Conséquences de l’abaissement de l’âge d’instruction obligatoire à 3 ans

La loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019  pour « une école de la confiance » a abaissé l’âge de scolarisation obligatoire de 6 à 3 ans et a donc étendu sa durée de dix à treize ans. Les objectifs sous-tendant cette mesure effective depuis le lundi 2 septembre 2019 sont de renforcer l’égalité d’accès à l’acquisition de la langue orale et écrite notamment pour les enfants issus des milieux les moins favorisés, de lutter le plus précocement possible contre les risques ultérieurs de décrochage scolaire et d’affirmer l’identité pédagogique propre de l’école maternelle.

Cette mesure finalise la reconnaissance de l’école maternelle en France, reconnue par le législateur depuis la loi du 2 août 1881 instituant une école maternelle non obligatoire, gratuite et laïque et dont les  missions sont fixées à l’article L. 321-2 du code de l’éducation ; elle disposait d’ores et déjà de programmes officiels.  Cette réforme concerne environ 26 000 enfants, puisque jusqu’à présent, près de 98, 9 % % des enfants sont déjà scolarisés à 3 ans.

L’abaissement de l’âge d’instruction obligatoire a des répercussions en termes d’organisation scolaire. Elle entraine par ailleurs une augmentation des dépenses obligatoires pour les communes, notamment en raison de l’obligation de financer les écoles maternelles privées. Pour cette raison  un accompagnement financier de l’Etat a été prévu.

1.Conséquences en termes de droit de l’éducation

1.1 L’extension de l’obligation d’instruction

Instruction et non scolarisation

Il convient de distinguer l’obligation d’instruction de la scolarisation, qui implique quant à elle la présence au sein d’un établissement.

À partir de la rentrée 2019, tous les enfants âgés de 3, 4 et 5 ans sont concernés par l’obligation d’instruction, qui n’existait auparavant qu’à compter de 6 ans (article L131-1 du code de l’éducation modifié). Historiquement, la loi du 28 mars 1882 prévoyait  que l’« instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de six ans révolus à treize ans révolus »  âge porté à quatorze puis seize ans en 1936 et 1959).

En revanche, il n’est toujours pas obligatoire que ces enfants soient scolarisés au sein d’une école. L’instruction en famille est possible. Comme auparavant, l’article L131-2 du code de l’éducation prévoit que « L‘instruction obligatoire peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents, ou l’un d’entre eux, ou toute personne de leur choix. »

La jurisprudence a consacré sur ce fondement un « droit pour les parents de choisir, pour leurs enfants, des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système scolaire public, y compris l’instruction au sein de la famille » (CE, 19 juillet 2017, association les enfants d’abord, n° 406150).

Il reste ainsi possible pour les parents ou responsables légaux, de déclarer qu’ils instruisent leurs enfants ou les font instruire dans la famille. Dans ce cas, des contrôles sont réalisés par les autorités compétentes afin de s’assurer que l’obligation d’instruction est bien respectée comme prévu par l’article L131-10 du code de l’éducation.

Il est prévu une obligation de déclaration pour les familles puis un contrôle au moins une fois par an à partir du troisième mois suivant la déclaration d’instruction. Le contrôle doit permettre de faire vérifier, d’une part, que l’instruction dispensée au même domicile l’est pour les enfants d’une seule famille et, d’autre part, que l’enseignement assuré est conforme au droit de l’enfant à l’instruction.

Plus précisément, « ce contrôle permet de s’assurer de l’acquisition progressive par l’enfant de chacun des domaines du socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini à l’article L. 122-1-1 au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle d’enseignement de la scolarité obligatoire. Il est adapté à l’âge de l’enfant et, lorsqu’il présente un handicap ou un trouble de santé invalidant, à ses besoins particuliers.

L’obligation de création d’école maternelle

Corolaire de l’obligation d’instruction à la charge des parents, existe une obligation de création d’écoles maternelles à la charge des communes.

Ainsi, l’article L.212-2-1 du code de l’éducation prévoit que « l’établissement des écoles maternelles publiques intervient dans les conditions prévues à l’article L. 212-2 » (voir en ce sens CE , ass., 31 mai 1985,  MEN c/ Assoc. d’éducation populaire de l’école Notre-Dame d’Arc-lès-Gray, no 55925).

Ces dispositions conjuguées signifient que toute commune doit être pourvue au moins d’une école maternelle publique, ainsi que tout hameau séparé du chef-lieu ou de toute autre agglomération par une distance de trois kilomètres et réunissant au moins quinze enfants d’âge scolaire. Une possibilité existe pour deux ou plusieurs communes de mutualiser l’école maternelle, cette réunion étant obligatoire lorsque, deux ou plusieurs localités étant distantes de moins de trois kilomètres, la population scolaire de l’une d’elles est inférieure régulièrement à quinze unités.

