La mise en concurrence préalable : une exigence incontournable pour l’occupation domaniale à but économique
Le tribunal administratif de Montpellier vient de rappeler, dans une ordonnance de référé du 5 février 2025, l’importance cruciale du respect des procédures de mise en concurrence lors de l’attribution d’autorisations d’occupation du domaine public permettant une exploitation économique. Cette décision mérite une attention particulière car elle illustre la rigueur avec laquelle le juge administratif appréhende les manquements aux règles de transparence et d’impartialité imposées par le code général de la propriété des personnes publiques.
Les faits à l’origine du litige
La commune de Saint-Genis-des-Fontaines avait achevé en octobre 2024 la construction d’un complexe tennistique comprenant cinq courts de tennis, deux terrains de padel et un club house. Par une délibération du 25 novembre 2024, le conseil municipal avait autorisé la maire à signer une convention annuelle d’objectifs et de moyens avec l’association Tennis Padel des Fontaines, convention effectivement conclue le 20 décembre suivant.
Cette convention confiait gratuitement à l’association, pour une durée d’un an renouvelable, la gestion de l’ensemble du complexe. L’association se voyait ainsi chargée de promouvoir la pratique du tennis et du padel, d’organiser des stages sportifs et surtout d’optimiser l’utilisation des structures municipales en assurant la gestion des accès aux courts toute l’année. Pour financer son activité, l’association percevait des recettes provenant des adhésions, des réservations de cours ainsi que de la vente de boissons, y compris alcoolisées au moyen d’une licence III.
C’est dans ce contexte qu’une association locale de défense de l’environnement et quatre conseillers municipaux ont saisi le juge des référés pour demander la suspension de l’exécution de la délibération et de la convention, invoquant l’absence de mise en concurrence préalable.
Le cadre juridique applicable
Le juge des référés fonde son analyse sur l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques, disposition essentielle en matière d’occupation domaniale. Ce texte impose, sauf dispositions législatives contraires, que lorsqu’un titre d’occupation du domaine public permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser ce domaine en vue d’une exploitation économique, l’autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester.
Cette exigence, issue de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, traduit une volonté du législateur d’assurer l’égalité de traitement des opérateurs économiques et de prévenir les risques de favoritisme dans l’attribution des autorisations domaniales à caractère économique.
La qualification d’exploitation économique
L’un des apports majeurs de cette décision réside dans l’analyse menée par le juge pour qualifier la convention litigieuse d’autorisation d’occupation du domaine public à but économique. Le tribunal relève plusieurs éléments déterminants qui, pris dans leur ensemble, caractérisent sans ambiguïté une exploitation économique.
D’abord, l’association se voyait confier la mission d’optimiser l’utilisation des structures municipales en assurant la gestion des accès aux courts de manière permanente, trois cent soixante-cinq jours par an. Cette mission de gestion complète et continue du complexe dépasse largement le cadre d’une simple mise à disposition gratuite à une association sportive locale.
Ensuite, le modèle économique de l’association reposait sur des recettes diversifiées : adhésions, réservations de cours et vente de boissons alcoolisées et non alcoolisées grâce à une licence III. Cette dimension commerciale, particulièrement marquée par l’exploitation d’un débit de boissons, ancre clairement l’activité dans une logique économique.
Enfin, le juge souligne que les activités sportives en question ne peuvent, en l’état, s’accomplir dans d’autres installations publiques de la commune. Cette exclusivité de fait confère à l’autorisation une valeur économique indéniable, puisque l’association bénéficiaire dispose d’un monopole sur l’accès à ces équipements spécifiques.
L’urgence à suspendre l’exécution
Pour prononcer la suspension, le juge des référés doit constater l’existence d’une urgence et d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée. Sur la condition d’urgence, l’ordonnance apporte une précision importante concernant la recevabilité des élus municipaux à contester un contrat conclu par leur collectivité.
Le tribunal rappelle que les membres de l’organe délibérant sont recevables à former un recours contre un contrat administratif conclu par leur collectivité et peuvent solliciter sa suspension. Pour apprécier l’urgence dans ce cas particulier, le juge peut prendre en compte les atteintes aux prérogatives des élus, aux intérêts de la collectivité ou à tout autre intérêt public. Constitue notamment un intérêt public justifiant l’urgence l’existence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat.
En l’espèce, le juge considère que l’absence de procédure de sélection préalable constitue un vice d’une particulière gravité. Ce vice, compte tenu de sa nature, ne peut être régularisé a posteriori sans remettre en cause l’économie générale du contrat. Cette impossibilité de régularisation justifie à elle seule que la condition d’urgence soit regardée comme remplie, indépendamment de la démonstration d’un préjudice concret et immédiat.
Le doute sérieux quant à la légalité
Le doute sérieux est rapidement caractérisé par le juge. L’absence manifeste de toute procédure de publicité et de mise en concurrence, alors que la convention permet l’exploitation économique d’équipements publics communaux dans un contexte d’exclusivité de fait, constitue une violation flagrante des dispositions de l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques.
