Le Conseil Constitutionnel a validé les dispositions relatives à l’instruction à domicile (dite également instruction en famille ou école à la maison), issues de l’article 49 de la loi confortant le respect des principes de la République (dite loi sur le séparatisme).
Le régime de l’instruction en famille est profondément modifié puisqu’un régime d’autorisation remplace le régime déclaratif. Nous revenons sur les principaux changements opérés.
1. Le nouveau régime d’autorisation de l’instruction en famille
L’instruction en famille devient l’exception
L’instruction à l’école devient désormais le principe : » L’instruction obligatoire est donnée dans les établissements ou écoles publics ou privés ».
L’instruction dans la famille devient elle l’exception « Elle peut également, par dérogation, être dispensée dans la famille par les parents, par l’un d’entre eux ou par toute personne de leur choix, sur autorisation délivrée dans les conditions fixées à l’article L. 131-5. » (article L. 131-2 du code de l’éducation).
Un régime d’autorisation préalable pour dispenser l’instruction en famille
L’article L. 131-5 du code de l’éducation qui prévoyait un régime de déclaration au maire et au rectorat est réécrit par l’article 49 de la loi confortant le respect des principes de la République. Une autorisation du rectorat (désignée classiquement comme « l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation ») est désormais nécessaire.
Quatre motifs sont visés : seuls ces quatre motifs pourront être invoqués pour demander l’autorisation d’instruction en famille:
1° L’état de santé de l’enfant ou son handicap ;
2° La pratique d’activités sportives ou artistiques intensives ;
3° L’itinérance de la famille en France ou l’éloignement géographique de tout établissement scolaire public ;
4° L’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d’instruire l’enfant à assurer l’instruction en famille dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans ce cas, la demande d’autorisation comporte une présentation écrite du projet éducatif, l’engagement d’assurer cette instruction majoritairement en langue française ainsi que les pièces justifiant de la capacité à assurer l’instruction en famille.
Il reste une cinquième hypothèse implicitement visée relative à l’intérêt supérieur de l’enfant, garanti par l’article 3-1 de la convention de New York de 1990, qui doit toujours primer sur toute décision administrative.
Modalités d’obtention de l’autorisation d’instruction en famille
L’autorisation délivrée par le rectorat est annuelle ; elle devra donc être demandée et accordée chaque année. Elle ne peut excéder l’année scolaire sauf si cela est justifié par une problématique de santé ou de handicap. Un décret précise les modalités de délivrance de l’autorisation. (voir l’analyse du décret relatif à l’instruction en famille).
Le DASEN accuse réception de la demande. Il peut demander des pièces et informations manquantes, dans un délai qui ne peut être inférieur à 15 jours. Aucun délai minimal n’est en revanche fixé.
Une fois la demande d’autorisation d’instruction en famille déposée, le rectorat dispose de deux mois pour répondre. En cas de silence, passé ce délai deux mois, une autorisation implicite sera accordée (principe du silence vaut acceptation).
Il est prévu que le rectorat peut » convoquer l’enfant, ses responsables et, le cas échéant, les personnes chargées d’instruire l’enfant à un entretien afin d’apprécier la situation de l’enfant et de sa famille et de vérifier leur capacité à assurer l’instruction en famille. ».
Le Conseil constitutionnel a indiqué qu' » il appartiendra, sous le contrôle du juge, au pouvoir réglementaire de déterminer les modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction en famille conformément à ces critères et aux autorités administratives compétentes de fonder leur décision sur ces seuls critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit. » (Décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021).
Instruction en famille en urgence
Il est fréquent que l’instruction en famille soit effectuée suite à un danger pour l’enfant dans son établissement (harcèlement notamment). Dans ce cas, c’est à dire si l’intégrité physique ou morale de l’enfant est menacée, l’instruction en famille peut être dispensée avant que l’autorisation soit accordée (mais après qu’elle ait été demandée).
Cette instruction en famille en urgence devra se faire après concertation avec le directeur de l’établissement. La portée et les modalités de cette « concertation » est précisée dans le décret n°2022-182 du 15 février 2022 relatif aux modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction dans la famille. Il est prévu que le directeur indique aux parents les « différentes réponses pouvant être apportées à cette situation ». Le directeur doit remettre un avis circonstancié si les parents s’orientent vers une demande d’instruction en famille.