L’article L.212-2-1 du code de l’éducation tempère cette obligation en prévoyant toutefois que la « scolarisation des enfants de moins de six ans peut être assurée dans des classes maternelles ouvertes dans une école élémentaire ».

La scolarisation hors école maternelle

L’article 18 de la loi pour une école de la confiance autorise, à titre dérogatoire, l’instruction d’un enfant de 3 à 6 ans dans un établissement d’accueil collectif recevant exclusivement des enfants âgés de plus de deux ans (dit jardin d’enfants) et non dans une école maternelle.

Jusqu’à l’année scolaire 2023-2024, une inscription dans un jardin d’enfants est considérée comme respectant l’obligation d’instruction après déclaration préalable des personnes responsables de l’enfant à l’autorité compétente. Des contrôles pédagogiques seront réalisés afin de s’assurer du respect de l’obligation d’instruction selon les modalités prévues par le II de l’article L442-2 du code de l’éducation, relatif au contrôle de l’Etat sur les établissements d’enseignement privés..

Ce point a donné lieu à deux décrets :

  •  Décret n° 2019-822 du 2 août 2019 relatif au contrôle de l’obligation scolaire pour les enfants soumis à l’instruction obligatoire et inscrits dans des établissements d’accueil collectif dits « jardins d’enfants »
  • Décret n° 2019-825 du 2 août 2019 relatif au contrôle des établissements d’accueil collectif dits « jardins d’enfants » recevant des enfants soumis à l’instruction obligatoire

Désormais, l’article D. 442-22 du code de l’éducation est applicable aux établissements d’accueil collectif dits « jardins d’enfants » qui accueillent des enfants soumis à l’instruction obligatoire. Pour l’application de ces dispositions, les enfants soumis à l’obligation d’instruction sont assimilés aux élèves des classes hors contrat des établissements d’enseignement privés.

En outre, le contrôle de l’obligation, de la fréquentation et de l’assiduité scolaires des enfants soumis à l’instruction obligatoire inscrits dans des établissements d’accueil collectif, dits jardins d’enfants ,s’effectue, pour les années scolaires 2019-2020 à 2023-2024, conformément aux dispositions des articles R. 131-1 à R. 131-10 du code de l’éducation, (à l’exception de celles de l’article R. 131-8).

Pour l’application de ces dispositions, l’établissement d’accueil collectif dit jardin d’enfants est assimilé à un établissement d’enseignement et le responsable de l’établissement d’accueil collectif dit jardin d’enfants est assimilé au directeur d’école ou au chef d’établissement scolaire.

 1.2 La problématique de la présence de l’enfant à l’école

L’obligation d’instruction entraîne une obligation d’assiduité durant les horaires de classe.

Cependant, l’article L.131-8 modifié par la loi pour une école de la confiance prévoit que « L’autorité de l’Etat compétente en matière d’éducation peut, sur demande des responsables légaux de l’enfant et après avis du directeur de l’école arrêté dans le cadre d’un dialogue avec l’équipe éducative, autoriser un aménagement du temps de présence à l’école maternelle des enfants scolarisés en petite section»

Le décret n° 2019-826 du 2 août 2019 relatif aux modalités d’aménagement de l’obligation d’assiduité en petite section d’école maternelle précise les conditions dans lesquelles cet assouplissement est possible.

Ainsi, selon l’article R. 131-1-1 du code de l’éducation, l’aménagement ne peut porter sur les heures de classes prévues l’après midi (notamment pour respecter le temps de sieste)  : « L’obligation d’assiduité peut être aménagée en petite section d’école maternelle à la demande des personnes responsables de l’enfant. Ces aménagements ne peuvent porter que sur les heures de classe prévues l’après-midi. »

La procédure se fait à l’initiative des parents ou autres personnes responsables de l’enfant, dont la demande est transmise par le directeur de l’école (avec son avis) à l’inspecteur de l’éducation nationale. Si l’avis est favorable, l’aménagement est mise en œuvre à titre provisoire dans l’attente de la décision de l’inspecteur de l’éducation nationale. Il est prévu un mécanisme de silence vaut acceptation à l’issue d’un délai de quinze jours à compter de la transmission de la demande d’aménagement par le directeur de l’école.

