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Retrait d’une inscription universitaire irrégulière : les garanties procédurales s’imposent

Le tribunal administratif de Nîmes a rendu le 28 octobre 2025 une ordonnance de référé-suspension qui rappelle avec fermeté que même lorsque l’administration universitaire doit corriger une erreur d’inscription, elle reste tenue de respecter les garanties procédurales fondamentales. Cette décision illustre la tension entre la nécessité pour l’université de faire respecter les règles de validation des cursus et l’obligation de protéger les droits des étudiants, fût-ce lorsque ces derniers ont bénéficié d’une décision initiale irrégulière.

L’affaire concernait une étudiante de quarante-sept ans en reprise d’études qui s’était inscrite en septembre 2025 en troisième année de licence de droit, alors qu’elle n’avait pas validé l’intégralité de sa deuxième année. Le système AJAC, pour « ajourné autorisé à composer », permet normalement aux étudiants n’ayant échoué qu’à un semestre de poursuivre en année supérieure tout en rattrapant les matières manquantes. Toutefois, selon l’université, la requérante n’avait pas été autorisée à bénéficier de ce dispositif par le jury du 17 juillet 2025, car elle ne s’était pas présentée à la session de rattrapage. Son inscription en troisième année résultait donc d’une erreur administrative.

Face à cette situation, l’université d’Avignon avait pris le 2 octobre 2025 une décision retirant l’inscription de l’étudiante en licence 3, au motif que l’erreur ayant permis son inscription avait fait naître une décision individuelle créatrice de droits mais illégale. Cette décision lui avait été notifiée par courriel le 3 octobre, après qu’elle eut déjà suivi plus d’un mois de cours. L’étudiante avait alors saisi le juge des référés pour obtenir la suspension de cette décision et sa réintégration provisoire dans l’attente du jugement au fond.

Le cadre juridique applicable repose sur l’articulation entre plusieurs principes. D’une part, l’administration dispose du pouvoir de retirer une décision créatrice de droits illégale dans un délai de quatre mois suivant son édiction, conformément aux règles générales du droit administratif. D’autre part, l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration impose le respect d’une procédure contradictoire avant toute décision défavorable, permettant à l’intéressé de présenter ses observations. La question posée au juge était de savoir si cette garantie procédurale s’appliquait également au retrait d’une décision créatrice de droits obtenue par erreur.

L’université soulevait d’abord une fin de non-recevoir, arguant que le courriel du 3 octobre ne constituait pas un acte faisant grief mais une simple information sur une décision du jury. Le tribunal écarte cet argument de manière convaincante en relevant que ce courriel notifiait bien le retrait de l’autorisation de passage en année supérieure que l’étudiante avait acquise du fait de son inscription effectuée en septembre 2025. Peu importe que l’université présente cette mesure comme émanant du jury ou comme une simple régularisation : dès lors qu’elle prive l’étudiante de son droit à suivre les cours de troisième année, elle constitue une décision administrative individuelle faisant grief, susceptible de recours contentieux.

Le juge précise d’ailleurs que même si une décision postérieure du 21 octobre 2025, prise en réponse au recours gracieux de l’intéressée, venait confirmer le retrait initial, les deux décisions doivent être examinées. Cette approche pragmatique permet d’éviter que l’administration ne puisse échapper au contrôle juridictionnel en multipliant les décisions successives sur le même objet.

Sur la condition d’urgence, le tribunal adopte une appréciation concrète de la situation. Il relève que la décision litigieuse fait immédiatement obstacle à la poursuite des cours de licence 3 et aux travaux dirigés correspondants que l’étudiante suit depuis plus d’un mois. L’objectif qu’elle poursuivait était de valider concomitamment le semestre 5 de troisième année et le semestre 3 de deuxième année qui lui manquait. Le juge souligne la brièveté d’un semestre universitaire, qui ne permet guère d’interruptions prolongées sans compromettre les chances de validation. Cette analyse reconnaît la réalité du rythme universitaire et l’importance de la continuité pédagogique pour la réussite des étudiants.