Contenu du dossier de demande d’autorisation
Selon le décret 2022-182 du 15 février 2022 relatif aux modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction dans la famille , la demande d’autorisation devrait comporter certaines pièces précises (voir l’article spécifique)
Lorsque la demande d’autorisation est motivée par l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif, elle comprend :
1° Une présentation écrite du projet éducatif comportant les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant, à savoir notamment :
a) Une description de la démarche et des méthodes pédagogiques mises en œuvre pour permettre à l’enfant d’acquérir les connaissances et les compétences dans chaque domaine de formation du socle commun de connaissances, de compétences et de culture ;
b) Les ressources et supports éducatifs utilisés ;
c) L’organisation du temps de l’enfant (rythme et durée des activités) ;
d) Le cas échéant, l’identité de tout organisme d’enseignement à distance participant aux apprentissages de l’enfant et une description de la teneur de sa contribution ;
2° Toutes pièces utiles justifiant de la disponibilité de la ou des personnes chargées d’instruire l’enfant ;
3° Une copie du diplôme du baccalauréat ou de son équivalent de la personne chargée d’instruire l’enfant. Le directeur académique des services de l’éducation nationale peut autoriser une personne pourvue d’un titre ou diplôme étranger à assurer l’instruction dans la famille, si ce titre ou diplôme étranger est comparable à un diplôme de niveau 4 du cadre national des certifications professionnelles ;
4° Une déclaration sur l’honneur de la ou des personnes chargées d’instruire l’enfant d’assurer cette instruction majoritairement en langue française.
Contester le refus d’autorisation
En cas de refus, la décision de refus d’autorisation peut faire l’objet dans un délai de 8 jours d’un recours administratif préalable auprès d’une commission présidée par le recteur d’académie. Ce recours sera obligatoire en cas de contestation. En cas de rejet par la commission, il sera toujours possible de saisir le tribunal administratif.
Le décret n° 2022-184 du 15 février 2022 relatif à l’instance départementale chargée de la prévention de l’évitement scolaire précise le fonctionnement de ladite commission.
Les parents pourront se faire accompagner et représenter par un avocat pour contester la décision.
2. Contrôle de l’instruction en famille
Hypothèse d’une information préoccupante
L’article 49 de la loi confortant le respect des principes de la République prévoit que le président du conseil départemental et le maire de la commune de résidence de l’enfant soient informés de la délivrance de l’autorisation d’instruction en famille.
Cette information est à mettre en lien avec les conséquences d’une information préoccupante. En effet, lorsqu’un enfant recevant l’instruction dans la famille ou l’un des enfants du même foyer fait l’objet d’une information préoccupante, le président du conseil départemental doit en informer le rectorat.
Ce dernier peut alors suspendre ou abroger l’autorisation d’instruction en famille. Dans cette hypothèse, les personnes responsables seront mises en demeure de l’inscrire dans un établissement d’enseignement scolaire. Des contentieux naîtront probablement puisqu’une information préoccupante ne signifie pas nécessairement que l’enfant est en danger mais signale simplement une crainte ou des suspicions. Il conviendra de vérifier que la suspension ou l’abrogation de l’autorisation d’instruction en famille n’est pas systématique, étant précisé que les motifs justifiant l’information préoccupante peuvent être sans lien avec l’instruction en famille.
Instruction en famille sans autorisation
Selon l’article L. 131-5-1 du code de l’éducation issu de l’article 49 de la loi confortant le respect des principes de la République, lorsque le rectorat constate qu’un enfant reçoit l’instruction dans la famille sans l’autorisation, il met en demeure les personnes responsables de l’enfant de l’inscrire, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la mise en demeure, dans un établissement d’enseignement scolaire public ou privé et de faire aussitôt connaître au maire, qui en informe le rectorat, l’école ou l’établissement qu’elles ont choisi.
Si l’autorisation d’instruction en famille est obtenue par fraude, elle est retirée sans délai.
Le retrait est complété par une mise en demeure d’inscrire l’enfant dans un établissement d’enseignement scolaire public ou privé, dans les conditions.