Il est prévu un enfin que « Les modalités de l’aménagement décidé par l’inspecteur de l’éducation nationale sont communiquées par écrit par le directeur de l’école aux personnes responsables de l’enfant. Elles tiennent compte des horaires d’entrée et de sortie des classes, du fonctionnement général de l’école et de son règlement intérieur. Elles peuvent être modifiées à la demande des personnes responsables de l’enfant, en cours d’année scolaire, selon les mêmes modalités que celles applicables aux demandes initiales. »

NB : Conséquence de l’obligation d’assiduité, il n’est plus possible pour un établissement de refuser un enfant pour le motif tiré de la non propreté de l’enfant (enfant qui met encore des couches).

1.3 Visite médicale en école maternelle

La loi pour une école de confiance a modifié l’article L. 541-1 du code de l’éducation pour instaurer une visite obligatoire à l’entrée en école maternelle pour tous les enfants âgés de trois ans à quatre ans. Elle s’ajoute à l’obligation de visite qui était déjà prévue pour les enfants de 6 ans, c’est à dire à leur entrée en école primaire.

Selon l’article précité « Cette visite permet notamment un dépistage des troubles de santé, qu’ils soient sensoriels, psycho-affectifs, staturo-pondéraux ou neuro-développementaux, en particulier du langage oral. »

S’agissant de son organisation, il est prévu qu’elle est effectuée par les professionnels de santé du service départemental de protection maternelle et infantile. Elle permet l’établissement du bilan de santé mentionné au même article L. 2112-2. Lorsque le service départemental de protection maternelle et infantile n’est pas en mesure de la réaliser, la visite est effectuée par les professionnels de santé de l’éducation nationale.

 

2.Conséquences financières

2.1 Le principe législatif

L’article 17 de la loi pour une école de la confiance prévoit que « L’Etat attribue de manière pérenne à chaque commune les ressources correspondant à l’augmentation des dépenses obligatoires qu’elle a prises en charge en application des articles L. 212-4, L. 212-5 et L. 442-5 du code de l’éducation au titre de l’année scolaire 2019-2020 par rapport à l’année scolaire 2018-2019 dans la limite de la part d’augmentation résultant directement de l’abaissement à trois ans de l’âge de l’instruction obligatoire. La réévaluation de ces ressources peut être demandée par une commune au titre des années scolaires 2020-2021 et 2021-2022.

Autrement dit, l’Etat compensera les charges nouvelles supportées par les communes du fait de l’abaissement de l’age de scolarité obligatoire, en particulier du fait de la création d’écoles maternelles. En revanche, il n’y aura pas de compensation pour les communes qui disposaient déjà d’écoles.

2.2. Validation par le Conseil constitutionnel

Cette disposition a été interrogée au regard du principe d’égalité puisqu’il crée une différence de traitement entre les communes dans la mesure où la compensation va bénéficier aux seules communes qui ne finançaient pas déjà, de façon volontaire, des écoles maternelles. Ce mécanisme  a été validé par le Conseil constitutionnel (24-07-2019 n° 2019-787-DC).

Pour rejeter le grief, le Conseil constitutionnel estime que « les communes qui, au cours de l’année scolaire 2018-2019, avaient institué des classes maternelles […] ne sont, ainsi, pas placées dans une situation identique à celle des autres communes, qui n’exerçaient pas déjà les mêmes compétences et ne supportaient donc pas les charges correspondantes ».

2.3 Précision par décret

Ce principe a été précisé par le décret n° 2019-1555 du 30 décembre 2019 relatif aux modalités d’attribution des ressources dues aux communes au titre de l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire qui réécrit l’article R. 442-44 du code de l’éducation.

La demande d’attribution de ressources prévue par l’article 17 de la loi du 26 juillet 2019  pour les dépenses obligatoires de fonctionnement est adressée par la commune au recteur d’académie au plus tard le 30 septembre de l’année qui suit l’année scolaire au titre de laquelle elle sollicite cette attribution, après approbation des comptes financiers correspondants.

Le recteur d’académie dispose d’un délai de trois mois à compter de la date de réception d’un dossier complet pour répondre à la demande.

Lorsque la compétence en matière de dépenses de fonctionnement des écoles a été transférée à un établissement public de coopération intercommunale, celui-ci adresse la demande dans les conditions définies au présent article. Les ressources attribuées sont versées à cet établissement.

Les demandes de réévaluation des ressources attribuées sont présentées et examinées selon les mêmes modalités.

A noter, a été publié l’arrêté du 30 décembre 2019 pris pour l’application de l’article 2 du décret n° 2019-1555 du 30 décembre 2019 relatif aux modalités d’attribution des ressources dues aux communes au titre de l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire.

