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Établissements recevant du public de 5ème catégorie : quand l’autorité municipale méconnaît le régime d’exception

Le jugement rendu par le tribunal administratif de Bordeaux le 24 juillet 2023 offre une illustration précieuse des subtilités du régime juridique applicable aux établissements recevant du public de cinquième catégorie. Cette décision rappelle avec rigueur que le régime dérogatoire dont bénéficient ces petits établissements ne peut être méconnu par les autorités municipales, fût-ce au nom de préoccupations sécuritaires légitimes.

Une fermeture administrative contestée

L’affaire concerne un restaurant exploité par la société Le Club Restaurant à Gujan-Mestras, établissement classé en cinquième catégorie au sens de la réglementation relative à la sécurité contre les risques d’incendie et de panique. Le 30 avril 2021, la commission intercommunale de sécurité effectue une visite de contrôle et constate que l’exploitant a réalisé l’aménagement d’une terrasse extérieure couverte sans avoir sollicité l’avis préalable de la commission consultative départementale de sécurité et d’accessibilité ni du service départemental d’incendie et de secours.

Sur la base de ce constat, la maire de Gujan-Mestras prend le 11 mai 2021 un arrêté de fermeture administrative de l’établissement, motivé par l’absence d’essai de sécurité compte tenu des écarts relevés entre l’établissement déclaré et l’existant. L’arrêté précise que la fermeture sera maintenue jusqu’à ce que les observations de la commission soient levées et l’ensemble des travaux de mise en conformité réalisés.

Face à cette mesure radicale, l’exploitant obtient finalement le retrait de l’arrêté de fermeture le 10 juin 2021, après vingt-trois jours d’interruption d’activité. Il saisit alors le tribunal administratif d’une demande indemnitaire, sollicitant la condamnation de la commune à lui verser plus de 100 000 euros en réparation de ses préjudices d’exploitation, d’image et moral.

Le régime dérogatoire des établissements de cinquième catégorie

L’apport majeur de ce jugement réside dans le rappel méthodique du régime juridique applicable aux établissements recevant du public de cinquième catégorie. Le tribunal commence par citer les dispositions pertinentes du code de la construction et de l’habitation, notamment l’article L. 111-8 qui pose le principe selon lequel les travaux conduisant à la création, l’aménagement ou la modification d’un établissement recevant du public ne peuvent être exécutés qu’après autorisation de l’autorité administrative.

Toutefois, l’article R. 123-14 du même code établit un régime d’exception pour les établissements de cinquième catégorie, c’est-à-dire ceux dans lesquels l’effectif du public n’atteint pas le seuil fixé par le règlement de sécurité pour chaque type d’établissement. Ce régime dérogatoire ne soumet ces petits établissements aux dispositions du code de la construction et de l’habitation que dans deux hypothèses : lorsque le maire, après consultation de la commission de sécurité, décide de faire procéder à des visites de contrôle, ou lorsque l’établissement dispose de locaux d’hébergement pour le public.

Le tribunal en déduit une conséquence essentielle : hors ces deux cas particuliers, les établissements de cinquième catégorie ne sont pas soumis aux règles de procédure habituelles en matière de sécurité incendie. En particulier, lorsqu’un permis de construire est nécessaire pour ces établissements, il peut être délivré sans consultation préalable de la commission de sécurité compétente. Cette solution s’inscrit dans une logique de simplification administrative pour les plus petits établissements, dont le risque potentiel est considéré comme moins important.

L’illégalité de l’arrêté de fermeture

Appliquant ce cadre juridique au cas d’espèce, le tribunal relève qu’il est constant que le restaurant exploitait à la date de l’arrêté un établissement de type N (restauration) de cinquième catégorie, sans locaux d’hébergement pour le public. Les travaux de création d’une terrasse extérieure couverte réalisés par l’exploitant n’étaient donc pas soumis à une autorisation préalable au titre de la législation relative à la sécurité dans les établissements recevant du public.

