Dans une ordonnance rendue le 18 novembre 2025, le Tribunal administratif de Nantes illustre avec force la tension permanente entre les impératifs de sécurité au sein des établissements scolaires et le droit fondamental à l’éducation des enfants en situation de handicap. Cette décision, rendue en référé-liberté sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, rappelle que l’État ne peut se délier de ses obligations constitutionnelles, même face aux difficultés pratiques que pose la scolarisation d’un enfant présentant des troubles du comportement.
Les faits à l’origine du contentieux
L’affaire concernait un jeune enfant, D., orienté vers un dispositif d’institut thérapeutique éducatif et pédagogique (DITEP) depuis septembre 2025 et bénéficiant d’une aide humaine individuelle. Scolarisé à l’école primaire de La Fradinière à Saint-Hilaire-de-Riez, l’enfant a été impliqué dans un incident violent le 14 octobre 2025. Le lendemain, l’inspectrice de l’éducation nationale a décidé de suspendre son accueil à l’école, conditionnant son retour à la présence permanente d’un professionnel du DITEP. Depuis cette date, l’enfant se trouvait effectivement déscolarisé, la mère contestant cette décision prise brutalement et sans solution de remplacement satisfaisante.
Le cadre juridique du droit à l’éducation des enfants handicapés
Le juge des référés rappelle avec une rare précision le fondement constitutionnel du droit à l’éducation. L’égal accès à l’instruction découle du treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et trouve son application dans plusieurs dispositions du code de l’éducation. L’article L. 131-1 pose le principe de l’instruction obligatoire de trois à seize ans, tandis que l’article L. 112-1 précise que le service public de l’éducation assure une formation aux enfants présentant un handicap.
Le tribunal souligne que les difficultés particulières rencontrées par les enfants en situation de handicap ne sauraient avoir pour effet de les priver de ce droit ni de faire obstacle au respect de l’obligation scolaire. Il incombe donc à l’État de prendre l’ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que ce droit ait un caractère effectif.
L’analyse de la condition d’urgence
Sur la question de l’urgence, le juge relève plusieurs éléments déterminants. La décision du 15 octobre 2025 a été prise brutalement, sans information préalable de la mère ni mise en place de mesures compensatoires. L’enfant s’est trouvé déscolarisé en méconnaissance des obligations s’imposant à l’État et de l’avis de la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) du 9 juillet 2024.
Le tribunal observe que cette privation brutale de scolarisation rompt avec la routine établie et affecte l’enfant. La condition d’urgence propre au référé-liberté, qui exige une intervention dans les quarante-huit heures, se trouve ainsi satisfaite.
Un raisonnement nuancé sur l’atteinte à la liberté fondamentale
L’analyse du juge sur l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale révèle une approche particulièrement équilibrée. Dans un premier temps, le tribunal écarte l’argument selon lequel la décision constituerait une exclusion déguisée portant atteinte au droit à l’éducation, relevant que la prise en charge au sein du DITEP se poursuit et qu’une réintégration est prévue au 1er décembre.
Le juge examine ensuite la question de l’accompagnement proposé. Il constate que le temps d’accompagnement envisagé par le DITEP, limité à une heure trente par semaine, pourrait s’avérer insuffisant au regard des besoins de l’enfant et de son comportement. Le tribunal prend en considération les faits graves de violence physique envers les autres élèves et contre l’enfant lui-même, ainsi que la nécessité de protéger les autres élèves et l’équipe éducative.
À ce stade, le juge estime que compte tenu du comportement de l’enfant, des risques pour la santé des autres élèves et de l’équipe éducative, et des diligences accomplies par l’administration, la décision de conditionner l’accueil à la présence d’un éducateur ne constitue pas en elle-même une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l’éducation.
Le constat d’une carence fautive de l’administration
Toutefois, et c’est là que réside l’apport essentiel de cette décision, le juge constate qu’en l’absence de toute instruction ou formation scolaire depuis le 15 octobre 2025, et sans mesures suffisantes permettant effectivement à l’enfant de bénéficier d’une formation scolaire, l’État porte une atteinte grave et manifestement illégale à l’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction.
Le tribunal souligne que les pièces produites ne permettent pas de déterminer avec précision le nombre d’heures effectives de temps scolaire qui pourrait être encadré par un éducateur du DITEP, cet ensemble demeurant en tout état de cause très faible. Cette insuffisance des moyens mis en œuvre constitue également une violation de l’intérêt supérieur de l’enfant et du principe de non-discrimination.
Une injonction contraignante pour l’administration
Face à cette situation, le juge des référés ordonne à la rectrice de faire toutes diligences sans délai pour mettre en place une solution assurant effectivement le droit à l’instruction de l’enfant. Cette solution doit être effective au plus tard au 1er décembre 2025. Le tribunal va plus loin en exigeant que la rectrice justifie auprès de lui des mesures prises pour assurer l’exécution de l’ordonnance, s’assurant ainsi du suivi effectif de sa décision.
Les enseignements de cette ordonnance
Cette décision met en lumière plusieurs principes essentiels. D’abord, si l’administration peut légitimement prendre des mesures pour assurer la sécurité des élèves et des personnels, elle ne peut pour autant se soustraire à son obligation constitutionnelle d’assurer l’instruction des enfants handicapés. La conciliation entre ces impératifs impose la mise en place effective de solutions adaptées, et non une simple suspension de la scolarisation.
Ensuite, le juge rappelle que les décisions affectant la scolarité d’un enfant handicapé ne peuvent être prises brutalement, sans concertation préalable avec les parents et sans mise en place de mesures compensatoires. L’absence de telles diligences caractérise l’atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale.
Enfin, cette ordonnance souligne que les moyens budgétaires ou organisationnels limités ne sauraient justifier la privation du droit à l’éducation. Il appartient à l’État de mobiliser les ressources nécessaires pour rendre ce droit effectif, conformément aux orientations de la CDAPH qui s’imposent aux établissements.
Cette jurisprudence devrait conduire les autorités académiques à anticiper davantage les situations de crise et à mettre en place des solutions pérennes plutôt que des suspensions de scolarisation qui, faute d’alternative réelle, constituent des violations caractérisées des droits fondamentaux des enfants handicapés.
TA Nantes, 18 nov. 2025, n° 2519868