Le Tribunal administratif de Caen a rendu le 8 décembre 2023 une décision qui rappelle avec fermeté les exigences formelles applicables en matière de délégation de compétence au sein des collectivités territoriales, particulièrement s’agissant des concessions funéraires. Cette affaire illustre comment un défaut de subdélégation régulière peut conduire à l’annulation d’une décision pour vice d’incompétence.
Le contexte de l’affaire
Les faits remontent à une situation familiale relativement simple. En 1970, Monsieur B. C. avait acquis une concession perpétuelle dans le cimetière de la commune du Mesnil-Rouxelin pour y installer la sépulture de ses parents. Trente ans plus tard, en août 2000, il manifesta sa volonté de céder cette concession à sa sœur, Madame A. C., en rédigeant sur papier libre une donation de la concession.
Lorsque Madame C. sollicita en 2021 la reconnaissance de cette cession auprès de la commune afin de pouvoir être inhumée auprès de ses parents, elle se heurta à un refus. Par décision du 2 juillet 2021, la commune l’informa qu’elle ne pouvait donner suite à sa demande au motif qu’elle n’était pas titulaire de la concession. Un recours gracieux formé en août 2021 fut explicitement rejeté le 29 octobre suivant, conduisant Madame C. à saisir le tribunal administratif.
Le cadre juridique des délégations en matière funéraire
Le tribunal a dû se prononcer sur l’application combinée de plusieurs dispositions du code général des collectivités territoriales relatives aux délégations de compétence. L’article L. 2122-22 prévoit que le maire peut, par délégation du conseil municipal, être chargé de prononcer la délivrance et la reprise des concessions dans les cimetières. Cette délégation intervient pour la durée du mandat et nécessite une délibération expresse du conseil municipal.
L’article L. 2122-23 précise quant à lui que, sauf disposition contraire dans la délibération portant délégation, les décisions prises en application de celle-ci peuvent être signées par un adjoint agissant par délégation du maire. Enfin, l’article L. 2122-18 organise la possibilité pour le maire de déléguer par arrêté une partie de ses fonctions à ses adjoints sous sa surveillance et sa responsabilité.
Ce mécanisme de délégation en cascade implique donc trois étapes distinctes : la délégation initiale du conseil municipal au maire, puis la subdélégation éventuelle du maire à ses adjoints, le tout devant respecter des formes précises.
L’analyse du tribunal : un formalisme exigeant
Le tribunal a d’abord qualifié juridiquement la demande de Madame C. en considérant qu’elle constituait un acte de délivrance de concession au sens de l’article L. 2122-22. Cette qualification était essentielle car elle déterminait le régime de compétence applicable.
En l’espèce, la décision de refus du 2 juillet 2021 avait été signée par Madame D., maire-adjointe de la commune. Pour justifier cette signature, la commune produisait trois documents : une délibération du conseil municipal du 27 mai 2020 déléguant au maire la compétence en matière de concessions funéraires, une attestation d’absence du maire à la date du 2 juillet 2021, et un arrêté du 11 septembre 2020 portant délégation de fonction et de signature du maire à sa première adjointe.
C’est précisément sur ce dernier document que l’analyse du tribunal s’est concentrée. Les juges ont relevé que cet arrêté ne visait pas l’article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, ni la délibération du 27 mai 2020 portant délégation au maire de la compétence en matière de concessions funéraires. Surtout, il ne ressortait pas des termes de l’arrêté que la délégation consentie à la première adjointe l’habilitait spécifiquement à signer des décisions relevant du domaine des concessions dans les cimetières.
Cette lecture stricte des termes de l’arrêté de subdélégation conduit le tribunal à conclure qu’en l’absence d’une subdélégation explicite et régulière, la maire-adjointe n’était pas compétente pour prendre la décision du 2 juillet 2021. Le vice d’incompétence ainsi constaté entraîne l’annulation de la décision de refus, ainsi que celle rejetant le recours gracieux qui en était la conséquence.
Les enseignements de la décision
Cette jurisprudence rappelle plusieurs principes essentiels en matière de délégation de compétence au sein des collectivités territoriales. D’abord, elle illustre le formalisme rigoureux qui s’attache à ces mécanismes. Une subdélégation ne peut se déduire implicitement d’une délégation générale de signature : elle doit être expresse et viser clairement les compétences concernées.
Ensuite, la décision souligne l’importance de la traçabilité des délégations. L’arrêté de subdélégation aurait dû viser explicitement la délibération du conseil municipal portant délégation au maire ainsi que l’article du code permettant cette subdélégation. Cette exigence de visas n’est pas purement formelle : elle permet de vérifier que la chaîne des délégations est continue et régulière.
Pour les collectivités territoriales, cette décision constitue un avertissement sur la nécessité de rédiger avec soin les arrêtés de délégation et de subdélégation. Une rédaction trop générale ou imprécise expose les décisions prises à un risque contentieux important. Il convient de prévoir des arrêtés spécifiques pour chaque domaine de compétence délégué, avec des visas clairs aux textes fondant la délégation.
Enfin, cette affaire montre qu’en matière de concessions funéraires, domaine touchant à des questions sensibles pour les familles, le juge administratif exerce un contrôle particulièrement attentif sur la régularité formelle des décisions, sans que la commune puisse se prévaloir d’une absence du maire pour justifier une subdélégation implicite ou approximative.
TA Caen, 1re ch., 8 déc. 2023, n° 2102734.