La perception de dons d’une personne morale dans le cadre d’une campagne électorale et ses conséquences

Le financement d’une campagne électoral est soumis à certaines exigences posées aux articles L. 52-3-1 et suivants du code électoral. Parmi ces règles figure l’interdiction des dons de personnes morales autre que les partis ou groupements politiques.

En effet, l’article L. 52-8 du code électoral dispose que :

« […] Les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués […] ».

Toutefois, il n’existe pas d’automaticité entre la perception d’un don d’une personne morale et le rejet du compte de campagne.

A titre d’illustration, le Conseil d’Etat a déjà jugé que :

« Les dispositions précitées de l’article L. 52-8 du code électoral ont pour effet d’interdire aux personnes morales, qu’il s’agisse de personnes publiques ou de personnes morales de droit privé, à l’exception des partis ou groupements politiques, de consentir à un candidat des dons en nature ou en espèces, sous quelque forme et de quelque montant que ce soit. Toutefois, ni l’article L. 52-15 de ce code ni aucune autre disposition législative n’obligent la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques à rejeter le compte d’un candidat faisant apparaître qu’il a bénéficié de la part de personnes morales d’un avantage prohibé par l’article L. 52-8. Il lui appartient, sous le contrôle du juge de l’élection, d’apprécier si, compte tenu notamment des circonstances dans lesquelles le don a été consenti et de son montant, sa perception doit entraîner le rejet du compte et la saisine du juge de l’élection afin qu’il prononce, le cas échéant, et par application de l’article L. 118-3 du code électoral, l’inéligibilité du candidat concerné.

Il résulte de l’instruction que la société civile immobilière Parclé, dont les deux seuls associés sont des personnes physiques, a mis à disposition de M.B…, à titre gracieux, un local de vingt mètres carrés lui appartenant pour une durée de quatre mois, en vue de la campagne électorale. M. B… a ainsi bénéficié, de la part d’une personne morale de droit privé autre qu’un parti ou groupement politique, d’un avantage en nature prohibé par les dispositions citées ci-dessus de l’article L. 52-8 du code électoral. Toutefois, il est constant que cet avantage doit être évalué à un montant de mille deux cents euros, soit 3,9 % du plafond des dépenses autorisées. Eu égard à son montant limité et aux circonstances dans lesquelles il a été consenti, cet avantage n’est pas, à lui seul, de nature à justifier le rejet par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques du compte de campagne de M. B…. » (Conseil d’Etat, 9 juillet 2015, req. n° 388466).

 

Ainsi, le Conseil d’Etat prône une approche circonstanciée de la perception d’un tel don. Concrètement, il s’agit, pour la Commission, sous le contrôle du juge, de démontrer que la perception d’un don prohibé était volontaire et que ce don a eu un véritable impact sur le financement de la campagne.

Ainsi, un don représentant 3, 9% du plafond des dépenses autorisées n’est pas, en lui-même, de nature à entrainer le rejet des comptes de campagne d’un candidat (Conseil d’Etat, 9 juillet 2015, préc).

Il ressort de la jurisprudence que la tolérance ne peut plus s’appliquer lorsque le seuil de 4% du plafond des dépenses autorisées est dépassé. Dans un tel cas, la Commission, rejette alors le compte de campagne et saisit le juge de l’élection. De même, la présence de plusieurs dons de personnes morales est de nature à entrainer le rejet du compte de campagne.

Le juge de l’élection est alors saisi du compte de campagne et des conséquences à tirer du rejet de celui-ci, s’il le confirme, en vertu de l’article L. 52-15 du code électoral. Ainsi, vient la question de l’inéligibilité du candidat dont le compte a été rejeté.

Sur ce point, le Conseil d’Etat retient que :

« Considérant qu’il résulte de l’instruction que les dons émanant de personnes morales représentent moins de 14 % des recettes du compte de campagne de M. A…et près de 10 % du plafond des dépenses autorisées dans le 1er canton du Moule ; que l’existence d’une fraude n’étant pas alléguée, le manquement de M. A…aux dispositions de l’article L. 52-8 du code électoral, compte-tenu du caractère limité des sommes en cause, ne saurait être regardé comme étant d’une particulière gravité au sens des dispositions précitées de l’article L. 118-3 du même code ; que ce manquement ne justifie dès lors pas que M. A…soit déclaré inéligible »(Conseil d’Etat, 7 février 2013, n° 361758).

