Le Conseil Constitutionnel a rendu le 11 octobre 2019 une importante décision en droit de l’éducation, consacrant une exigence « de gratuité de l’enseignement public supérieur » (Conseil Constitutionnel, n° 2019-809 QPC).
Le Conseil constitutionnel était saisi d’une question préjudicielle de constitutionnalité dans le cadre d’un litige pendant devant le Conseil d’Etat (CE 24 juill. 2019, n° 430121, Association UNEDESEP) relatif à l’arrêté du 19 avril 2019 fixant les droits d’inscription pour les étudiants étrangers extra-européens (2 770 euros en licence (contre 180 euros pour les étudiants français et européens) et 3 770 euros en master (contre 243 euros), tempérés par la possibilité pour les universités de ne pas mettre en place des droits d’inscription différenciés).
Des associations étudiantes soutenaient que le troisième alinéa de l’article 48 de la loi n° 51-598 du 24 mai 1951 de finances pour l’exercice 1951, sur le fondement duquel l’arrêté du 19 avril 2019 était contesté méconnaissait le treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 Ils se prévalaient du treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 selon lequel « La Nation garantit l’égal accès (…) de l’adulte à l’instruction (…) L’organisation de l’enseignement public gratuit … à tous les degrés est un devoir de l’État ». Il était soutenu que le principe de gratuité de l’enseignement public, qui découle de cet alinéa, ferait obstacle à la perception de droits d’inscription pour l’accès à l’enseignement supérieur. De plus, en se bornant à habiliter le pouvoir réglementaire à fixer les taux et modalités des droits d’inscription sans considération des ressources des étudiants, le législateur n’aurait pas entouré cette habilitation de garanties suffisantes, en violation du principe d’égal accès à l’instruction.
Dans sa décision n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019, le Conseil constitutionnel fait en partie droit à l’argumentation des associations en consacrant pour la première fois que l’exigence constitutionnelle de gratuité s’applique à l’enseignement supérieur public. Auparavant, il avait été jugé que la gratuité était de droit seulement dans l’enseignement maternel, primaire et secondaire (CE 7 janv. 1932, Delbos: Lebon 15). La question de la gratuité de l’enseignement supérieur public restait étonnamment non tranchée. Ainsi, lorsqu’il avait examiné la loi du 26 janvier 1984 relative à l’enseignement supérieur, le Conseil constitutionnel n’avait pas statué sur l’article relatif aux droits d’inscription payés par les étudiants, prévus à l’article L. 716-4 du code de l’éducation (Cons. const. 20 janv. 1984, no 83-165 DC). Le Conseil d’Etat avait quant à lui jugé que le moyen tiré de la contrariété de ces droits au préambule de la Constitution de 1946 est inopérant dès lors que ces droits sont prévus par la loi (CE, ass., 28 janv. 1972, Conseil transitoire de la faculté des lettres et des sciences humaines de Paris).
Dans sa décision n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019, le Conseil constitutionnel consacre donc de manière inédite une exigence de gratuité de l’enseignement supérieur public, suivant en cela la lettre du Préambule de 1946 qui indique que la gratuité opère » à tous les degrés. » Cette gratuité n’est pas cantonnée aux universités mais s’applique à l’ensemble des établissements publics d’enseignement supérieur (écoles d’ingénieurs et grands établissements public notamment). Le Conseil constitutionnel tempère cependant l’exigence de gratuité en indiquant que cette dernière ne fait pas obstacle, s’agissant de l’enseignement supérieur, à ce que des droits d’inscription soient perçus, ces derniers devant cependant être « modiques » et tenir compte des capacités financières des étudiants.
Dans cette affaire, le Conseil constitutionnel considère que l’exigence de gratuité de l’enseignement supérieur n’était pas méconnue dès lors que la disposition législative en question se limitait à prévoir que le pouvoir réglementaire fixe les montants annuels des droits perçus par les établissements publics d’enseignement supérieur et acquittés par les étudiants. Si la disposition législative n’est pas inconstitutionnelle, l’interprétation du Conseil constitutionnel semble en revanche fragiliser fortement la constitutionnalité de l’arrêté du du 19 avril 2019. Il appartiendra au Conseil d’Etat de trancher ce point, en précisant la notion de « modicité » des droits d’inscription pouvant être mis à la charge des étudiants.
Lien vers la décision n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019