Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rendu le 25 juillet 2025 un jugement particulièrement instructif sur les conséquences pratiques de l’annulation d’une décision de licenciement entachée d’irrégularités. Cette décision illustre une situation paradoxale où l’agent obtient gain de cause sur le terrain de la légalité mais se voit refuser toute indemnisation en raison de l’absence de lien de causalité entre l’illégalité et le préjudice allégué.
Les faits et la double requête
Madame B avait été recrutée comme assistante d’éducation par le collège Romain Rolland de Bagneux pour la période du 5 septembre 2022 au 31 août 2023. Dès le 6 octobre 2022, soit un mois après sa prise de fonction, la cheffe d’établissement a prononcé son licenciement en fin de période d’essai. L’intéressée a introduit deux requêtes distinctes mais connexes : la première tendant à l’annulation de la décision de licenciement, la seconde visant à obtenir la condamnation solidaire de l’État et du collège à lui verser 25 000 euros en réparation de ses préjudices.
Cette double démarche contentieuse, classique en matière de fonction publique, permet de sécuriser les droits du requérant en obtenant d’abord l’annulation de la décision contestée, puis de faire reconnaître les conséquences dommageables de cette décision illégale. Le tribunal a joint les deux requêtes pour statuer par un seul jugement.
La requalification du licenciement en fin de période d’essai
Le premier apport majeur de ce jugement concerne l’analyse de la durée de la période d’essai. Le contrat conclu prévoyait une période d’essai initiale de trente jours ouvrés, avec possibilité de renouvellement. Le tribunal relève que ce contrat, portant sur une période du 5 septembre 2022 au 31 août 2023, était d’une durée inférieure à un an. Or, l’article 9 du décret du 17 janvier 1986 prévoit que pour les contrats de moins d’un an, la durée initiale de la période d’essai ne peut excéder un mois.
Le tribunal juge donc que la stipulation contractuelle prévoyant une période d’essai de trente jours ouvrés, supérieure à un mois, était illégale. La période d’essai initiale devait donc prendre fin le 4 octobre 2022 à minuit. Or, ce n’est que le 5 octobre 2022, après le terme de cette période, que Madame B a été informée que la cheffe d’établissement envisageait le renouvellement de cette période d’essai.
Cette chronologie est déterminante. Le tribunal rappelle une règle essentielle : le renouvellement de la période d’essai exige un accord exprès des parties et une manifestation de volonté claire et non équivoque de l’agent concerné. En l’absence d’une telle manifestation avant le terme de la période initiale, l’agent ne peut être valablement maintenu en période d’essai. Par conséquent, la décision du 6 octobre 2022 doit être regardée non comme un licenciement en fin de période d’essai, mais comme un licenciement intervenu postérieurement au terme de cette période.
Cette requalification emporte des conséquences juridiques majeures, notamment en termes de garanties procédurales applicables.
L’absence d’entretien préalable au licenciement
Une fois établi que le licenciement est intervenu après le terme de la période d’essai, le tribunal examine le respect des garanties procédurales applicables. L’article 47 du décret du 17 janvier 1986 impose qu’un licenciement ne puisse intervenir qu’à l’issue d’un entretien préalable. La convocation doit indiquer clairement l’objet de la rencontre et l’entretien ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre de convocation.
En l’espèce, Madame B a été convoquée le 5 octobre 2022 à un « entretien préalable pour renouvellement de période d’essai » qui s’est tenu le 6 octobre. Le même jour, elle a reçu une « lettre de licenciement en fin de période d’essai ». Le tribunal considère que cet entretien, présenté comme portant sur le renouvellement de la période d’essai, ne revêtait pas le caractère d’un entretien préalable au licenciement au sens des dispositions légales. Aucune autre pièce du dossier ne permettait d’établir qu’un entretien conforme aux exigences réglementaires se serait tenu.
Cette analyse témoigne d’une appréciation rigoureuse des garanties procédurales. L’entretien préalable au licenciement répond à des exigences précises qui ne peuvent être contournées par un entretien portant formellement sur un autre objet, même si les sujets abordés se recoupent partiellement. L’agent doit être clairement informé de la nature de l’entretien pour pouvoir préparer utilement sa défense.
