L’ordonnance rendue par le tribunal administratif de Rennes le 29 septembre 2023 aborde une question technique mais fondamentale en droit universitaire : celle de la portée du principe de capitalisation des unités d’enseignement. Cette décision rappelle que les règles nationales relatives aux diplômes universitaires s’imposent aux universités, même lorsqu’elles ont adopté des modalités de contrôle des connaissances apparemment plus favorables aux étudiants.
Une situation née d’un redoublement
L’affaire concerne une étudiante inscrite en troisième année de licence de droit à l’université de Bretagne occidentale pour l’année 2022-2023. Cette étudiante avait déjà validé l’unité d’enseignement de droit international lors d’une année antérieure avec la note de 10 sur 20. Redoublant sa licence, elle a exercé l’option que lui offraient les modalités de contrôle des connaissances de l’université : renoncer au bénéfice de cette note pour repasser l’examen, dans l’espoir d’obtenir une meilleure note et ainsi améliorer sa moyenne générale.
Cette stratégie s’est révélée infructueuse puisque le jury a finalement prononcé son ajournement par délibération du 12 juillet 2023. L’étudiante a alors sollicité le bénéfice de sa note initiale de 10 sur 20, mais s’est heurtée au refus de l’université qui considérait sa renonciation comme irrévocable. Face à l’imminence de la rentrée universitaire et alors qu’elle avait été acceptée en master, elle a saisi le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.
La reconnaissance de l’urgence malgré le retard dans la saisine
Le juge des référés commence par examiner la condition d’urgence, contestée par l’université qui soulignait que l’étudiante avait tardé à introduire son recours alors que la rentrée du master avait déjà eu lieu le 1er septembre 2023. Cette objection mérite attention car le juge des référés apprécie généralement avec rigueur les manques de diligence des requérants.
En l’espèce, le juge retient néanmoins que l’urgence est caractérisée au motif que, selon les débats à l’audience, l’étudiante conservait le bénéfice de son admission en master jusqu’à la mi-octobre 2023. Les décisions litigieuses font obstacle à ce qu’elle puisse intégrer cette formation pour laquelle elle a été acceptée, ce qui constitue une atteinte suffisamment grave et immédiate à sa situation. Cette appréciation pragmatique montre que le juge ne se limite pas à la date formelle de la rentrée, mais tient compte des délais réels d’inscription définitive.
Le doute sérieux sur la légalité des modalités de contrôle
C’est sur le fond que l’ordonnance présente son principal intérêt. Le juge rappelle d’abord les termes de l’article 14 de l’arrêté du 30 juillet 2018 relatif au diplôme national de licence, texte qui fixe les règles nationales applicables à ce diplôme. Cet article dispose que les unités d’enseignement sont définitivement acquises et capitalisables dès lors que l’étudiant y a obtenu la moyenne. L’acquisition de l’unité d’enseignement emporte l’acquisition des crédits européens correspondants.
Le juge en déduit qu’une unité d’enseignement est définitivement acquise et capitalisée lorsque la note obtenue est supérieure ou égale à 10 sur 20. Le terme « définitivement » revêt ici toute son importance : il signifie que cette acquisition ne peut être remise en cause, y compris par la volonté de l’étudiant lui-même.
Or, les modalités de contrôle des connaissances adoptées par l’université de Bretagne occidentale prévoyaient qu’en cas de redoublement, un étudiant pouvait renoncer au bénéfice d’une unité d’enseignement validée lors d’une année précédente pour tenter d’obtenir une meilleure note. Cette disposition, apparemment favorable aux étudiants puisqu’elle leur offre une seconde chance, se heurte en réalité aux termes impératifs de l’arrêté national.
Le juge considère que le moyen tiré de l’illégalité de ces modalités au regard de l’arrêté de 2018 est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions d’ajournement. Cette analyse suggère qu’une université ne peut, même dans une intention libérale, permettre à un étudiant de renoncer à une unité définitivement acquise. Le caractère définitif de la capitalisation s’impose aux établissements comme aux étudiants.
Une injonction de nouvelle délibération
Les deux conditions du référé-suspension étant réunies, le juge ordonne la suspension des décisions d’ajournement et de rejet du recours gracieux. Plus significativement encore, il prononce une injonction enjoignant au jury de délibérer à nouveau sur la situation de l’étudiante dans un délai de cinq jours, en tenant compte des motifs de l’ordonnance.
Cette injonction présente un caractère relativement directif. Le juge n’indique pas explicitement au jury qu’il doit valider la licence de l’étudiante, mais les termes de l’ordonnance ne laissent guère de doute sur l’issue attendue. D’ailleurs, lors de l’audience, l’université avait reconnu qu’avec une moyenne de 10 sur 20 à l’unité d’enseignement de droit international, l’étudiante obtenait son diplôme de licence. Cette reconnaissance implicite explique sans doute que le juge ait pu prononcer une telle injonction dans le cadre du référé-suspension.
Les enseignements de la décision
Cette ordonnance délivre plusieurs messages aux universités et aux étudiants. Elle rappelle d’abord la hiérarchie des normes en matière universitaire : les arrêtés nationaux relatifs aux diplômes s’imposent aux modalités de contrôle adoptées par chaque établissement. Une université ne peut déroger à ces règles, même dans un sens favorable aux étudiants.
La décision souligne ensuite le caractère intangible de la capitalisation des unités d’enseignement validées. Ce principe de sécurité juridique, fondamental dans l’architecture du système LMD, protège les étudiants contre le risque de perdre le bénéfice d’acquis antérieurs. Il interdit également aux universités d’offrir aux étudiants la possibilité de « rejouer » des épreuves déjà validées.
Cette jurisprudence interroge plus largement sur l’autonomie des universités dans la définition de leurs modalités de contrôle. Si cette autonomie est réelle, elle trouve ses limites dans le respect des textes nationaux qui garantissent l’homogénéité et la valeur des diplômes délivrés. Les universités doivent donc veiller à la conformité de leurs règlements aux arrêtés ministériels, sous peine de voir leurs décisions censurées et de placer leurs étudiants dans des situations d’insécurité juridique.
TA Rennes, 29 sept. 2023, n° 2305047.