L’ordonnance rendue le 14 août 2025 par le Tribunal administratif de Rouen illustre de manière remarquable les exigences du juge des référés en matière de sanctions disciplinaires universitaires, particulièrement lorsque celles-ci reposent sur des accusations d’agressions sexuelles non étayées par des éléments probants.
Les faits et la procédure
Un étudiant en pharmacie, en fin de cursus et en cours de rédaction de sa thèse d’exercice, s’est vu infliger par la section disciplinaire de l’université de Rouen Normandie une sanction d’une sévérité exceptionnelle : une exclusion de quatre ans de tout établissement public d’enseignement supérieur. Cette décision, prise le 18 juillet 2025, faisait suite à des accusations d’agressions sexuelles portées par cinq étudiantes, relatant des faits qui se seraient déroulés entre septembre 2020 et septembre 2024, principalement lors de soirées privées.
Face à cette sanction qui compromettait définitivement l’achèvement de ses études, l’étudiant a saisi le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, demandant la suspension de l’exécution de cette décision dans l’attente du jugement au fond.
L’analyse de la condition d’urgence
Le juge des référés a d’abord examiné la condition d’urgence, dont la démonstration incombait au requérant. Sur ce point, la situation présentait une particulière gravité. L’étudiant avait validé son troisième cycle en septembre 2024 et devait, conformément à l’arrêté ministériel du 8 avril 2013, soutenir sa thèse d’exercice dans un délai maximal de deux ans. La sanction d’exclusion de quatre ans rendait donc impossible le respect de ce délai, même en tenant compte de la possibilité théorique de dérogation exceptionnelle, laquelle n’est pas de droit.
Le tribunal a considéré que cette situation préjudiciait gravement à la situation du requérant, dans la mesure où elle l’empêchait non seulement de soutenir sa thèse dans les délais prescrits, mais également d’obtenir le diplôme d’État de docteur en pharmacie, compromettant ainsi définitivement plusieurs années d’études.
L’université avait tenté de faire valoir un intérêt public justifiant le maintien de la sanction, en invoquant la gravité des faits reprochés et la nécessité de protéger les étudiantes. Toutefois, le juge a écarté cet argument en relevant plusieurs éléments déterminants : l’absence de plainte pénale, l’absence de signalement au procureur de la République à la date de l’audience, et surtout le fait que l’étudiant n’avait plus vocation à suivre des enseignements avant la soutenance de sa thèse, celle-ci nécessitant simplement une inscription administrative.
Le doute sérieux quant à la légalité : une analyse fondée sur l’absence de lien avec l’université
C’est sur le second volet de l’analyse, relatif à l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision, que l’ordonnance se révèle particulièrement intéressante. Le requérant invoquait plusieurs moyens tirés de la violation des droits de la défense et du défaut d’impartialité de la commission disciplinaire. Cependant, le juge des référés a fondé sa décision sur un moyen différent, tiré de l’absence de qualification disciplinaire des faits reprochés.
L’article R. 811-11 du code de l’éducation soumet au régime disciplinaire universitaire tout usager auteur de faits de nature à porter atteinte à l’ordre, au bon fonctionnement ou à la réputation de l’université. C’est précisément sur l’interprétation de cette disposition que le tribunal a développé un raisonnement rigoureux.
Le juge a relevé que les faits reprochés s’étaient déroulés exclusivement dans un cadre privé : domiciles des étudiantes, domicile du requérant, ou boîte de nuit. Aucune des plaignantes n’était de la même promotion que l’intéressé, aucune n’avait suivi d’enseignement commun avec lui, et aucune ne l’avait rencontré dans le cadre universitaire. Surtout, aucune des soirées concernées n’était organisée dans un cadre universitaire.
Plus déterminant encore, le tribunal a constaté qu’aucune pièce du dossier ne permettait d’établir qu’une quelconque publicité avait été donnée aux faits, que ce soit au sein de l’université ou à l’extérieur, tant à l’époque des faits qu’après leur dénonciation en mars 2025. L’atteinte alléguée à la réputation de l’université n’était donc pas démontrée.
L’exigence de preuves objectives
Le tribunal a également souligné l’absence de corroboration des impacts allégués sur la santé et la scolarité des plaignantes. Si plusieurs d’entre elles avaient évoqué des redoublements, des échecs aux examens, des troubles du sommeil et une perte de poids, aucune pièce médicale ou administrative ne venait objectiver ces difficultés ni établir un lien de causalité avec les faits reprochés.
Cette approche est remarquable en ce qu’elle traduit une exigence probatoire forte, même dans le cadre d’une procédure en référé. Le juge ne se contente pas des déclarations des plaignantes, aussi graves soient les accusations portées, mais recherche des éléments objectifs permettant d’établir un préjudice concret pour l’institution universitaire ou pour les étudiantes.
Portée de la décision et enseignements
Cette ordonnance rappelle avec force que la compétence disciplinaire des universités n’est pas illimitée. Elle ne s’étend qu’aux comportements présentant un lien suffisant avec la vie universitaire et susceptibles de porter atteinte au fonctionnement de l’établissement. Des faits, même graves, relevant de la vie privée des étudiants et n’ayant aucun retentissement sur la communauté universitaire, échappent en principe à cette compétence.
Le juge des référés a su trouver un équilibre délicat entre, d’une part, la nécessité de protéger les étudiantes contre les violences sexuelles et sexistes, préoccupation légitime et essentielle, et d’autre part, le respect des droits de la défense et des principes fondamentaux du droit disciplinaire universitaire. En l’absence d’éléments probants établissant un lien entre les faits reprochés et la vie universitaire, la sanction ne pouvait être maintenue.
Il convient de souligner que cette décision n’a été rendue qu’en référé suspension et qu’elle ne préjuge pas de l’issue du recours au fond. Elle n’a pas non plus pour effet d’empêcher d’éventuelles poursuites pénales, le tribunal ayant d’ailleurs relevé que l’université n’avait toujours pas procédé à un signalement au procureur de la République.
Pour les praticiens, cette ordonnance constitue un rappel utile des exigences du juge administratif en matière de sanctions disciplinaires universitaires et de la nécessité, pour les établissements, de rassembler des éléments probants démontrant le lien entre les faits reprochés et l’atteinte portée à l’institution avant de prononcer des sanctions aussi lourdes que des exclusions de longue durée.