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Le juge des référés et le forfait d’externat : quand l’urgence financière impose le respect des obligations légales

L’ordonnance rendue par le tribunal administratif de Lille le 8 novembre 2023 illustre avec clarté les mécanismes du référé-suspension et rappelle aux collectivités territoriales l’étendue de leurs obligations en matière de financement des établissements d’enseignement privés sous contrat d’association avec l’État.

Les faits et la procédure

L’association Averroès gère un lycée ayant conclu un contrat d’association à l’enseignement public avec l’État en 2008. Dans ce cadre, la région Hauts-de-France est tenue de verser un forfait d’externat destiné à couvrir les frais de fonctionnement matériel de l’établissement, conformément aux dispositions de l’article L. 442-9 du code de l’éducation. Deux contrats-cadres successifs ont précisé les modalités de calcul et de versement de ce forfait, le dernier arrivant à échéance fin 2021.

En février 2023, l’association demande à la région le versement du forfait au titre de l’année scolaire 2022-2023. Face au silence de la collectivité, qui vaut décision implicite de rejet, l’association saisit le juge des référés en octobre 2023 sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative. Elle sollicite non seulement la suspension de cette décision de rejet, mais également une injonction de versement provisoire assortie d’une astreinte.

La région oppose plusieurs fins de non-recevoir et conteste tant l’urgence que l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de sa décision. Elle souligne notamment que sa délibération du 8 décembre 2022, qui fixe la liste des établissements bénéficiaires du forfait pour l’année 2022-2023, exclut le lycée Averroès de cette liste.

L’analyse des conditions du référé-suspension

Le juge des référés commence par écarter les fins de non-recevoir soulevées par la région. D’une part, il considère que le président de l’association dispose bien de la capacité et de la qualité pour agir, au vu des pouvoirs qui lui ont été expressément conférés par le conseil d’administration. D’autre part, il juge que la décision implicite de rejet née en février 2023 ne constitue pas une décision confirmative de la délibération de décembre 2022, cette dernière n’ayant jamais été notifiée à l’association.

S’agissant de la condition d’urgence, le juge adopte une approche concrète et pragmatique. L’association produit une analyse prévisionnelle de trésorerie établie par un expert-comptable qui fait apparaître un besoin de financement d’environ 370 000 euros au 31 août 2024, plaçant l’établissement face à un risque de cessation de paiements. Les relevés bancaires confirment la réalité de cette situation critique, avec un solde total d’environ 170 000 euros en octobre 2023. Le juge écarte l’argument de la région selon lequel l’association se serait elle-même placée dans cette situation d’urgence en tardant à agir, constatant au contraire l’absence de manque de diligence. La condition d’urgence est donc satisfaite.

Concernant le doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, le raisonnement du juge est particulièrement instructif. Il rappelle que l’article L. 442-9 du code de l’éducation impose aux régions de verser deux contributions forfaitaires pour les classes des lycées privés sous contrat : l’une relative aux dépenses de personnel non enseignant, l’autre aux dépenses de fonctionnement matériel. Ces contributions sont calculées selon les mêmes critères que pour l’enseignement public correspondant.

Le juge relève qu’il est constant que la région n’a versé aucune somme à l’association au titre de l’année scolaire 2022-2023. Il écarte l’argument selon lequel cette année n’était pas achevée au moment de la décision litigieuse, d’autant que la propre délibération de la région prévoyait un versement de 70% du forfait dès début 2023 et du solde en milieu d’année. Le moyen tiré de ce que la région était tenue de verser ce forfait en application de la loi fait donc naître un doute sérieux quant à la légalité du refus opposé.

La portée de l’injonction provisoire

L’apport le plus significatif de cette décision réside dans l’injonction prononcée par le juge des référés. Tout en rappelant que ses mesures doivent conserver un caractère provisoire et ne peuvent avoir les mêmes effets qu’un jugement au fond, le juge considère qu’il peut néanmoins enjoindre à la région de verser provisoirement le forfait litigieux.

Cette solution repose sur une distinction essentielle : une somme versée à titre provisoire n’est pas définitivement acquise. Si le juge du fond devait finalement donner raison à la région, celle-ci pourrait théoriquement en obtenir la restitution. Le juge écarte ainsi l’objection de la collectivité selon laquelle le risque d’insolvabilité de l’association rendrait une telle restitution impossible. L’injonction de versement provisoire ne constitue donc pas un dépassement de compétence du juge des référés.

Pour renforcer l’effectivité de son ordonnance, le juge assortit cette injonction d’une astreinte de 500 euros par jour de retard, imposant à la région un délai d’exécution de huit jours à compter de la notification. Cette astreinte témoigne de la volonté du juge de garantir l’exécution rapide de sa décision face à l’urgence financière constatée.

Les enseignements de la décision

Cette ordonnance délivre plusieurs messages importants. Elle confirme d’abord que le forfait d’externat prévu par l’article L. 442-9 du code de l’éducation constitue une obligation légale pour les collectivités territoriales, qui se trouvent en situation de compétence liée. L’existence d’un contrat d’association avec l’État fait naître automatiquement le droit au forfait, sans que la collectivité puisse discrétionnairement décider de l’exclure.

La décision illustre ensuite la protection juridictionnelle effective dont bénéficient les établissements privés sous contrat. Le juge des référés n’hésite pas à prononcer une injonction de paiement provisoire lorsque les conditions légales sont réunies et que l’urgence financière est démontrée. Cette protection est d’autant plus nécessaire que ces établissements assurent une mission de service public de l’éducation.

Enfin, l’ordonnance rappelle l’importance de la transparence et de la notification des décisions administratives. Le fait que la délibération de décembre 2022 n’ait pas été notifiée à l’association a empêché la région de se prévaloir de son caractère décisoire et a permis à l’association de contester utilement la décision implicite ultérieure.

Au-delà du cas d’espèce, cette jurisprudence intéressera tous les établissements d’enseignement privés sous contrat confrontés à des retards ou à des refus de versement des forfaits auxquels ils ont légalement droit. Elle confirme que le référé-suspension, assorti d’une injonction provisoire de paiement, constitue un outil procédural efficace pour faire face à l’urgence financière tout en préservant les droits de chacun dans l’attente d’une décision au fond.

TA Lille, 8 nov. 2023, n° 2308593