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L’obligation d’effectivité de la scolarisation en milieu adapté

Le Tribunal administratif de Melun a rendu le 12 septembre 2025 une décision qui, bien que brève, rappelle avec fermeté un principe essentiel du droit de l’éducation : l’orientation prononcée par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées s’impose à l’administration scolaire, qui ne peut s’en affranchir sans justification solide. Cette affaire illustre parfaitement la tension qui peut exister entre les décisions d’orientation et leur mise en œuvre effective par les autorités académiques.

Les faits sont malheureusement classiques dans leur déroulement. Un enfant présentant un handicap fait l’objet d’une orientation par la CDAPH du Val-de-Marne vers une unité localisée pour l’inclusion scolaire, décision prise le 14 mai 2025 pour une période courant du 1er septembre 2025 au 31 août 2029. Cette orientation témoigne d’une évaluation des besoins spécifiques de l’enfant par l’équipe pluridisciplinaire, qui a estimé qu’une scolarisation en ULIS constituait la réponse appropriée à sa situation. Pourtant, quelques semaines plus tard, le recteur de l’académie de Créteil décide d’affecter l’élève en classe de sixième ordinaire au sein du collège Frédéric et Irène Joliot-Curie de Fontenay-sous-Bois, ignorant ainsi purement et simplement l’orientation prononcée.

La mère de l’enfant, agissant tant en son nom propre qu’en celui de son fils, saisit alors le tribunal administratif. Sa démarche témoigne d’une situation que connaissent malheureusement de nombreuses familles d’enfants en situation de handicap : celle de devoir se battre pour faire respecter les droits reconnus à leur enfant par les textes et par les instances spécialisées. Le contentieux de la scolarisation des élèves handicapés est devenu au fil des années un contentieux de masse, révélateur de l’écart persistant entre les principes affirmés et leur mise en œuvre concrète.

Le tribunal commence par rappeler le cadre juridique applicable, dont l’architecture repose sur plusieurs textes complémentaires. L’article L. 351-1 du code de l’éducation pose le principe de la scolarisation des enfants handicapés dans les établissements ordinaires, si nécessaire au sein de dispositifs adaptés. L’article L. 351-2 confie à la CDAPH le pouvoir de désigner les établissements ou services correspondant aux besoins de l’enfant, et précise que cette décision s’impose aux établissements scolaires ordinaires. Cette formule, qui pourrait sembler limpide, a pourtant donné lieu à d’importantes discussions jurisprudentielles sur sa portée exacte.

Le tribunal rappelle également que l’État est tenu légalement d’assurer aux enfants handicapés une prise en charge éducative au moins équivalente à celle dispensée aux enfants scolarisés en milieu ordinaire, compte tenu de leurs besoins propres. Cette obligation ne se limite pas à une simple obligation de moyens : elle doit avoir un caractère effectif. Cette exigence d’effectivité constitue le cœur du contrôle exercé par le juge administratif dans ce type de contentieux.

C’est précisément sur ce terrain que le recteur de l’académie échoue. Face à la contestation de la famille, l’administration ne justifie d’aucun élément permettant de comprendre ou d’expliquer le décalage entre l’orientation prononcée et l’affectation décidée. Le tribunal constate sèchement que le recteur ne justifie pas de l’insuffisance des places disponibles en classe ULIS au sein du collège concerné. Cette absence de justification est d’autant plus frappante que l’enfant est bien affecté dans l’établissement visé par la famille, mais simplement dans une classe ordinaire plutôt qu’en ULIS.

On mesure ici toute la portée du contrôle exercé par le juge. Il ne s’agit pas pour l’administration de démontrer une impossibilité absolue de respecter l’orientation, mais a minima d’apporter des éléments de nature à expliquer pourquoi elle n’a pas pu être suivie. En l’espèce, aucune contrainte matérielle n’est invoquée, aucune saturation des effectifs n’est établie, aucune difficulté particulière n’est exposée. Le silence de l’administration face à la mise en demeure contentieuse est d’ailleurs révélateur : le mémoire en défense du recteur, enregistré le 2 septembre 2025, n’a même pas été communiqué à la partie adverse, ce qui traduit soit une carence dans le suivi du dossier, soit l’absence d’arguments juridiques solides à opposer à la requête.

Le tribunal en tire les conséquences logiques en qualifiant la décision d’erreur d’appréciation. Cette qualification juridique signifie que le recteur disposait certes d’une marge d’appréciation dans l’affectation de l’élève, mais que cette marge a été exercée de manière manifestement inappropriée au regard des circonstances de l’espèce. En affectant l’enfant en classe ordinaire alors qu’une orientation en ULIS avait été prononcée, sans justifier d’aucune contrainte rendant impossible le respect de cette orientation, l’administration a commis une erreur dans l’usage de son pouvoir discrétionnaire.

L’annulation de la décision d’affectation s’accompagne logiquement d’une injonction. Le tribunal va même au-delà de ce que demandait la requérante en raccourcissant le délai d’exécution : alors que celle-ci sollicitait un délai de quinze jours, le tribunal enjoint au recteur de procéder à l’affectation en ULIS dans un délai de trois jours seulement. Cette sévérité s’explique aisément : l’année scolaire est déjà commencée au moment où le jugement est rendu en septembre 2025, et chaque jour compte pour permettre à l’enfant de bénéficier effectivement du dispositif adapté à ses besoins. Le tribunal refuse toutefois d’assortir cette injonction d’une astreinte, considérant sans doute que la clarté du jugement et la brièveté du délai imparti suffisent à garantir son exécution.

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence désormais bien établie qui reconnaît aux familles d’enfants handicapés un véritable droit au respect des orientations prononcées par les CDAPH. Le juge administratif a progressivement durci son contrôle sur les décisions d’affectation scolaire qui s’écartent de ces orientations, exigeant de l’administration qu’elle justifie précisément des contraintes matérielles qui l’empêchent de les respecter. L’insuffisance notoire de places en dispositifs adaptés ne constitue plus une excuse suffisante : l’administration doit démontrer qu’elle a fait tout son possible pour créer les places nécessaires et qu’aucune solution alternative n’était envisageable.

Cette décision rappelle l’importance d’agir rapidement dès lors qu’une décision d’affectation ne respecte pas l’orientation prononcée. Le référé suspension peut également constituer une voie particulièrement efficace dans ces situations d’urgence où chaque jour de scolarisation inadaptée peut avoir des conséquences dommageables pour l’enfant. Elle confirme également que l’administration ne peut se contenter d’opposer des contraintes générales ou des difficultés abstraites : elle doit apporter au dossier des éléments précis et circonstanciés justifiant l’impossibilité de respecter l’orientation.

TA Melun, 4e ch., 12 sept. 2025, n° 2508981