Sur quels faits et preuves un établissement d’enseignement supérieur peut-il se fonder pour sanctionner un étudiant? C’est à cette question que répond le juge du référé du tribunal administratif de Toulouse saisi de la légalité d’une sanction d’exclusion de trois ans prononcée à l’égard d’un étudiant de l’Institut d’études politiques de Toulouse.
Le juge retient en premier lieu, classiquement, l’urgence à statuer en référé, puisque la sanction a » pour effet de priver ce dernier, d’une part, de passer ses examens du semestre n° 4 nécessaires à la validation de sa deuxième année, qui débuteront le 9 mai 2023, et, d’autre part, de poursuivre ses études à l’étranger en 3ème année comme l’exige le cursus en place au sein de cet établissement » . Le juge considère pars ailleurs, qu’il n’apparaît pas qu’un intérêt public puisse s’opposer à la suspension de l’exécution de la décision attaquée, dès lors que la réintégration de M. C au sein de l’Institut d’études politiques de Toulouse ne peut être regardée comme compromettant le bon fonctionnement du service public ou la sécurité de l’étudiante avec qui le requérant aurait eu un comportement qualifié d’ » inapproprié « .
S’agissant de la légalité de la décision, le juge retient que selon la motivation de la décision contestée, les faits reprochés étaient un trouble à l’ordre et au bon fonctionnement de l’établissement. Pour retenir ces griefs, la commission a estimé que l’intéressé avait eu » des comportements inappropriés de l’usager mis en cause, à l’égard d’une autre étudiante de sa promotion, – particulièrement, le fait de ne pas prendre en compte la situation de vulnérabilité matérielle et psychologique connue de lui et sa propre perception de leur relation -, [qui] ont entraîné une aggravation de l’état de santé de cette étudiante ainsi que des répercussions sur sa scolarité, son assiduité en cours et ses résultats aux examens (redoublement) « . La commission a également relevé que » l’usager mis en cause a exercé diverses pressions et menaces envers ses pairs « et indiqué que » cette relation délétère, en dépassant le cadre de l’intime pour être progressivement publicisée au sein de la communauté éducative et associative de Science Po Toulouse, très sensibilisé aux enjeux de violences sexuelles et sexistes, a suscité de multiples perturbations au sein de l’établissement « .
Le juge censure la sanction sur le fondement de l’erreur matérielle et de la disproportion de la sanction.
« Toutefois, l’appréciation subjective des faits reprochés à M. C, notamment » sa propre perception de [la] relation « qu’il a eue avec l’étudiante dont s’agit ou ses » comportements inappropriés « , ne repose sur aucun élément tangible. A cet égard, il appartient à l’administration d’apporter des éléments de nature à établir la réalité des faits qu’elle reproche à un usager et, pour se faire, elle ne saurait se borner, comme elle le fait dans ses écritures en défense, à indiquer que l’usager ne saurait être regardé comme démontrant » qu’il n’a aucune conscience des actes commis « par le seul fait qu’il en conteste la matérialité. »
En outre, le tribunal remet en cause le lien de causalité entre les faits reprochés et le préjudice subi par la victime au regard de ses antécédents médicaux:
« aucun élément médical ou scientifique ne permet de confirmer le lien de causalité supposé par la commission de discipline entre l’aggravation de l’état de santé de l’étudiante concernée et sa rencontre avec M. C, alors que le rapport d’instruction présenté à cette commission fait état de ce que cette étudiante avait connu des troubles anxio-dépressifs et des troubles du comportement alimentaire ayant nécessité une prescription médicale d’anxiolytiques et d’antidépresseurs avant même son arrivée à l’Institut d’études politiques de Toulouse. »
S’agissant du rentissement de l’affaire, le juge considère que cela ne peut être mis au crédit de l’étudiant:
« Enfin, rien ne permet d’établir que M. C aurait contribué à » publiciser « sa relation avec l’étudiante dont s’agit, les perturbations mentionnées dans la décision attaquée semblant davantage résulter du mouvement de dénonciation et de sensibilisation aux enjeux de violences sexuelles et sexistes mené par plusieurs associations d’étudiants, mouvement se qualifiant de » vague Science Porc » ainsi que le révèle le tract évoqué précédemment. »
Par conséquent, les moyens tirés de l’inexactitude matérielle des faits et de la disproportion de la sanction prononcée à l’encontre de M. C sont, selon le juge du référé, propres à créer un doute sérieux sur la légalité de ladite sanction.
Le juge administratif suspend donc la décision de la commission de discipline de la section disciplinaire de l’Institut d’études politiques de Toulouse jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la légalité de cette décision. L’étudiant doit pouvoir se présenter à ses examens et de poursuivre sa scolarité au sein de cet établissement
Décision commentée: TA Toulouse, 5 mai 2023, n° 2302333. Voir également TA Grenoble, 13 juin 2023, n° 2303226.