qu’il n’était pas établi que le déficit fonctionnel permanent fasse obstacle à l’exercice de la profession d’architecte envisagée par la victime.

Par ailleurs, la Caisse primaire d’assurance maladie de l’Hérault a obtenu le remboursement de ses débours à hauteur de 7 277,58 euros, ainsi que l’indemnité forfaitaire de gestion prévue par le code de la sécurité sociale, fixée à 1 212 euros. Les frais d’expertise, s’élevant à 5 181,84 euros, ont également été mis à la charge de la commune.

Cette décision rappelle aux collectivités territoriales l’importance d’une gestion rigoureuse de leur patrimoine arboré. L’entretien des espaces verts ne saurait se limiter à des opérations de fauchage ou d’élagage sporadiques. Il exige une surveillance régulière par des professionnels compétents, capables d’identifier les risques phytosanitaires et structurels, et une programmation d’interventions conformes aux règles de l’art sylvicole. Le coût de telles mesures préventives demeure sans commune mesure avec les conséquences financières et humaines d’un accident évitable.

TA Rouen, 3 eme ch., 23 janv. 2025, n° 2204598