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Quand l’absence de délégation de signature annule une sanction disciplinaire : le formalisme au service des droits de l’élève

Le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rendu le 17 octobre 2025 une décision qui rappelle une règle élémentaire mais trop souvent négligée dans les établissements scolaires : seul le chef d’établissement est compétent pour prononcer des sanctions disciplinaires, sauf s’il a régulièrement délégué ce pouvoir à ses adjoints. L’absence de preuve d’une telle délégation suffit à vicier irrémédiablement la décision, quand bien même la sanction pourrait apparaître justifiée au fond.

L’affaire concerne un élève de troisième qui s’est vu infliger, le 16 juin 2023, une exclusion temporaire de cinq jours par le principal-adjoint de son établissement. Cette sanction se situe au milieu de l’échelle disciplinaire puisque le code de l’éducation permet des exclusions temporaires pouvant aller jusqu’à huit jours. Le père de l’élève, agissant pour le compte de son fils mineur, forme un recours gracieux qui est implicitement rejeté, puis saisit le tribunal administratif en juillet 2023 pour demander l’annulation de la sanction.

La requête soulève plusieurs moyens classiques du contentieux disciplinaire scolaire : incompétence de l’auteur de la décision, méconnaissance des droits de la défense, disproportion de la sanction et erreur d’appréciation. Cette accumulation de moyens témoigne d’une stratégie contentieuse prudente, visant à multiplier les angles d’attaque pour maximiser les chances d’obtenir l’annulation. Mais c’est finalement sur le premier moyen, le plus formel en apparence, que le tribunal va fonder son analyse.

Le cadre juridique applicable repose sur plusieurs articles du code de l’éducation qui organisent minutieusement l’architecture du pouvoir disciplinaire dans les établissements du second degré. L’article R. 511-13 énumère les sanctions susceptibles d’être prononcées, parmi lesquelles figure l’exclusion temporaire dont la durée ne peut excéder huit jours. L’article R. 511-14 désigne le chef d’établissement comme l’autorité compétente pour prononcer seul ces sanctions. Enfin, l’article R. 421-13 prévoit la possibilité pour le chef d’établissement de déléguer sa signature à chacun de ses adjoints.

Cette dernière disposition est cruciale car elle conditionne la validité de toute sanction prise par un adjoint. La délégation de signature n’est pas une simple formalité administrative : elle constitue le support juridique permettant à un agent autre que le titulaire d’une compétence d’exercer celle-ci valablement. Sans délégation régulière, l’acte pris par le délégataire est entaché d’incompétence, vice qui figure parmi les plus graves en droit administratif.

C’est précisément sur ce point que l’administration échoue. Malgré une demande expresse du tribunal dans le cadre de l’instruction, aucune pièce du dossier ne vient établir que le principal-adjoint disposait effectivement d’une délégation de signature à la date du 16 juin 2023. Cette absence est d’autant plus remarquable que l’administration a bien produit un mémoire en défense en août 2024, plus d’un an après l’enregistrement de la requête. Elle a donc eu tout le temps nécessaire pour verser au dossier l’arrêté de délégation si celui-ci existait. Son silence ne peut être interprété que comme l’aveu de l’absence d’une telle délégation.

Le tribunal fait alors application d’un principe jurisprudentiel désormais bien établi : lorsque plusieurs moyens sont de nature à justifier l’annulation, le juge choisit de fonder celle-ci sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige. Cette formule, qui pourrait sembler anodine, révèle en réalité une conception pragmatique de l’office du juge. Plutôt que d’examiner successivement tous les moyens soulevés, le tribunal se concentre sur celui qui permet de trancher le litige de la manière la plus claire et la plus incontestable.

En l’espèce, le choix du moyen tiré de l’incompétence présente plusieurs avantages. D’une part, il s’agit d’un vice facilement constatable qui ne nécessite aucune appréciation subjective : soit la délégation existe et est versée au dossier, soit elle n’existe pas ou n’est pas prouvée. D’autre part, ce moyen évite au tribunal d’avoir à se prononcer sur le fond de l’affaire disciplinaire, c’est-à-dire sur la réalité des faits reprochés, le respect des droits de la défense ou la proportionnalité de la sanction. Ces questions, souvent délicates et susceptibles de donner lieu à des débats contradictoires approfondis, deviennent sans objet dès lors que l’incompétence de l’auteur de l’acte est établie.

Cette économie de moyens présente toutefois un revers pour le requérant. En fondant l’annulation sur un vice de forme, le tribunal ne statue pas sur les autres griefs articulés dans la requête. Si l’établissement venait à prononcer une nouvelle sanction pour les mêmes faits, cette fois par l’autorité compétente, il ne serait pas lié par une éventuelle appréciation du tribunal sur le fond de l’affaire. La formule finale du jugement est d’ailleurs révélatrice : le tribunal précise qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les autres moyens de la requête.

L’annulation s’étend logiquement à la décision implicite de rejet du recours gracieux, qui partage le sort de la décision initiale. Cette extension est de principe en contentieux administratif : l’annulation de la décision principale entraîne mécaniquement celle de la décision confirmative.

Cette décision constitue un rappel utile pour tous les établissements scolaires sur l’importance du formalisme en matière disciplinaire. La délégation de signature n’est pas une simple commodité administrative permettant au chef d’établissement de se décharger de certaines tâches. Elle constitue une condition de validité juridique des actes pris par les délégataires. Cette délégation doit être formalisée par un acte écrit, mentionnant explicitement les compétences déléguées et l’identité du délégataire. Elle doit être conservée précieusement dans les archives de l’établissement et produite en cas de contestation contentieuse.

Pour les praticiens du droit de l’éducation, cette jurisprudence confirme l’intérêt de soulever systématiquement le moyen tiré de l’incompétence lorsqu’une sanction est signée par un adjoint. La production de la délégation de signature devrait être exigée dès le recours gracieux, afin de contraindre l’administration à justifier de la régularité de la procédure. L’absence de réponse satisfaisante constituera alors un indice sérieux de l’irrégularité de la décision et justifiera pleinement le recours contentieux.

TA Cergy-Pontoise, 1re ch., 17 oct. 2025, n° 2310449