Le tribunal écarte implicitement l’argument selon lequel le caractère annuel de l’autorisation pourrait dispenser la commune de l’obligation de mise en concurrence. La durée limitée de la convention ne fait pas obstacle à l’application de l’obligation de publicité et de mise en concurrence dès lors que l’occupation du domaine public permet une exploitation économique. Cette position illustre une interprétation stricte du texte, qui ne prévoit aucune exception tenant à la durée de l’autorisation.
Les modalités de la suspension
L’ordonnance présente une particularité notable dans ses modalités d’exécution. Le juge prononce certes la suspension de la délibération et de la convention, mais cette suspension ne prend effet qu’au 5 mai 2025, soit trois mois après le prononcé de l’ordonnance. Cette solution pragmatique vise à permettre à la commune, si elle le souhaite, de procéder d’ici cette date à une mise en concurrence dans les règles.
Ce délai constitue un équilibre entre plusieurs impératifs. D’une part, il sanctionne l’irrégularité commise en suspendant effectivement l’exécution du contrat. D’autre part, il évite une interruption brutale du service qui pourrait porter préjudice aux usagers du complexe sportif. Enfin, il offre à la collectivité une opportunité de régularisation par l’organisation d’une procédure de sélection conforme aux exigences légales.
Les enseignements pour les collectivités territoriales
Cette décision constitue un rappel salutaire des obligations pesant sur les personnes publiques en matière d’occupation domaniale. Plusieurs leçons doivent en être tirées par les collectivités territoriales et leurs conseils.
Premièrement, la qualification d’exploitation économique doit être appréciée de manière concrète et globale. Le fait qu’une convention soit qualifiée de « convention d’objectifs et de moyens » ou qu’elle soit conclue avec une association à but non lucratif ne dispense pas d’analyser la réalité de l’activité exercée. Dès lors que l’occupation du domaine public s’accompagne de recettes tirées de l’exploitation et d’une dimension commerciale, même accessoire, l’obligation de mise en concurrence s’impose.
Deuxièmement, le caractère gratuit de l’autorisation n’exonère pas la collectivité de ses obligations de publicité et de mise en concurrence. L’article L. 2122-1-1 vise toute autorisation permettant une exploitation économique, sans distinction selon que l’occupant verse ou non une redevance à la personne publique. Ce qui importe, c’est la possibilité pour le titulaire de l’autorisation de tirer des revenus de son activité sur le domaine public.
Troisièmement, la durée limitée de l’autorisation ne constitue pas davantage une exception à l’obligation de mise en concurrence. Même une convention d’un an, fût-elle assortie d’une clause de reconduction expresse, doit respecter les exigences de publicité et de mise en concurrence si elle permet une exploitation économique. Cette solution se justifie par le fait que des conventions annuelles reconduites peuvent, en pratique, perdurer de nombreuses années et créer des situations de rente.
Quatrièmement, les collectivités doivent être particulièrement vigilantes lorsqu’elles confient la gestion d’équipements publics à des associations locales. Si la volonté de soutenir le tissu associatif est légitime, elle ne peut s’affranchir du respect des règles de mise en concurrence dès lors qu’une dimension économique est présente. Le cas échéant, il convient de réfléchir à des modes de soutien alternatifs, tels que le versement de subventions ou la mise à disposition d’équipements pour des créneaux horaires déterminés, qui n’entreraient pas dans le champ d’application de l’article L. 2122-1-1.
Perspectives et conclusion
Cette ordonnance s’inscrit dans une jurisprudence désormais bien établie qui sanctionne rigoureusement les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence en matière domaniale. Elle témoigne de la volonté du juge administratif de faire respecter les principes de transparence et d’égalité dans l’accès au domaine public, principes qui constituent des garanties essentielles tant pour les opérateurs économiques que pour les usagers et les contribuables.
Pour les collectivités territoriales, cette décision constitue une incitation forte à sécuriser juridiquement leurs pratiques en matière d’occupation domaniale. Face à un doute sur la qualification économique d’une activité envisagée, la prudence commande d’organiser une procédure de publicité et de mise en concurrence, quitte à ce que celle-ci se révèle a posteriori n’avoir pas été strictement obligatoire. À l’inverse, le choix de s’affranchir de ces formalités fait peser sur la collectivité un risque contentieux important, susceptible de conduire à l’annulation ou à la suspension des actes en cause.
Au-delà de la seule sécurité juridique, l’organisation d’une procédure de sélection présente des avantages en termes de bonne gestion publique. Elle permet d’identifier le meilleur projet, d’optimiser les conditions financières de l’occupation et de prévenir les suspicions de favoritisme. Dans un contexte où la transparence de l’action publique fait l’objet d’attentes sociales croissantes, le respect scrupuleux de ces obligations procédurales participe de la légitimité de l’action des collectivités territoriales.