L’acquiescement aux faits en cas de silence de l’administration
Un aspect procédural mérite attention. Le recteur de l’académie de Versailles et le collège Romain Rolland n’ont produit aucune observation en défense malgré les mises en demeure qui leur ont été adressées. Le tribunal applique l’article R. 612-6 du code de justice administrative qui prévoit que la partie défenderesse qui, malgré une mise en demeure, n’a produit aucun mémoire, est réputée avoir acquiescé aux faits exposés par le requérant.
Cette présomption d’acquiescement ne dispense toutefois pas le tribunal de vérifier que les faits allégués ne sont pas contredits par les autres pièces du dossier et de se prononcer sur les moyens de droit que soulève l’examen de l’affaire. Cette précision rappelle utilement que l’acquiescement porte sur les faits, non sur le droit, et que le juge conserve son office de contrôle de la légalité.
La responsabilité du seul établissement public local
S’agissant des conclusions indemnitaires, le tribunal écarte la responsabilité de l’État. Il rappelle que les établissements publics locaux d’enseignement, dotés de la personnalité morale, recrutent directement les assistants d’éducation. Les éventuelles fautes commises dans l’exécution du contrat sont de nature à engager la seule responsabilité de l’établissement et non celle de l’État. Cette clarification est importante pour déterminer le défendeur pertinent dans les actions en responsabilité.
L’absence de lien de causalité : le cœur du jugement
Le tribunal annule la décision de licenciement pour vice de procédure mais rejette néanmoins les conclusions indemnitaires. Il applique ici une jurisprudence bien établie : lorsqu’une décision est entachée d’un vice d’incompétence ou de procédure, le juge doit rechercher si la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise dans les circonstances de l’espèce par l’autorité compétente ou dans le cadre d’une procédure régulière. Si tel est le cas, le préjudice allégué ne peut être regardé comme la conséquence directe de l’illégalité.
En l’espèce, Madame B soutenait qu’aucun reproche ne lui avait été fait lors de l’entretien du 6 octobre 2022 et que son travail avait été jugé satisfaisant. Le tribunal écarte ces allégations, non assorties de pièces justificatives, qui sont contredites par les termes mêmes de la décision de licenciement. Celle-ci indiquait expressément que l’intéressée n’avait pas démontré les qualités requises pour le poste, que son positionnement et son attitude ne correspondaient pas à ceux attendus, et que son implication dans la gestion des priorités n’était pas satisfaisante.
Le tribunal en déduit que ces éléments révèlent l’inaptitude de Madame B à exercer normalement ses fonctions. Par conséquent, même si la procédure avait été régulière, l’administration aurait pris la même décision de licenciement eu égard à l’insuffisance des capacités professionnelles constatées. En l’absence de lien de causalité direct entre l’illégalité et les préjudices allégués, les conclusions indemnitaires sont rejetées.
Les enseignements de cette décision
Ce jugement illustre une situation fréquente en contentieux administratif : l’annulation d’une décision pour vice de procédure n’entraîne pas automatiquement une indemnisation. L’agent doit démontrer que l’irrégularité a eu une incidence réelle sur le résultat de la procédure. Si l’administration établit que la même décision aurait été prise dans le respect de la légalité, aucun préjudice indemnisable n’est caractérisé.
Pour le praticien, cette jurisprudence impose de bien distinguer deux contentieux : celui de la légalité, où les vices de procédure conduisent quasi systématiquement à l’annulation, et celui de la responsabilité, où seul le préjudice directement imputable à l’illégalité est indemnisable. La victoire sur le terrain de la légalité peut donc s’avérer une victoire à la Pyrrhus si l’agent ne parvient pas à démontrer que la décision aurait pu être différente dans une procédure régulière.
Le tribunal condamne néanmoins le collège à verser 1 800 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, reconnaissant ainsi que le recours n’était pas dénué de fondement et que l’agent a dû exposer des frais pour faire valoir ses droits face à une décision irrégulière.