J’ai eu l’honneur d’être interrogé par le Recueil Dalloz sur la lutte contre le harcèlement scolaire. L’interview est parue dans le numéro du 16 novembre 2023.
Qu’est-ce que le harcèlement scolaire ?
Le harcèlement scolaire est aujourd’hui défini par renvoi au harcèlement moral « classique ». L’article 222-33-2-3 du code pénal dispose que « constituent un harcèlement scolaire les faits de harcèlement moral définis aux quatre premiers alinéas de l’article 222-33-2-2 lorsqu’ils sont commis à l’encontre d’un élève par toute personne étudiant ou exerçant une activité professionnelle au sein du même établissement d’enseignement ». Cette rédaction est issue de la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire. Auparavant, le harcèlement scolaire tombait déjà sous le coup de l’infraction de harcèlement moral, l’apport de cette loi est donc avant tout symbolique.
Le harcèlement scolaire n’est pas qu’une infraction. Il existe également un droit à ne pas être harcelé, issu de la loi pour une école de la confiance du 26 juillet 2019, qui prévoit qu’« aucun élève ou étudiant ne doit subir des faits de harcèlement résultant de propos ou comportement, commis au sein de l’établissement d’enseignement ou en marge de la vie scolaire ou universitaire et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de dégrader ses conditions d’apprentissages ». Sur ce fondement, le droit de ne pas être harcelé à l’école a pu être élevé au rang de liberté fondamentale par le juge du référé-liberté, qui, rappelons-le, peut statuer en 48h en cas d’atteinte grave et manifeste illégale à ce droit (TA Melun, 7 mai 2021, n° 2104189)
On estime aujourd’hui qu’environ 10 % des élèves seraient harcelés.
La réponse au harcèlement est-elle satisfaisante ?
La réponse institutionnelle est récente : le harcèlement scolaire n’apparaît dans les textes que depuis 2013, avec une circulaire du ministre de l’éducation nationale.
Sur le plan pénal, les textes sont suffisants et même probablement trop répressifs. Un harceleur encourt de trois à dix ans d’emprisonnement. Trois ans si le harcèlement n’a pas été suivi d’interruption temporaire de travail, jusqu’à dix si le harcèlement a conduit au suicide. Des peines inapplicables et inappliquées, a fortiori quand on parle d’enfants ou d’adolescents.
Malgré ces lois, la lutte contre le harcèlement scolaire reste le parent pauvre de la politique pénale. Il est édifiant de lire la circulaire du garde des Sceaux du 11 septembre 2023 dédiée aux infractions commises en milieu scolaire : elle ne mentionne le terme « harcèlement » que pour évoquer celui commis par les parents à l’égard des enseignants et des personnels de l’éducation nationale. Les enfants sont traités comme des délinquants en puissance et non comme de potentielles victimes.
Au quotidien, on constate que, faute de moyen ou d’intérêt, beaucoup de commissariats refusent d’enregistrer les plaintes pour harcèlement scolaire ou les classent sans suite sans enquête, sauf pour les hypothèses les plus graves, notamment quand le harcèlement revêt également une connotation sexuelle ou est accompagné de violences physiques. Les condamnations sont rarissimes. Une situation schizophrénique, alors que les forces de l’ordre participent à des actions de prévention en milieu scolaire pour rappeler les textes pénaux…
S’agissant de l’éducation nationale, les choses sont contrastées. Certains établissements ont bien intégré le protocole « PHARE » préparé par des psychologues et qui permet une réponse intéressante. D’autres se focalisent sur le volet disciplinaire – parfois de manière expéditive – quand d’autres encore ne se sont clairement pas saisis du sujet. Encore trop d’établissements se mettent sur la défensive quand ils sont mis en cause par des parents. L’inspection académique prend presque systématiquement le parti de l’établissement sans entendre les enfants ou les parents. Une réponse classique des rectorats est de signaler la famille pour qu’elle soit inspectée par l’Aide sociale à l’enfance ! La culture du dialogue et de la transparence reste à construire.
Signalons également le manque de moyens humains : surveillants, conseillers principaux d’éducation (CPE), accompagnants d’élève en situation de handicap (AESH), psychologue, médecin scolaire (1 pour 12 000 élèves…). Faute de temps, il leur est souvent difficile de détecter les signaux de harcèlement, moins visibles que les violences ou les insolences. Plus difficile à traiter également car les sanctions ne peuvent pas tout régler (c’est d’ailleurs une des avancées du protocole PHARE).
On sent également une impuissance du politique qui multiplie les annonces à chaque drame médiatisé (par exemple, le fait de confisquer les téléphones portables, déjà prévu dans le code l’éducation). Mais tout n’est pas à jeter dans le plan interministériel contre le harcèlement scolaire de septembre 2023.
Quel peut être le rôle de l’avocat en matière de harcèlement scolaire ?
Le droit est impuissant pour changer les personnes, les rendre bienveillantes, mais le droit peut être utilisé pour obtenir réparation (action indemnitaire) ou, plus souvent et plus utilement, pour chercher des solutions pour l’avenir : changement de classe ou d’établissement, injonction de faire cesser le harcèlement… même si la victime ne peut contraindre l’établissement à sanctionner le harceleur.
Nous défendons également les enfants accusés de harcèlement devant les conseils de disciplines et en appel devant les commissions rectorales. Il y a beaucoup à faire tant les droits de la défense sont encore balbutiants : dossiers non communiqués, témoignages anonymes, témoins souvent juges et parties. Mais, comme il ne s’agit pas d’une juridiction, il n’y a pas de droit au procès équitable. Et c’est encore pire dans les écoles privées. Une certitude : la lutte contre le harcèlement scolaire ne pourra se faire au détriment des droits de la défense.