L’ordonnance rendue le 22 août 2025 par le Tribunal administratif de Nîmes illustre de manière exemplaire l’obligation qui pèse sur l’administration de motiver ses décisions de non-renouvellement de contrats, particulièrement dans le contexte spécifique du passage en contrat à durée indéterminée des assistants d’éducation. Cette décision rappelle que l’absence de droit au renouvellement ne dispense pas l’administration de justifier son refus par des motifs tirés de l’intérêt du service.
Le cadre juridique du CDI des assistants d’éducation
Depuis le décret du 9 août 2022, le statut des assistants d’éducation a connu une évolution significative. L’article L. 916-1 du code de l’éducation prévoit désormais qu’après six ans d’exercice en qualité d’assistant d’éducation, un contrat à durée indéterminée peut être conclu pour permettre à l’agent de poursuivre ses missions. Cette disposition, introduite pour reconnaître l’engagement durable de ces personnels essentiels au fonctionnement des établissements scolaires, crée une possibilité de transformation du contrat sans pour autant conférer un droit automatique à cette transformation.
Le décret du 6 juin 2003, modifié en 2022, précise que ces contrats à durée indéterminée sont conclus par le recteur d’académie et peuvent bénéficier à tous les assistants d’éducation ayant exercé pendant six ans ces fonctions, quelle que soit la date à laquelle elles ont été exercées. Cette ouverture rétroactive a permis à de nombreux agents de prétendre à cette stabilisation de leur situation professionnelle.
Les faits et la procédure
Dans l’affaire soumise au Tribunal administratif de Nîmes, une assistante d’éducation avait exercé ses fonctions pendant six années consécutives au sein du collège Paul Éluard de Bollène, du 1er septembre 2019 au 31 août 2025, par le biais de contrats à durée déterminée successifs. À l’issue de cette période, elle était éligible au passage en contrat à durée indéterminée conformément aux dispositions précitées.
Toutefois, par une décision du 10 juillet 2025, le recteur de l’académie d’Aix-Marseille a refusé de procéder à ce renouvellement sous forme de CDI. Confrontée à cette décision qui la privait de tout emploi à compter du 1er septembre 2025, alors qu’elle était la seule source de revenus d’un foyer familial comprenant quatre enfants, l’intéressée a saisi le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.
L’appréciation de l’urgence : la dimension sociale du litige
Sur la condition d’urgence, le tribunal a adopté une approche pragmatique et humaine. Le juge a relevé qu’il n’était pas contesté que la requérante ne disposait d’aucune autre source de revenus que son traitement d’assistante d’éducation jusqu’au 31 août 2025. Cette situation, combinée à ses responsabilités familiales, caractérisait des effets graves et immédiats sur sa situation financière.
Cette appréciation confirme la jurisprudence constante selon laquelle la perte d’emploi et de revenus constitue, par principe, une situation d’urgence au sens de l’article L. 521-1 du code de justice administrative. Le juge des référés ne se livre pas ici à une appréciation détaillée des conséquences économiques et sociales, la simple perspective de se retrouver sans emploi ni revenus suffisant à caractériser l’urgence.
Le doute sérieux : l’absence de motivation comme vice substantiel
C’est sur le second volet de l’analyse que l’ordonnance présente le plus grand intérêt pratique. Le tribunal a dû appliquer les principes jurisprudentiels relatifs au non-renouvellement des contrats à durée déterminée dans la fonction publique, tels qu’ils ont été dégagés par le Conseil d’État.
Le juge rappelle d’abord le principe fondamental : un agent public recruté par contrat à durée déterminée ne bénéficie ni d’un droit au renouvellement de son contrat ni, a fortiori, d’un droit à la conclusion d’un contrat à durée indéterminée. L’administration conserve donc une large marge d’appréciation pour décider de ne pas poursuivre la relation contractuelle.
Toutefois, cette liberté n’est pas absolue. L’administration ne peut refuser le renouvellement ou la transformation du contrat que pour des motifs tirés de l’intérêt du service ou pris en considération de la personne de l’agent. Cette exigence, issue de la jurisprudence administrative classique, vise à éviter les décisions arbitraires et à garantir un minimum de protection aux agents contractuels.
Le tribunal précise ensuite l’obligation qui pèse sur l’administration lorsque l’agent conteste la décision de non-renouvellement. Si l’agent soutient qu’une telle décision n’a pas été prise dans l’intérêt du service, il appartient à l’administration d’indiquer les motifs pour lesquels elle a décidé de ne pas renouveler le contrat, même si ces motifs ne figuraient pas dans la décision initiale. À défaut de fournir ces motifs, la décision doit être regardée comme ne reposant pas sur des motifs tirés de l’intérêt du service, ce qui constitue un vice de légalité.
En l’espèce, le juge a constaté que le recteur de l’académie n’avait fourni aucun motif justifiant le refus de transformer le contrat de l’assistante d’éducation en contrat à durée indéterminée. Cette carence a été considérée comme créant un doute sérieux quant à la légalité de la décision, d’autant plus que la requérante faisait valoir avoir exercé ses fonctions pendant six ans en bonne harmonie avec l’équipe éducative et avec le soutien de son chef d’établissement.
Les limites du pouvoir d’injonction du juge des référés
Un aspect technique mais important de cette ordonnance concerne les limites du pouvoir d’injonction du juge des référés. La requérante demandait non seulement la suspension de la décision de refus, mais également une injonction d’affectation assortie d’une astreinte.
Le tribunal a rappelé une distinction fondamentale : si le juge des référés peut suspendre une décision de non-renouvellement et enjoindre à l’administration de statuer à nouveau sur la demande, il ne peut en revanche imposer le maintien provisoire de relations contractuelles au-delà du terme du contrat en cours. Cette limite découle de la nature même du référé suspension, qui ne peut créer des droits nouveaux mais seulement geler temporairement les effets d’une décision administrative.
Le tribunal a donc ordonné au recteur de réexaminer la situation de l’intéressée dans un délai de quinze jours, sans assortir cette injonction d’une astreinte et sans imposer le maintien du contrat. Cette solution équilibrée permet de remédier au vice constaté tout en respectant les prérogatives de l’administration.
Enseignements pratiques
Cette ordonnance délivre plusieurs enseignements pour les praticiens. Pour les agents contractuels de l’éducation nationale, elle confirme que l’absence de droit au CDI après six ans d’exercice ne signifie pas que l’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire absolu. Le refus de transformation doit être motivé par des considérations objectives liées à l’intérêt du service ou à la situation personnelle de l’agent.
Pour les administrations, cette décision rappelle l’importance de motiver les décisions de non-renouvellement, particulièrement dans le contexte spécifique des assistants d’éducation ayant atteint le seuil de six ans d’ancienneté. Une décision laconique ou non motivée s’expose à une suspension en référé et, potentiellement, à une annulation au fond.
La présence et l’admission de l’intervention syndicale dans cette procédure témoignent également de l’importance collective de ces questions, qui dépassent le seul cas individuel pour toucher à la politique de gestion des personnels précaires dans l’éducation nationale. Cette dimension collective renforce l’exigence de transparence et de justification qui pèse sur l’administration dans ses décisions de non-renouvellement.
TA Nîmes, 22 août 2025, n° 2503250