Par un jugement rendu le 17 juillet 2025, le tribunal administratif de Toulon rappelle avec netteté le caractère impératif de l’affectation des élèves dans leur établissement de secteur. Cette décision, qui s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence bien établie, mérite une attention particulière en ce qu’elle confirme que le principe de sectorisation scolaire ne saurait céder devant les contraintes d’organisation du service public de l’éducation.
Les faits de l’espèce
La famille B a déménagé à Cuers fin mai 2024 avec ses trois enfants. Dès le 6 juin 2024, les parents ont entrepris les démarches pour inscrire leur fils D en classe de cinquième au collège La Ferrage, établissement de secteur correspondant à leur nouveau domicile. Le 20 juin 2024, le principal du collège les a informés que l’affectation était mise en suspens en raison d’une situation de sureffectif dans ce niveau. Cette décision de suspension a été confirmée le 19 juillet 2024 par le directeur académique des services de l’éducation nationale du Var, qui a formellement refusé de procéder à l’affectation.
Face à ce refus, la famille a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulon qui, par une ordonnance du 21 août 2024, a suspendu l’exécution de la décision et enjoint au recteur de procéder à un réexamen. L’enfant a finalement été affecté le 27 août 2024 au collège La Ferrage. La famille a néanmoins maintenu son recours au fond pour obtenir l’annulation des décisions de refus, ce que le tribunal leur a accordé.
Le principe de sectorisation : un droit de plein droit à l’affectation
Le tribunal fonde son raisonnement sur une analyse approfondie des articles D. 211-10, D. 211-11 et D. 331-41 du code de l’éducation. Ces dispositions organisent un système de sectorisation scolaire qui divise le territoire académique en zones de desserte correspondant aux collèges. L’article D. 211-11 prévoit que les collèges accueillent les élèves résidant dans leur zone de desserte et que le directeur académique détermine pour chaque rentrée l’effectif maximum pouvant être accueilli dans chaque établissement.
Le tribunal en déduit un principe fondamental : l’affectation des élèves dans l’établissement de secteur est de plein droit. Cette formulation n’est pas anodine. Elle signifie que l’administration ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation pour refuser l’affectation d’un élève dans l’établissement correspondant à son lieu de résidence. Il ne s’agit pas d’une simple faculté ou d’un droit conditionnel, mais d’une obligation légale qui s’impose à l’administration.
Cette interprétation se justifie pleinement au regard des objectifs du système de sectorisation. Celui-ci vise à garantir l’égalité d’accès au service public de l’éducation en assurant à chaque famille qu’un établissement de proximité accueillera son enfant. Il permet également une organisation rationnelle du réseau scolaire et une mixité sociale en évitant que les établissements ne soient choisis uniquement en fonction de leur réputation.
Le sureffectif ne peut justifier un refus d’affectation
L’apport majeur de ce jugement réside dans l’affirmation que le sureffectif ne constitue pas un motif légitime de refus d’affectation dans l’établissement de secteur. Le tribunal précise expressément que lorsque l’effectif maximum est atteint, il est seulement loisible à l’administration de proposer une affectation dans un autre établissement. Cette proposition ne saurait se transformer en obligation pour les familles.
Le raisonnement du tribunal est parfaitement cohérent. Si l’administration disposait du pouvoir de refuser l’affectation au motif que l’établissement de secteur est complet, le droit de plein droit à l’affectation serait vidé de sa substance. Il deviendrait un droit conditionnel, subordonné aux capacités d’accueil de l’établissement, ce qui contredirait frontalement le texte et l’esprit des dispositions réglementaires.
Le tribunal ajoute que l’administration peut affecter l’élève dans l’établissement de secteur « le cas échéant en surnombre ». Cette formulation est essentielle. Elle signifie que l’établissement doit accueillir l’élève même si cela conduit à dépasser temporairement l’effectif maximum théorique fixé par le directeur académique. C’est à l’administration de prendre les mesures nécessaires pour gérer cette situation, que ce soit par l’ouverture d’une classe supplémentaire, l’affectation de moyens complémentaires ou d’autres solutions organisationnelles.
Le rejet de l’argument de compétence liée
Le tribunal écarte l’argument de la rectrice de l’académie de Nice selon lequel l’administration se trouvait en situation de compétence liée pour refuser l’affectation compte tenu de l’absence de place disponible. Cette argumentation révélait une incompréhension du régime juridique applicable. La compétence liée existe effectivement, mais elle joue en sens inverse : l’administration est tenue d’affecter l’élève dans l’établissement de secteur, quelles que soient les contraintes d’effectif.
Le tribunal souligne au surplus que l’absence de place disponible n’était pas même établie. Cette précision indique que l’administration n’avait pas produit d’éléments probants démontrant l’impossibilité matérielle d’accueillir un élève supplémentaire, se contentant d’invoquer de manière abstraite une situation de sureffectif.
Le refus de la famille comme élément déterminant
Le jugement précise que la famille B avait refusé une proposition d’affectation dans un établissement hors secteur. Ce refus était parfaitement légitime. Dès lors que les parents exercent leur droit de plein droit à l’affectation dans l’établissement de secteur, ils ne peuvent être contraints d’accepter une solution alternative moins favorable, notamment en termes d’éloignement du domicile ou de perturbation de l’organisation familiale.
L’administration avait manifestement tenté de contourner ses obligations légales en proposant une affectation de substitution et en considérant que le refus de cette proposition justifiait le rejet de la demande initiale. Le tribunal censure cette pratique qui transformerait indûment une faculté offerte à l’administration en une obligation pour les familles.
Le caractère provisoire de l’affectation obtenue en référé
Un point procédural mérite attention. La rectrice soutenait que le litige avait perdu son objet dès lors que l’enfant avait été affecté au collège La Ferrage en exécution de l’ordonnance de référé du 21 août 2024. Le tribunal rejette cette exception de non-lieu à statuer en considérant que l’affectation obtenue en référé revêt juridiquement un caractère provisoire, même si l’administration prétendait la considérer comme définitive.
Cette analyse protège utilement les droits des justiciables. Sans l’annulation des décisions de refus, l’administration pourrait toujours se prévaloir de ces décisions pour remettre en cause l’affectation ou pour justifier d’autres mesures défavorables. L’annulation permet de purger définitivement la situation juridique et d’établir que l’affectation repose sur le droit et non sur une simple tolérance administrative.
Les enseignements pratiques de cette décision
Ce jugement constitue un rappel salutaire des principes fondamentaux régissant l’affectation scolaire. Il confirme que le droit à l’éducation implique un accès effectif et inconditionnel à l’établissement de secteur pour tous les élèves résidant dans sa zone de desserte.
Pour les familles confrontées à un refus d’affectation, cette décision fournit des arguments solides. L’administration ne peut opposer des considérations d’effectif pour refuser l’inscription dans l’établissement de secteur. Si elle propose une affectation alternative, les parents sont libres de la refuser sans que ce refus ne puisse leur être opposé.
Pour l’administration, ce jugement rappelle qu’elle doit anticiper et organiser les moyens nécessaires pour accueillir tous les élèves du secteur. Les contraintes budgétaires ou organisationnelles ne sauraient justifier une atteinte au droit fondamental à l’éducation dans des conditions de proximité et d’égalité.
Le tribunal administratif de Toulon, en annulant les décisions de refus sanctionne une méconnaissance caractérisée du cadre légal. Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante qui fait de la sectorisation scolaire non pas un simple outil d’organisation administrative, mais un véritable droit opposable au profit des familles.