Selon cet arrêté, la demande d’attribution des ressources est adressée par la commune au recteur d’académie accompagnée du formulaire figurant en annexe  renseigné pour chacune de ses rubriques ainsi que des pièces demandées. Il prévoit le contenu de l’accusé de réception.

Lorsque le dossier doit être complété, le recteur d’académie informe la commune des pièces et informations manquantes.

2.4 Extension du financement à l’enseignement maternelle privé sous contrat

Selon la loi Debré de 1959, les communes prennent en charge les dépenses de fonctionnement matériel des écoles privées sous contrat situées sur leur territoire, dans les mêmes conditions que celles concernant les classes correspondantes de l’enseignement public (article L. 442-5 du Code de l’éducation). Les dépenses d’investissement et les dépenses dépourvues de liens avec la scolarité elle-même, ne font pas l’objet de financement.

Le décret n° 2019-1555 du 30 décembre 2019  tire la conséquence de l’extension de l’instruction obligatoire au regard du principe posé par la loi Debré. Il précise donc l’obligation de financement des dépenses de fonctionnement.

« En ce qui concerne les classes élémentaires et préélémentaires, les communes de résidence sont tenues de prendre en charge, pour les élèves domiciliés sur leur territoire et dans les mêmes conditions que pour les classes correspondantes de l’enseignement public, les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat, sous réserve des charges afférentes aux personnels enseignants rémunérés directement par l’Etat.

Le cas de la prise en charge des dépenses de fonctionnement des enfants de moins de trois ans est précisée avec la même logique d’égalité de financement tirée de la loi Debré:

« La commune siège de l’établissement peut donner son accord à la prise en charge des dépenses de fonctionnement correspondant à la scolarisation d’enfants de moins de trois ans dans des classes maternelles sous contrat.

Dans ce cas, elle est tenue de prendre en charge, pour les élèves domiciliés dans la commune et dans les mêmes conditions que pour les enfants de moins de trois ans scolarisés dans des classes maternelles publiques, les dépenses de fonctionnement de ces classes, sous réserve des charges afférentes aux personnels enseignants rémunérés directement par l’Etat.

Pour les élèves de moins de trois ans non domiciliés dans la commune siège de l’établissement, leurs communes de résidence peuvent également participer, par convention, aux dépenses de fonctionnement de ces classes, sous réserve des dispositions de l’article R. 442-47. »

Il est estimé que cette charge nouvelle pourrait s’élever à 150 millions d’euros pour les communes. Il sera relevé que l’école est souvent le premier poste de dépense des communes. En école maternelle, la rémunération des ATSEM constitue une dépense de personnel importante, à la quelle s’ajoute  « agents de service chargés de l’entretien, gardiens, cuisiniers, agents de salle de restauration, agents territoriaux d’animation et intervenants divers en langues, musique ou sports ». Il sera relevé que les communes ne peuvent solliciter des parents une contribution aux frais d’entretien et de fonctionnement , depuis la loi Ferry du 16 juin 1881 « établissant la gratuité absolue de l’enseignement primaire dans les écoles publiques » [3]


[1] Conseil d’Etat, AVIS SUR UN PROJET DE LOI pour une école de la confiance, 29 novembre 2018.

[2] Le Conseil d’Etat relève quant à lui que l’abaissement de six à trois ans de l’instruction obligatoire ne constitue pas un transfert de compétence imposant « l’attribution de ressources équivalentes » c’est-à-dire de « ressources correspondant aux charges constatées à la date du transfert » (CC, décision n° 2004-509 DC du 13 janvier 2005), mais l’extension d’une compétence déjà assumée par les communes (CC, décision n° 2010-109 QPC du 25 mars 2011, département des Côtes d’Armor), qui n’impose par suite au législateur que « d’accompagner (cette extension de compétences) de ressources dont il lui appartient d’apprécier le niveau, sans toutefois dénaturer le principe de libre administration des collectivités territoriale » (CC, décisions n° 2004-509 DC du 13 janvier 2005, n° 2011-143 QPC du 30 juin 2011 relative à l’allocation personnalisée d’autonomie et n° 2011-144 QPC relative à la prestation de compensation du handicap). Il relève au surplus que les écoles maternelles et enfantines donnent lieu à des dépenses obligatoires pour les communes lorsque celles-ci ont décidé de les créer, alors même qu’elles n’en n’ont pas l’obligation en l’état actuel du droit (CE, Ass., 31 mai 1985, ministre de l’éducation nationale contre association d’éducation populaire de l’école Notre-Dame d’Arc-les-Gray, n° 55925).

[3] Focus sur… l’extension des obligations des communes en matière scolaire – Thomas Bompard – AJCT 2020. 28