Cet arrêt indique clairement que, même en présence de plusieurs dons prohibés par les dispositions de l’article L. 52-8 du code électoral, l’inéligibilité d’un candidat ne peut être prononcé en l’absence d’une fraude, laquelle doit être alléguée, ou d’un manquement d’une particulière gravité, lequel n’est pas constitué par une somme totale représentant 10% du plafond des dépenses autorisées. La tolérance est ici plus grande que celle pratiquée dans le cadre de l’examen de la régularité du compte, ce qui s’explique par les implications bien plus fortes qu’induit une peine d’inéligibilité.

La qualification de faute d’une particulière gravité obéit à des règles, tracées elles aussi par le Conseil d’Etat, notamment lorsqu’il s’agit de s’interroger sur cette qualification au regard d’un don prohibé par les dispositions de l’article L. 52-8 du code électoral :

« Considérant qu’en dehors des cas de fraude, ces dispositions prévoient que le juge de l’élection ne prononce l’inéligibilité d’un candidat que s’il constate un manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales ; que, pour déterminer si un manquement est d’une particulière gravité au sens de ces dispositions, il incombe au juge de l’élection d’apprécier, d’une part, s’il s’agit d’un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales, d’autre part, s’il présente un caractère délibéré ; qu’en cas de manquement aux dispositions de l’article L. 52-8 du code électoral, il incombe, en outre, au juge de tenir compte de l’importance de l’avantage ou du don irrégulièrement consenti et de rechercher si, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, il a été susceptible de porter atteinte, de manière sensible, à l’égalité entre les candidats » (Conseil d’État, Ass., 4 juillet 2011, n° 338033).

 

Ainsi, en présence d’un don prohibé ayant justifié le rejet du compte de campagne, il convient de procéder selon la grille d’analyse retenue par le Conseil d’Etat. Ainsi, il faut démontrer l’absence de volonté délibérée de passer outre les dispositions précitées. A cet égard, le remboursement du don dès le signalement de celui-ci est un élément important pour démontrer la bonne foi du candidat. Ensuite, il convient d’analyser l’importance du don au regard tant du plafond de dépenses autorisées que du montant des dépenses de la campagne. Il est important d’analyser si la présence du don a eu pour effet de permettre au compte de campagne de n’être pas déficitaire pour évaluer son importance

Le cabinet a déjà eu l’occasion de plaider ce genre de dossier où un don d’une personne morale avait été perçu par le candidat. En appliquant la grille d’analyse précitée, le tribunal a fait droit à la défense du candidat et déclaré le compte régulier, en dépit de la présence du don.

Le juge avait considéré que :

« Il résulte de l’instruction que M. X a reçu un don sous forme de chèque émis par une personne morale dénommée Y, constituée en société par actions simplifiée, localisée dans la commune de Fort-de-France en Martinique et spécialisée dans le commerce de gros pour un montant de 1000 euros, don prohibé par les dispositions ci-dessus de l’article L. 52-8 du code électoral. Toutefois, il est constant que ce don de 1000 euros ne représente que 4% du montant du plafond des dépenses électorales fixé à 24 941 euros et 3,74% des recettes de la campagne de l’intéressé, laquelle était excédentaire d’une somme de 3387 euros sans tenir compte de ce don, les dépenses effectuées par la liste de M. X s’élevant au total à 22 263 euros. Eu égard à son montant limité et aux circonstances dans lesquelles il a été consenti, -le candidat ayant fait valoir de manière convaincante devant la Commission que son mandataire s’était mépris sur l’origine de ce chèque d’entreprise qu’il avait attribué à son gérant, personne physique-, le don dont s’agit, dont il est constant d’ailleurs, qu’il a été remboursé à la société par M. X dès que le rapporteur de la Commission a attiré son attention sur cette irrégularité, n’est pas, à lui seul de nature à justifier le rejet par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques du compte de campagne de l’intéressé » (TA de la Guadeloupe, 18 mars 2021, n° 2001183).