Prévention de l’évitement scolaire
Selon l’article L. 131-5-2 du code de l’éducation, une instance départementale chargée de la prévention de l’évitement scolaire associe les services de l’État compétents, les services municipaux concernés, le conseil départemental, l’organisme chargé du versement des prestations familiales et le ministère public. Elle assure notamment le suivi des élèves scolarisés à la suite de la mise en demeure mentionnée à l’article L. 131-10 du code de l’éducation.
Selon le décret, elle « assure le suivi du respect de l’obligation d’instruction et des mises en demeure d’inscription dans un établissement d’enseignement public ou privé dans le cadre du contrôle de l’instruction dans la famille. » Elle favorise l’échange et le croisement d’informations entre les services municipaux, les services du conseil départemental, les organismes débiteurs de prestations familiales et la direction des services départementaux de l’éducation nationale afin de repérer les enfants soumis à l’obligation scolaire qui ne sont pas inscrits dans un établissement d’enseignement public ou privé et qui n’ont pas fait l’objet d’une autorisation d’instruction dans la famille (décret n° 2022-184 du 15 février 2022 relatif à l’instance départementale chargée de la prévention de l’évitement scolaire).
Enquête et obligation de suivi médical
Outre la nécessité d’autorisation, le mécanisme de l’enquête réalisé par la mairie et le rectorat sont maintenus (article L. 131-10 du code de l’éducation). La question se pose pourtant de son doublon avec le régime d’autorisation institué. Quelques modifications ont été apportées.
L’enquête a désormais pour objet « de vérifier la réalité des motifs avancés par les personnes responsables de l’enfant pour obtenir l’autorisation mentionnée à l’article L. 131-5 du code de l’éducation. »
Le régime ancien reste cependant en place: L’autorité de l’Etat compétente en matière d’éducation doit au moins une fois par an, à partir du troisième mois suivant la déclaration d’instruction par les personnes responsables de l’enfant prévue au premier alinéa de l’article L. 131-5, faire vérifier, d’une part, que l’instruction dispensée au même domicile l’est pour les enfants d’une seule famille et, d’autre part, que l’enseignement assuré est conforme au droit de l’enfant à l’instruction tel que défini à l’article L. 131-1-1″.
Dans le cadre de cette enquête, une nouveauté qui témoigne à nouveau de la méfiance du gouvernement : une attestation de suivi médical devra désormais être fournie par les personnes responsables de l’enfant aux enquêteurs.
Autres nouveautés relatives à l’instruction en famille
Service public numérique éducatif et instruction en famille
Il existait déjà un service public numérique éducatif. Les missions de ce dernier sont complétées. Il doit désormais mettre à la disposition des familles assurant l’instruction obligatoire :
a) Une offre numérique minimale assurant pour chaque enfant le partage des valeurs de la République et l’exercice de la citoyenneté ;
b) Une offre diversifiée et adaptée pour les parents et les accompagnants des enfants instruits en famille ;
c) Des outils adaptés et innovants de suivi, de communication, d’échange et de retour d’expérience avec les familles assurant l’instruction obligatoire. » ( article L. 131-2 du code de l’éducation)
Valorisation des acquis de l’expérience professionnelle pour les parents instructeurs
Les personnes responsables d’un enfant qui sont autorisées à donner l’instruction dans la famille et qui ont satisfait aux obligations des contrôles effectués par l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation ou par le représentant de l’État dans le département bénéficient, après deux années complètes d’instruction en famille, de la valorisation des acquis de leur expérience professionnelle (article L. 131-10-1 du code de l’éducation).
Entrée en vigueur du régime d’autorisation
Il est prévu une entrée en vigueur du nouveau régime d’instruction en famille à la rentrée scolaire 2022.
Cependant, l’autorisation d’instruire en famille sera accordée de plein droit pendant deux ans, soit pour les années scolaires 2022-2023 et 2023-2024, aux enfants régulièrement instruits dans la famille au cours de l’année scolaire 2021-2022 et pour lesquels les résultats du contrôle avaient été jugés suffisants.
Références:
- Décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021
- décret n° 2022-184 du 15 février 2022 relatif à l’instance départementale chargée de la prévention de l’évitement scolaire
- décret n° 2022-183 du 15 février 2022 relatif à la commission devant laquelle sont formés les recours administratifs préalables obligatoires exercés contre les décisions de refus d’autorisation d’instruction dans la famille
- décret n° 2022-184 du 15 février 2022 relatif à l’instance départementale chargée de la prévention de l’évitement scolaire.