Le tribunal administratif de Nîmes vient de rendre le 7 novembre 2025 une décision remarquable qui rappelle l’importance du principe de proportionnalité dans l’exercice du pouvoir de police administrative, y compris en matière sportive. Cette affaire concernant l’Orange Football Club illustre parfaitement les limites que le juge administratif impose aux préfets lorsqu’ils prononcent des sanctions à l’encontre d’associations sportives.
Le contexte de l’affaire mérite d’être exposé avec précision. L’Orange Football Club, club amateur affilié à la Fédération française de football et comptant plus de trois cents adhérents majoritairement mineurs, s’est vu retirer son agrément par arrêté préfectoral du 15 janvier 2025. Cette décision faisait suite à des incidents survenus lors de douze rencontres, principalement durant la saison 2023-2024, au cours desquelles des violences physiques ou verbales avaient été constatées, impliquant joueurs, supporters ou encadrants du club. Le préfet de Vaucluse avait fondé sa décision sur l’article R. 121-5 du code du sport, invoquant des atteintes répétées à l’ordre public et des manquements à l’engagement de protéger l’intégrité physique et morale des personnes, notamment des mineurs.
Le cadre juridique applicable repose sur les articles L. 121-4 et R. 121-5 du code du sport. Ces dispositions prévoient que l’agrément des associations sportives, condition de l’aide de l’État, peut être retiré en cas d’atteinte à l’ordre public ou à la moralité publique. L’affiliation à une fédération agréée valant agrément, le retrait d’un tel agrément constitue une mesure grave qui prive l’association du bénéfice des aides publiques et affecte profondément son fonctionnement.
Le tribunal administratif rappelle avec force que le retrait d’agrément constitue une mesure de police administrative soumise au triple test de l’adaptation, de la nécessité et de la proportionnalité. C’est précisément sur ce dernier critère que la décision préfectorale a été censurée. Cette exigence n’est pas nouvelle en droit administratif, mais son application aux sanctions visant les associations sportives mérite l’attention.
L’analyse proportionnelle développée par le tribunal repose sur plusieurs éléments factuels déterminants. D’abord, le juge procède à une mise en perspective statistique des incidents. Sur près de trois cents rencontres disputées par les équipes concernées des catégories U14 et supérieures, seuls douze matchs ont donné lieu à des incidents, soit environ quatre pourcent des rencontres. Cette proportion est qualifiée par le préfet lui-même d’une rencontre sur vingt-cinq ayant été émaillée de violences. Le tribunal considère que cette fréquence, aussi regrettable soit-elle, ne justifie pas la mesure la plus radicale.
Ensuite, le juge souligne que tous les membres du club impliqués dans ces violences ont fait l’objet de sanctions disciplinaires. Cette information démontre que les mécanismes internes de régulation ont fonctionné et que l’association n’est pas restée passive face aux comportements répréhensibles de certains de ses membres. La réactivité disciplinaire constitue un élément d’appréciation important du sérieux de la structure associative.
Le point le plus significatif de la décision concerne la prise en compte des mesures correctives entreprises par la nouvelle équipe dirigeante. Le tribunal détaille les actions mises en œuvre : renforcement de l’accompagnement éducatif et social des jeunes adhérents, collaboration accrue avec les services municipaux et étatiques, sensibilisation des encadrants et des parents. Ces démarches, présentées dans le cadre de la procédure contradictoire, témoignent d’une volonté de remédier aux dysfonctionnements constatés. L’association avait également produit l’attestation relative au respect du contrat d’engagement républicain, élément requis par l’article L. 121-4 du code du sport.
C’est dans ces circonstances que le tribunal juge la sanction disproportionnée. Le raisonnement est clair : une mesure moins contraignante aurait permis d’atteindre l’objectif de préservation de l’ordre public poursuivi par le préfet. Le code du sport prévoit d’ailleurs la possibilité de suspendre l’agrément, sanction intermédiaire qui aurait pu constituer une réponse appropriée permettant de sanctionner les manquements tout en donnant à l’association le temps de démontrer l’efficacité de ses mesures correctrices.
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante du Conseil d’État relative au contrôle de proportionnalité des mesures de police administrative. Le juge vérifie que l’autorité administrative n’a pas procédé par excès de rigueur en prononçant une sanction trop sévère au regard des faits reprochés et du contexte. La proportionnalité s’apprécie à la date de la décision, en tenant compte de tous les éléments pertinents, y compris les efforts accomplis par l’intéressé pour régulariser sa situation.
Les circonstances qualifiées de très particulières par le tribunal jouent un rôle déterminant : la majorité des adhérents sont des mineurs, l’association remplit une fonction sociale et éducative importante, les incidents demeurent statistiquement limités, et surtout, une nouvelle direction a pris des mesures concrètes pour assainir la situation. Le retrait d’agrément apparaît alors comme une sanction maximale appliquée sans gradation, là où une approche progressive aurait été préférable.
Cette jurisprudence offre plusieurs enseignements pratiques. Pour les préfets, elle rappelle l’obligation d’envisager systématiquement les mesures alternatives moins contraignantes avant de prononcer un retrait d’agrément. La suspension temporaire peut constituer une sanction dissuasive tout en laissant une chance à l’association de corriger ses défaillances. Pour les associations sportives, elle souligne l’importance cruciale de démontrer leur réactivité face aux incidents et leur engagement dans des actions préventives et correctives. La qualité des observations présentées lors de la procédure contradictoire peut faire la différence.
Au-delà du cas d’espèce, cette décision interroge sur l’équilibre entre fermeté dans la lutte contre les violences dans le sport et proportionnalité des sanctions administratives. Le juge administratif affirme ici qu’une politique de tolérance zéro ne saurait dispenser l’administration d’un examen individualisé et proportionné de chaque situation, particulièrement lorsque sont en jeu la vie associative locale et l’encadrement éducatif de plusieurs centaines de jeunes.
TA Nimes, 3e ch., 7 nov. 2025, n° 2500426