Le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne livre dans cette décision un enseignement important sur les limites de la souveraineté du jury universitaire et, surtout, sur la charge de la preuve qui pèse sur l’établissement d’enseignement supérieur lorsqu’il déclare un étudiant défaillant. L’affaire illustre également les conséquences disproportionnées que peut entraîner l’absence à une seule épreuve dans le système universitaire français.
Un étudiant victime d’une cascade de conséquences
Monsieur B, inscrit en première année de licence de philosophie à l’université de Reims Champagne-Ardenne pour l’année 2022-2023, s’est vu déclarer défaillant au second semestre de son année universitaire. La raison invoquée par le jury était son absence alléguée à l’épreuve de seconde session de l’élément constitutif intitulé « travailler dans un environnement numérique », qui fait partie de l’unité d’enseignement 25 comprenant également une langue vivante.
Or, le règlement des études de l’université prévoit qu’en cas d’absence injustifiée à une épreuve, l’étudiant est réputé défaillant non seulement à l’épreuve concernée, mais à l’ensemble du semestre, sans possibilité de compensation. Cette règle draconienne transforme l’absence à une seule épreuve en un échec global, empêchant la validation de l’année entière. Face à cette situation, l’étudiant a formé un recours gracieux, rejeté par le président de l’université, avant de saisir le juge administratif.
Le cadre juridique de la souveraineté du jury
Le tribunal rappelle d’abord le principe bien établi de la souveraineté du jury d’examen. Selon une jurisprudence constante du Conseil d’État, ni l’appréciation portée par un jury sur la valeur des prestations des candidats, ni les principes de correction retenus ne peuvent être contestés devant le juge administratif. Cette immunité juridictionnelle repose sur l’idée que le jury dispose d’une compétence technique que le juge ne saurait remettre en cause sans s’immiscer dans l’évaluation pédagogique.
Toutefois, cette souveraineté connaît deux limites importantes que le juge administratif peut contrôler. D’une part, les erreurs de droit, c’est-à-dire la méconnaissance des règles applicables aux examens. D’autre part, et c’est le cas en l’espèce, les erreurs de fait, qui concernent la matérialité des situations sur lesquelles le jury fonde sa décision. C’est précisément sur ce second terrain que le tribunal va censurer la délibération du jury.
Une dispense d’assiduité source de confusion
Un élément factuel revêt une importance particulière dans cette affaire. Par une décision du 10 février 2023, le directeur de l’unité de formation et de recherche avait accordé à Monsieur B une dispense de travaux dirigés pour les matières de l’unité d’enseignement 25. Cette dispense impliquait que l’étudiant n’avait qu’à se présenter à l’épreuve de contrôle terminal, sans obligation d’assister aux cours ni de participer au contrôle continu.
Cette situation particulière peut expliquer en partie la confusion qui a pu naître concernant la présence ou l’absence de l’étudiant aux examens. Un étudiant dispensé d’assiduité peut être moins visible dans le fonctionnement quotidien de la formation, ce qui rend d’autant plus nécessaire une vigilance accrue lors de l’émargement aux épreuves terminales.
Le renversement de la charge de la preuve
Le cœur du raisonnement du tribunal réside dans son appréciation de la charge de la preuve. Monsieur B soutient s’être présenté tant à l’épreuve terminale de première session qu’à celle de rattrapage de l’élément constitutif litigieux. Face à cette affirmation, l’université produit de simples extraits de courriels internes.
Le tribunal adopte une position sévère mais justifiée. Il relève que l’université « dispose de tous les éléments pour démontrer l’absence du requérant à ces épreuves » mais qu’elle « ne parvient pas à établir la réalité de celle-ci ». Cette formulation est particulièrement significative. Le juge estime que l’établissement, qui organise les épreuves, gère les émargements et conserve les copies, dispose nécessairement des moyens de prouver la présence ou l’absence d’un candidat. La production de simples extraits de courriels est insuffisante face à l’enjeu considérable que représente pour l’étudiant la validation de son année universitaire.
Cette solution s’inscrit dans une logique probatoire cohérente. C’est à l’administration qui prend une décision défavorable d’établir la matérialité des faits sur lesquels elle se fonde, particulièrement lorsqu’elle dispose des instruments de preuve adéquats. On peut penser aux feuilles d’émargement, aux procès-verbaux d’examen, aux registres de copies remises, autant de documents que l’université aurait dû produire pour établir l’absence de l’étudiant.
Les conséquences de l’annulation
Le tribunal annule la délibération du jury en tant qu’elle déclare l’étudiant défaillant à l’élément constitutif litigieux et, par voie de conséquence, à l’ensemble du second semestre. Il annule également la décision de rejet du recours gracieux.
Mais le tribunal ne s’arrête pas là. Conscient que l’annulation seule laisserait l’étudiant dans une situation d’incertitude, il enjoint au président de l’université de convoquer à nouveau le jury dans un délai d’un mois afin qu’il statue sur la situation de Monsieur B en tenant compte du fait qu’il n’est pas défaillant à l’épreuve contestée. Cette injonction assure l’effectivité du jugement et permet une résolution rapide du litige.
Enseignements pratiques
Cette décision appelle plusieurs observations pour les établissements d’enseignement supérieur. Premièrement, elle rappelle l’importance cruciale de la tenue rigoureuse des documents relatifs aux examens. Les feuilles d’émargement doivent être conservées précieusement et produites en cas de contestation.
Deuxièmement, la décision souligne que face à une contestation sérieuse d’un étudiant, les établissements ne peuvent se contenter de productions approximatives. La charge de la preuve de la défaillance pèse sur eux, d’autant plus qu’ils disposent de tous les instruments pour l’établir.
Enfin, l’affaire invite à une réflexion sur la proportionnalité des règlements universitaires qui font de l’absence à une seule épreuve une cause de défaillance à l’ensemble du semestre. Si cette règle vise à sanctionner l’absentéisme, elle peut produire des effets dévastateurs lorsqu’elle est appliquée sur la base d’informations erronées, d’où l’importance du contrôle juridictionnel exercé par le juge administratif.
TA Châlons-en-Champagne, 3e ch., 22 déc. 2023, n° 2302386.