Cette analyse conduit le tribunal à censurer le raisonnement de la commission de sécurité et, par voie de conséquence, celui de la maire. En reprochant à l’exploitant de ne pas avoir sollicité une autorisation avant de réaliser ces travaux, la commission a méconnu le régime dérogatoire applicable aux établissements de cinquième catégorie. Il ne pouvait donc être fait grief à l’exploitant d’avoir omis une démarche qui n’était pas légalement requise.

Le tribunal précise par ailleurs quels étaient les outils juridiques dont disposait effectivement le maire face à cette situation. D’une part, il lui appartenait, compte tenu des éléments dont il disposait, de faire procéder à des visites de contrôle par la commission de sécurité dans les conditions prévues par le code. D’autre part, dans l’hypothèse où un permis de construire aurait été nécessaire, le maire aurait pu indiquer qu’une autorisation d’ouverture resterait nécessaire le cas échéant. En choisissant directement la voie de la fermeture administrative sur le fondement de l’article R. 123-52 du code de la construction et de l’habitation, le maire a excédé ses pouvoirs.

Le jugement écarte enfin l’argument selon lequel la fermeture aurait pu résulter de la mise en œuvre des pouvoirs de police administrative générale du maire. La commune n’établit pas en quoi un danger imminent aurait justifié le recours à ces pouvoirs généraux, indépendamment du régime spécifique de police des établissements recevant du public.

L’évaluation délicate des préjudices

Une fois l’illégalité fautive de l’arrêté établie, le tribunal doit se prononcer sur l’indemnisation des préjudices allégués par l’exploitant. Sa démarche témoigne d’un contrôle rigoureux des demandes indemnitaires, refusant d’accorder des réparations qui ne seraient pas suffisamment étayées.

S’agissant du préjudice d’image et de réputation, que la société évaluait à près de 66 000 euros, le tribunal considère que l’exploitant n’établit pas que la baisse de son chiffre d’affaires durant l’été 2021 et la démission de l’ensemble de ses salariés à l’issue de la saison seraient en lien avec la fermeture administrative de vingt-trois jours survenue entre mai et juin. Cette exigence de preuve d’un lien de causalité direct est classique en matière de responsabilité administrative.

Concernant le préjudice moral, le tribunal fait preuve de retenue en l’évaluant à seulement 500 euros, somme qui apparaît symbolique au regard de la demande initiale de 20 000 euros. Cette approche restrictive s’explique sans doute par la durée relativement courte de la fermeture et l’absence d’éléments établissant un traumatisme particulier.

La question du préjudice d’exploitation appelle une solution plus nuancée. L’exploitant sollicitait près de 14 000 euros au titre de ses pertes de recettes, en se fondant notamment sur une attestation de son expert-comptable faisant état d’une marge commerciale journalière moyenne inhabituellement élevée. Le tribunal, constatant le caractère peu crédible de ce montant et l’absence d’éléments suffisants sur la capacité réelle d’accueil de la terrasse et les aides perçues durant la période, ordonne une expertise avant de statuer.

Cette décision d’ordonner une expertise témoigne de la volonté du juge de ne pas rejeter purement et simplement une demande légitime en son principe, tout en refusant de se fonder sur des éléments insuffisamment probants. L’expert aura pour mission de chiffrer les pertes de recettes, déduction faite des économies réalisées et des aides perçues, notamment au titre des mesures de soutien liées à la pandémie de covid-19.

Les enseignements pratiques

Ce jugement délivre plusieurs messages importants aux exploitants d’établissements recevant du public et aux autorités municipales. Il rappelle d’abord l’existence d’un régime dérogatoire pour les établissements de cinquième catégorie, régime qui mérite d’être mieux connu tant il diffère des règles applicables aux établissements de catégories supérieures. Les maires et les services municipaux doivent s’assurer de bien identifier la catégorie d’un établissement avant d’engager une procédure de police administrative spéciale.

La décision souligne ensuite que l’illégalité d’une mesure de fermeture administrative, même de courte durée, engage la responsabilité de la collectivité. Les communes doivent donc s’entourer de toutes les précautions juridiques avant de prononcer des mesures aussi graves, qui peuvent avoir des conséquences économiques importantes pour les exploitants.

TA Bordeaux, 6e ch., 24 juill. 2023, n° 2105694.