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Conditions d’éligibilité au conseil municipal : un double contrôle dans le temps

Le Tribunal administratif de Toulouse apporte dans ce jugement une précision importante sur le moment d’appréciation des conditions d’éligibilité d’un candidat appelé à remplacer un conseiller municipal démissionnaire en cours de mandat. Cette décision illustre la rigueur avec laquelle le juge électoral contrôle le respect des règles d’éligibilité, même lorsque le candidat n’a pas été élu lors du scrutin initial.

Le contexte factuel

L’affaire trouve son origine dans une série de démissions au sein du conseil municipal de Ramonville Saint-Agne. Suite à la démission d’une conseillère municipale élue en 2020, puis du premier candidat non élu appelé à la remplacer, c’est Madame F, deuxième candidate suivante sur la liste, qui a été installée comme conseillère municipale lors de la séance du 16 février 2023.

Cette installation a fait l’objet d’une double contestation, à la fois par un électeur de la commune, Monsieur H, candidat suivant sur la liste, et par le préfet de la Haute-Garonne dans le cadre de son pouvoir de déféré. Les deux recours, joints pour être examinés ensemble, soulevaient la même question : Madame F remplissait-elle les conditions d’éligibilité requises pour siéger au conseil municipal ?

Le cadre juridique de l’éligibilité

L’article L. 228 du code électoral pose les conditions de base de l’éligibilité au conseil municipal. Outre la condition d’âge, le texte exige que le candidat soit soit électeur de la commune, soit inscrit au rôle des contributions directes de celle-ci. Cette double condition vise à garantir un lien suffisant entre l’élu et la collectivité qu’il représente.

L’article L. 270 du code électoral organise quant à lui le mécanisme de remplacement des conseillers municipaux dont le siège devient vacant. Le candidat suivant sur la liste est automatiquement appelé, mais doit naturellement remplir les conditions d’éligibilité. La constatation de l’inéligibilité n’entraîne que l’annulation de l’élection du seul candidat inéligible, le juge proclamant alors l’élection du suivant de liste.

Une double appréciation temporelle

Le cœur du raisonnement du tribunal réside dans le considérant 7, qui énonce un principe essentiel : lorsque l’éligibilité d’un candidat appelé à remplacer un conseiller démissionnaire est contestée, elle doit être appréciée à deux moments distincts. D’une part, à la date des opérations électorales initiales, c’est-à-dire lors des élections municipales de 2020. D’autre part, à la date à laquelle le siège vacant lui est effectivement attribué, soit en l’espèce le 16 février 2023.

Cette solution se justifie pleinement. Le candidat suivant de liste participe au scrutin initial et doit donc remplir les conditions d’éligibilité à ce moment. Mais l’attribution effective du mandat intervenant parfois plusieurs années après l’élection, il serait contraire aux principes du droit électoral de permettre à une personne devenue entre-temps inéligible d’exercer un mandat de conseiller municipal.

L’absence manifeste de rattachement à la commune

En l’espèce, le tribunal constate de manière factuelle l’inéligibilité de Madame F à la date de sa désignation. L’instruction révèle qu’elle résidait à Toulouse, qu’elle était inscrite sur la liste électorale de cette commune et non sur celle de Ramonville Saint-Agne, et qu’elle n’était pas inscrite au rôle des contributions directes de cette dernière commune au 1er janvier 2023.

Le tribunal s’appuie sur plusieurs éléments probants : un courrier de l’intéressée elle-même mentionnant son adresse toulousaine, une attestation du directeur régional des finances publiques, des captures du site service-public.fr et un courriel des services préfectoraux. Le faisceau d’indices est suffisamment convergent pour établir l’absence totale de rattachement à la commune où elle prétendait siéger.

Il est intéressant de noter que le maire de la commune avait tenté d’alerter Madame F sur les obligations qu’elle devait remplir, mais qu’il s’était heurté à une réponse faisant état d’une correspondance avec un représentant du ministère de l’Intérieur qui lui aurait indiqué la possibilité de siéger. Le tribunal balaye implicitement cet argument en se fondant sur les seules dispositions du code électoral.

Les conséquences de l’inéligibilité

Conformément à l’article L. 270, le tribunal annule la désignation de Madame F ainsi que le tableau du conseil municipal qui la proclamait élue, mais ne remet pas en cause l’ensemble des opérations électorales de 2020. Il proclame directement l’élection de Monsieur H, candidat suivant sur la liste, qui remplissait quant à lui les conditions d’éligibilité.

Cette solution présente l’avantage de la rapidité et de l’efficacité. Le siège vacant est immédiatement pourvu sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle délibération du conseil municipal. Le jugement produit ainsi un effet direct et permet d’assurer la continuité du fonctionnement de l’assemblée délibérante.

Enseignements pratiques

Cette décision appelle plusieurs observations pour les praticiens du droit électoral. Tout d’abord, elle confirme que les maires, bien qu’ayant un devoir d’information, ne disposent d’aucun pouvoir pour constater l’inéligibilité d’un candidat ou prononcer une démission d’office. Seul le juge électoral est compétent pour trancher ces questions.

Ensuite, le jugement rappelle la vigilance nécessaire lors du remplacement de conseillers municipaux en cours de mandat. Les conditions d’éligibilité doivent être vérifiées avec soin, non seulement au moment des élections initiales, mais également au moment de l’attribution effective du mandat, qui peut intervenir plusieurs années plus tard.

Enfin, la décision illustre l’efficacité du contrôle du juge électoral, qui peut être déclenché tant par un électeur que par le préfet dans le cadre de son pouvoir de déféré. Le double recours en l’espèce témoigne de l’importance accordée au respect scrupuleux des règles d’éligibilité, garantes de la légitimité démocratique des élus locaux.

TA Toulouse, 4e ch., 6 avr. 2023, n° 2300913.