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Nullité de la procédure devant le CNESER pour défaut de présence des noms des membres

Le Conseil d’État nous livre, avec sa décision du 28 décembre 2023, une illustration saisissante de la rigueur procédurale qui s’impose aux juridictions disciplinaires universitaires. Cette affaire, qui oppose l’Institut d’études politiques de Paris à un étudiant exclu pour deux ans, nous rappelle qu’en matière de procédure, aucun détail n’est négligeable.

Les faits s’inscrivent dans un contexte disciplinaire classique : un étudiant sanctionné par la section disciplinaire de Sciences Po en juillet 2020 pour des faits commis en dehors de l’établissement mais ayant eu des répercussions sur le climat estudiantin et la scolarité de victimes. L’exclusion de deux ans, assortie d’une exécution immédiate, avait été prononcée. L’étudiant avait alors sollicité le sursis à exécution de cette sanction devant le CNESER, qui l’avait d’abord refusé en décembre 2020, avant qu’une première annulation par le Conseil d’État ne conduise à une nouvelle décision favorable en décembre 2021.

Ce qui frappe dans cette décision, c’est la manière dont le Conseil d’État articule deux dimensions distinctes du contentieux. D’une part, il annule la décision du CNESER pour omission de statuer sur une exception d’incompétence soulevée par Sciences Po. Cette dernière contestait la compétence du CNESER au motif que la réforme introduite par la loi du 6 août 2019 avait restreint ses attributions aux seuls enseignants-chercheurs. Le CNESER n’avait tout simplement pas répondu à cet argument, ce qui constitue un vice suffisant pour justifier l’annulation.

Mais la décision va plus loin. En application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’État, saisi d’un second pourvoi en cassation, statue définitivement sur l’affaire. C’est donc l’occasion pour la Haute juridiction de se prononcer sur le fond de la demande de sursis à exécution et de trancher plusieurs questions juridiques essentielles.

Sur la compétence du CNESER, le Conseil d’État apporte une réponse claire et pédagogique. Les dispositions transitoires de la loi de 2019 et du décret de juin 2020 ont maintenu la compétence du CNESER pour les procédures engagées avant le 27 juin 2020. Dès lors que les poursuites contre l’étudiant avaient été initiées en février 2020, le CNESER demeurait bien compétent. Cette précision éclaire utilement le régime transitoire applicable aux contentieux disciplinaires universitaires nés dans cette période charnière.

Le Conseil d’État confirme également la compétence ratione materiae de la section disciplinaire de Sciences Po. Même commis en dehors de l’établissement, les faits reprochés, de par leur retentissement sur le climat estudiantin et la scolarité des victimes, étaient bien de nature à porter atteinte à l’ordre et au bon fonctionnement de l’établissement. Cette jurisprudence n’est pas nouvelle mais elle mérite d’être soulignée : le périmètre de compétence disciplinaire des universités n’est pas limité aux faits commis dans l’enceinte de l’établissement, pourvu qu’ils affectent son fonctionnement.

Le cœur de la décision réside néanmoins dans l’examen des moyens justifiant le sursis à exécution. L’article R. 232-34 du code de l’éducation exige que les moyens présentés paraissent sérieux et de nature à justifier l’annulation ou la réformation de la décision attaquée. C’est ici que le Conseil d’État identifie le vice rédhibitoire : la décision de la section disciplinaire ne comportait pas la mention des noms des membres de la formation de jugement.

Cette omission peut sembler anodine, mais elle est en réalité déterminante. À la date où elle a été rendue, la décision de la section disciplinaire avait un caractère juridictionnel et devait donc respecter les règles générales de procédure applicables aux décisions juridictionnelles. L’absence de mention des noms des juges constitue une irrégularité substantielle qui affecte la validité de la décision. Le Conseil d’État considère que ce moyen est suffisamment sérieux pour justifier le sursis à exécution demandé par l’étudiant.

Cette décision illustre avec force la tension permanente entre l’efficacité de la répression disciplinaire et le respect scrupuleux des garanties procédurales. Sciences Po avait assurément des raisons légitimes de sanctionner les comportements en cause. Mais ces raisons ne sauraient dispenser la section disciplinaire de respecter les exigences formelles qui s’imposent à toute juridiction. Le formalisme juridictionnel n’est pas un luxe : il garantit la transparence, la responsabilité et ultimement la confiance dans l’institution.

Pour les praticiens du droit disciplinaire universitaire, cette décision constitue un rappel salutaire : la composition de la formation de jugement doit impérativement figurer dans la décision. C’est là un enseignement précieux qui dépasse le seul cadre universitaire et irrigue l’ensemble du contentieux disciplinaire. La forme, loin d’être accessoire, participe pleinement de la légitimité de la décision rendue.

CE, 4e chs, 28 déc. 2023, n° 461306.