L’université faisait valoir que l’étudiante pourrait toujours doubler sa deuxième année de licence, puisqu’elle en avait validé le semestre 4. Cet argument est écarté par le juge, qui considère que cette possibilité alternative ne supprime pas l’urgence à statuer sur la régularité de la décision de retrait. Il ne s’agit pas de savoir si l’étudiante dispose d’autres options pour poursuivre ses études, mais bien d’apprécier si elle subit un préjudice grave et immédiat du fait de l’interruption brutale de son cursus en troisième année.

C’est sur l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision que l’ordonnance prend toute sa portée. Le tribunal considère que le moyen tiré de l’absence de mise en œuvre de la procédure contradictoire prévue à l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration est de nature à faire naître un tel doute. Cette position mérite d’être soulignée car elle refuse d’admettre que l’administration puisse se dispenser des garanties procédurales au motif qu’elle corrigerait une erreur.

L’université invoquait pourtant plusieurs arguments pour justifier l’absence de contradictoire. Elle faisait valoir la nécessité de régulariser rapidement la situation pour permettre à l’étudiante d’assister aux cours de deuxième année, présentant ainsi son action comme motivée par l’intérêt même de l’intéressée. Elle soulignait également que le retrait devait être prononcé dans le délai de quatre mois et qu’il était urgent d’agir. Enfin, elle arguait de l’incompétence de l’auteur de la première décision, le jury n’ayant jamais formellement accordé le bénéfice de l’AJAC.

Ces arguments ne convainquent pas le juge. La procédure contradictoire n’est pas une simple formalité dont on pourrait se dispenser au nom de l’urgence ou de l’intérêt supposé de l’administré. Elle constitue une garantie fondamentale qui permet à l’intéressé de faire valoir ses observations, de contester éventuellement la qualification d’erreur retenue par l’administration, ou de présenter des éléments susceptibles d’influencer la décision. En l’espèce, l’étudiante soutenait qu’elle n’avait jamais reçu la décision du jury du 17 juillet 2025, mais des courriels de confirmation de son inscription en L3. Elle invoquait également une rupture d’égalité, prétendant que d’autres étudiants dans sa situation avaient été autorisés à poursuivre en licence 3.

Sans préjuger du bien-fondé de ces arguments au fond, le juge constate qu’ils méritaient d’être examinés dans le cadre d’une procédure contradictoire avant la prise de décision. L’université ne pouvait se contenter de constater une erreur et d’en tirer immédiatement les conséquences sans permettre à l’étudiante de s’expliquer. Cette exigence procédurale s’impose d’autant plus que la situation présentait certaines particularités : étudiante en reprise d’études à quarante-sept ans, difficultés antérieures avec l’administration de l’université, contestation sur le point de savoir si elle avait bien été informée de la décision du jury.

Sur les conclusions à fin d’injonction, le tribunal fait preuve de mesure. Il relève que l’exécution de son ordonnance n’implique pas nécessairement l’admission définitive de l’étudiante en licence 3, mais seulement la suspension provisoire de la décision de retrait dans l’attente du jugement au fond. Il enjoint donc à l’université de réexaminer la situation dans un délai d’un mois, cette fois en respectant la procédure contradictoire, et d’admettre l’étudiante à réintégrer provisoirement les cours et travaux dirigés du semestre 5 dans l’attente de ce réexamen.

Cette solution équilibrée préserve à la fois les droits de l’étudiante, qui peut poursuivre sa formation sans perdre davantage de temps, et les prérogatives de l’université, qui conserve la possibilité de prendre une nouvelle décision après avoir mis en œuvre une procédure régulière. Le réexamen ordonné devra permettre à l’étudiante de présenter ses observations, notamment sur la réalité de l’erreur invoquée, sur les circonstances de son inscription, et sur la comparaison avec la situation d’autres étudiants.

Cette jurisprudence emporte plusieurs enseignements pour les universités. Elle rappelle que le pouvoir de retrait d’une décision illégale ne dispense pas du respect des garanties procédurales, même lorsque l’illégalité paraît évidente à l’administration. La célérité nécessaire pour agir dans le délai de quatre mois ne saurait justifier l’économie du contradictoire, qui peut être organisé rapidement. Les universités doivent donc systématiquement, avant de retirer une inscription ou une autorisation de passage, informer l’étudiant des motifs envisagés et lui permettre de présenter ses observations, quitte à raccourcir les délais habituels en cas d’urgence.

TA Nimes, 28 oct. 2025, n° 2504286