Le jugement rendu par le Tribunal administratif de Poitiers le 10 décembre 2024 offre un éclairage précieux sur l’articulation entre les pouvoirs d’une commune concessionnaire du domaine public maritime et les prérogatives de l’État propriétaire. Cette décision, qui concerne la démolition de deux restaurants de plage à Saint-Georges-de-Didonne, illustre la complexité du régime juridique applicable aux occupations temporaires du domaine public maritime et les limites du pouvoir de substitution des collectivités territoriales.
Les faits à l’origine de ce contentieux sont relativement simples. Deux établissements de restauration, « L’Acapulco » et « La Cazuela », exploités respectivement par M. D et la SARL La Cazuela, bénéficiaient d’autorisations d’occupation temporaire du domaine public maritime accordées par l’État. Ces autorisations ont expiré le 15 novembre 2022, mais les occupants n’ont pas libéré les lieux ni démonté leurs installations. Dans la perspective d’obtenir la concession de ces plages, la commune de Saint-Georges-de-Didonne a adopté deux délibérations le 15 décembre 2022 autorisant le maire à procéder à la démolition de ces établissements, à prendre en charge les frais correspondants et à en réclamer le remboursement aux anciens exploitants.
Les requérants ont contesté ces délibérations en soulevant une série de moyens articulés autour de trois axes principaux : l’incompétence de la commune, le détournement de la procédure de contravention de grande voirie, et l’atteinte à leurs droits fondamentaux. Le tribunal a adopté une approche nuancée en validant partiellement l’action communale tout en censurant un aspect essentiel des délibérations.
S’agissant de la décision d’engager les travaux de démolition, le tribunal a considéré que la commune pouvait légalement décider par anticipation de procéder aux diagnostics, au désamiantage et à la démolition des établissements. Cette solution repose sur plusieurs fondements. D’abord, le tribunal a relevé que des arrêtés préfectoraux du 15 décembre 2022 avaient autorisé la commune à occuper temporairement le domaine public maritime du 2 janvier au 1er juin 2023 précisément pour y procéder à ces démolitions. Ensuite, ces opérations s’inscrivaient dans le cadre du transfert à la commune de la gestion des plages concernées, effectif à compter du 3 mai 2023.
Le tribunal a jugé qu’il n’y avait ni excès de compétence ni erreur de droit dans cette anticipation, motivée par un souci légitime de maîtrise du calendrier. Les travaux présentaient un intérêt public local économique évident puisqu’ils participaient de la volonté communale d’organiser rapidement l’exploitation d’activités économiques sur les parcelles concédées en contrepartie de redevances. Cette analyse témoigne d’une approche pragmatique du juge administratif, reconnaissant aux collectivités une certaine souplesse dans la gestion anticipée des biens qui leur sont destinés.
Le tribunal a également écarté le moyen tiré du détournement de la procédure de contravention de grande voirie. Les requérants soutenaient que seule cette procédure permettait de contraindre un occupant sans titre à démolir un ouvrage sur le domaine public maritime. Le tribunal a répondu que les démolitions projetées ne participaient pas des poursuites engagées par l’État, lesquelles visaient seulement à faire libérer les lieux, et non à obtenir la démolition des constructions. Cette distinction est fondamentale : elle confirme que la gestion du domaine public et la répression des contraventions de grande voirie constituent deux ordres de préoccupations distincts, relevant de logiques juridiques différentes.
Sur la question de l’appartenance des terrains au domaine public maritime, le tribunal s’est appuyé sur les dispositions de l’article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques pour confirmer que les constructions étaient bien implantées sur des lais et relais de la mer. Les constats d’huissiers produits par les requérants n’ont pas remis en cause cette qualification. Le tribunal a également précisé que la fixation de la bande littorale des cent mètres, objet d’un contentieux antérieur relatif au plan local d’urbanisme, obéit à des règles de délimitation différentes de celles du domaine public maritime.
Concernant les atteintes alléguées aux droits fondamentaux, le tribunal a adopté une position ferme. Il a jugé que les délibérations ne portaient pas atteinte au droit de propriété puisque les constructions appartenaient à l’État, ni à la liberté du commerce et de l’industrie dès lors que les autorisations d’occupation avaient expiré. Le moyen tiré de la privation du droit à un recours effectif a également été rejeté, le tribunal relevant que les requérants avaient pu saisir le juge administratif à de nombreuses reprises.
La question de la voie de fait mérite une attention particulière. Les requérants soutenaient que la commune, en procédant à la démolition sans décision juridictionnelle préalable, commettait une voie de fait susceptible d’être sanctionnée par le juge judiciaire. Le tribunal a écarté ce grief en rappelant qu’il n’y a voie de fait que si l’administration porte atteinte à la liberté individuelle ou éteint un droit de propriété dans des conditions manifestement insusceptibles d’être rattachées à un pouvoir légal. Or, les occupants étaient sans titre à la date des délibérations et ne disposaient d’aucun droit de propriété sur les constructions édifiées sur le domaine public.
En revanche, le tribunal a censuré les délibérations en tant qu’elles mettaient à la charge des anciens exploitants les frais de démolition. Cette annulation partielle constitue le cœur de l’apport jurisprudentiel de cette décision. Le tribunal a considéré que ni les arrêtés préfectoraux autorisant temporairement la commune à occuper le domaine public, ni la concession ultérieure des plages, n’avaient pour objet ou pour effet de subroger la commune dans les droits de l’État propriétaire, ou de l’autoriser à recouvrer ces frais auprès des anciens occupants.
Cette solution est juridiquement cohérente. La commune, en tant que concessionnaire, se substitue à l’État pour la gestion du domaine concédé, mais cette substitution ne lui confère pas automatiquement l’ensemble des prérogatives du propriétaire, notamment celle de poursuivre le recouvrement de créances nées avant la concession. Le tribunal souligne implicitement qu’il aurait fallu une stipulation expresse dans l’acte de concession pour autoriser un tel recouvrement.
Cette jurisprudence rappelle aux collectivités territoriales que la qualité de concessionnaire du domaine public maritime, même si elle confère d’importants pouvoirs de gestion, ne les transforme pas en propriétaires et ne leur permet pas de recouvrer en leur nom propre les frais liés à la remise en état du domaine à l’encontre d’anciens occupants sans titre. Ces créances demeurent attachées à la qualité de propriétaire, en l’occurrence l’État, sauf disposition contraire explicite dans l’acte de concession ou dans une autorisation spécifique.
TA Poitiers, 1re ch., 10 dec. 2024, n° 2300150