L’ordonnance rendue le 15 décembre 2023 par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne illustre avec clarté les limites que peut rencontrer l’application stricte des règlements départementaux en matière de transport scolaire adapté pour les élèves en situation de handicap. Cette décision met en lumière la nécessité d’une appréciation concrète des situations individuelles face à des critères réglementaires généraux qui peuvent s’avérer inadaptés.
Les faits : une élève empêchée d’accéder à son établissement
L’affaire concernait une lycéenne, C B, souffrant de multiples pathologies dont une atteinte cardiaque entraînant une dyspnée d’effort et un flessum du genou droit nécessitant le port d’un fixateur externe. Son père avait sollicité la prise en charge d’un transport scolaire adapté pour lui permettre de se rendre au lycée Stéphane Hessel d’Epernay. Le département de la Marne avait rejeté cette demande en se fondant sur son règlement intérieur qui impose que l’élève soit domicilié à plus de deux kilomètres de son établissement scolaire. Or, la distance séparant le domicile familial du lycée n’était que de 1 110 mètres, ramenée à 335 mètres en cas d’utilisation des transports en commun jusqu’à l’arrêt le plus proche.
Face à ce refus confirmé en recours préalable le 4 octobre 2023, le père a saisi le juge des référés du tribunal administratif sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, sollicitant la suspension de cette décision et l’organisation provisoire d’un transport adapté.
Une condition d’urgence caractérisée par la réalité médicale
Le juge des référés rappelle que l’urgence suppose une atteinte suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il défend. Dans cette affaire, l’appréciation concrète de la situation a été déterminante. Le tribunal a examiné avec attention le certificat médical établi le 26 octobre 2023 qui attestait de l’impossibilité pour l’élève de se déplacer en raison de son état de santé. La combinaison d’une pathologie cardiaque limitant ses capacités physiques et d’une atteinte orthopédique nécessitant un appareillage contraignant rendait matériellement impossible tout déplacement à pied, même sur la distance réduite de 335 mètres.
Le juge a particulièrement relevé que l’élève, bien qu’ayant organisé la transmission des cours par l’intermédiaire de camarades, se trouvait dans des conditions d’apprentissage nécessairement dégradées, notamment en étant dans l’incapacité de participer aux évaluations. Cette observation souligne l’importance accordée non seulement à l’accès formel à l’éducation, mais également aux conditions effectives de scolarisation qui garantissent une égalité réelle des chances.
Le tribunal a également écarté l’argument du département selon lequel les parents auraient pu assurer eux-mêmes le transport de leur fille. Cette position mérite d’être soulignée car elle préserve le principe même de la prise en charge prévue par l’article R. 3111-24 du code des transports. Exiger des parents qu’ils assurent personnellement ce transport reviendrait à vider de sa substance l’obligation légale pesant sur le département et à créer une inégalité entre les familles selon leurs disponibilités et leurs moyens.
Un doute sérieux sur la légalité du refus
Au-delà de la condition d’urgence, le juge a identifié des moyens créant un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée. Deux aspects ont retenu son attention : l’exception d’illégalité du règlement départemental fixant une condition de distance minimale de deux kilomètres, et l’erreur manifeste d’appréciation dans l’application de ce règlement au cas d’espèce.
Cette analyse suggère que le règlement départemental, en posant une condition de distance rigide sans tenir compte des situations particulières des élèves handicapés, pourrait méconnaître l’esprit des dispositions du code des transports. L’article R. 3111-24 vise à assurer la prise en charge des frais de transport des élèves qui ne peuvent utiliser les moyens de transport en commun en raison de la gravité de leur handicap, sans subordonner cette prise en charge à une condition de distance. Le règlement départemental, en ajoutant cette condition restrictive, pourrait ainsi excéder les limites de la compétence réglementaire du département.
Les enseignements pratiques pour les familles
Cette ordonnance démontre l’efficacité du référé-suspension dans des situations où l’urgence est manifeste et où des moyens sérieux peuvent être invoqués. Pour les familles confrontées à des refus similaires, plusieurs éléments apparaissent essentiels : disposer d’une documentation médicale précise et récente attestant de l’impossibilité de recourir aux transports ordinaires, démontrer les conséquences concrètes sur la scolarité de l’enfant, et ne pas hésiter à contester les règlements locaux qui ajoutent des conditions non prévues par les textes législatifs et réglementaires nationaux.
Le juge des référés a d’ailleurs accordé au département un délai de quinze jours pour mettre en place le transport adapté, garantissant ainsi une effectivité rapide de sa décision. Cette ordonnance rappelle que le droit au transport scolaire adapté constitue un élément fondamental du droit à l’éducation des élèves en situation de handicap, qui ne saurait être entravé par des considérations purement administratives ou budgétaires lorsque l’état de santé de l’enfant le justifie impérieusement.
TA Châlons-en-Champagne, 15 déc. 2023, n° 2302811.