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Exclusion universitaire d’un an : le juge des référés suspend une sanction disproportionnée

Dans une ordonnance rendue le 27 octobre 2025, le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes suspend l’exécution d’une sanction d’exclusion universitaire d’un an et ordonne la réintégration immédiate de l’étudiant. Cette décision illustre le contrôle exigeant exercé par le juge administratif sur les sanctions disciplinaires universitaires et rappelle l’importance cardinale du principe de proportionnalité. Décryptage d’une affaire où la gravité des faits ne suffit pas à justifier la sévérité de la sanction.

Une année universitaire qui tourne à l’aigre

M. B. est inscrit en deuxième année de master cybersécurité, parcours responsable de la sécurité des systèmes d’information, à l’Université de Rennes. Cette formation prestigieuse est dispensée en alternance, et l’étudiant a décroché un contrat d’apprentissage avec Dassault Systèmes, devant courir jusqu’en septembre 2026. Tout semble prometteur pour ce jeune en fin de cursus.

Mais l’année universitaire 2024-2025 va être marquée par une série d’incidents. Le 28 janvier 2025, M. B. tient des propos à caractère sexiste à l’encontre de deux camarades de promotion pendant un cours. Trois jours plus tard, le 31 janvier, une altercation éclate avec un autre étudiant qu’il menace physiquement lors d’une pause dans l’enceinte de l’université. Enfin, le 28 mai 2025, alors qu’une des étudiantes concernées par les propos sexistes souhaite faire état de son malaise devant l’ensemble de la promotion, M. B. adopte un comportement menaçant à son égard.

Ces faits, qui ne sont pas contestés par l’intéressé, conduisent la section disciplinaire de l’université à se saisir du dossier. Le 24 septembre 2025, soit plusieurs mois après les derniers incidents, la commission de discipline prononce une sanction d’exclusion de l’université pour une durée d’un an, à compter du 30 septembre 2025. Une sanction lourde de conséquences : rupture du parcours universitaire, perte du contrat d’apprentissage avec Dassault Systèmes, impossibilité d’obtenir son diplôme de master dans les délais prévus.

Un recours en référé pour éviter l’irréparable

Face à cette sanction, M. B. engage immédiatement un recours au fond pour en obtenir l’annulation. Mais il sait que la procédure contentieuse prendra plusieurs mois, peut-être plus d’un an. D’ici là, son année universitaire sera perdue, son contrat d’apprentissage rompu, et sa carrière professionnelle compromise. C’est pourquoi, parallèlement à son recours au fond, il saisit le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, dit référé suspension.

Cette procédure d’urgence permet d’obtenir la suspension provisoire de l’exécution d’une décision administrative en attendant que le juge du fond se prononce sur sa légalité. Mais elle est soumise à deux conditions cumulatives strictes : d’une part, l’urgence doit être caractérisée, d’autre part, il doit exister un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

L’argumentation du requérant est multiple. Il soulève d’abord une question de compétence : selon lui, le règlement intérieur du service de formation continue et d’alternance prévoit une procédure disciplinaire spécifique, dérogatoire au droit commun, et c’est le directeur du service qui aurait dû prononcer la sanction, non la section disciplinaire. Il invoque ensuite plusieurs vices de procédure : absence d’information préalable sur son droit de se taire, violation du principe du contradictoire, non-respect des délais. Sur le fond, il conteste la matérialité de certains faits et, surtout, dénonce le caractère disproportionné de la sanction au regard de son comportement général et de l’absence de tout antécédent disciplinaire.

L’université, représentée par le cabinet Ares, défend vigoureusement sa décision. Elle conteste l’urgence, arguant que l’exclusion ne vaut que pour l’année en cours et que l’étudiant pourra reprendre sa formation l’année suivante. Elle soutient que la section disciplinaire était bien compétente, que la procédure a été respectée et que la sanction est proportionnée au regard de la gravité et de la répétition des faits.

L’urgence : une atteinte grave et immédiate reconnue

Le juge des référés examine d’abord la condition d’urgence. Sur ce point, son analyse est sans ambiguïté. L’exclusion pour un an empêche M. B. d’achever son master 2 lors de la prochaine année universitaire et met fin à son contrat d’apprentissage avec Dassault Systèmes. Cette double conséquence porte une atteinte suffisamment grave et immédiate à la situation universitaire et professionnelle du requérant.

L’université tentait de minimiser cette urgence en faisant valoir que l’exclusion n’était que temporaire et ne concernait que l’établissement rennais. Mais le juge ne se laisse pas convaincre par cet argument formel. Dans les faits, une exclusion d’un an en fin de master équivaut à une interruption de deux années universitaires, puisqu’il est impossible de se réinscrire en cours d’année dans un autre établissement. La perte du contrat d’apprentissage avec un grand groupe industriel constitue également un préjudice professionnel significatif.

Face à cette urgence caractérisée, l’université invoquait un intérêt public s’opposant à la suspension : la réintégration de M. B. perturberait le bon fonctionnement de la formation de master, eu égard aux tensions générées par son comportement. C’est ici que le raisonnement du juge devient particulièrement intéressant.

Le magistrat relève plusieurs éléments factuels qui affaiblissent considérablement la position de l’université. D’abord, l’établissement a attendu plusieurs mois après les faits pour prononcer une sanction, sans prendre aucune mesure conservatoire dans l’intervalle. Si la présence de M. B. était réellement source de danger immédiat pour le bon fonctionnement de la formation, comment expliquer qu’aucune mesure provisoire n’ait été prise entre janvier et septembre 2025 ?

Ensuite, il ne reste que onze semaines de cours d’ici la fin de l’année universitaire, les mois d’avril à août 2026 étant uniquement des périodes en entreprise. La réintégration de l’étudiant concernerait donc une durée limitée, pendant laquelle il serait essentiellement en stage et non sur les bancs de l’université.

Enfin, et c’est peut-être l’argument le plus fort, l’université n’allègue aucun incident dont M. B. serait à l’origine depuis la rentrée universitaire avec des élèves de la promotion. Autrement dit, depuis septembre 2025, aucun nouveau fait répréhensible n’est venu troubler la formation. Dans ces conditions, l’intérêt public invoqué par l’université ne peut faire obstacle à la suspension de la sanction.

Le doute sérieux : la disproportion comme vice rédhibitoire

Sur le second volet de son contrôle, le juge doit déterminer s’il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision. Confronté à la multiplicité des moyens soulevés par le requérant, le magistrat aurait pu se perdre dans l’examen technique de questions de compétence ou de procédure. Il choisit une voie plus directe et plus efficace : celle de la proportionnalité de la sanction.

Le cadre juridique est posé par l’article R. 811-11 du code de l’éducation qui soumet au régime disciplinaire universitaire tout usager auteur de faits de nature à porter atteinte à l’ordre, au bon fonctionnement ou à la réputation de l’université. La commission disciplinaire a fondé sa décision sur trois séries de faits : les propos sexistes du 28 janvier, l’altercation du 31 janvier, et le comportement menaçant du 28 mai 2025.

Le juge ne minimise pas la gravité de ces faits. Il reconnaît explicitement que l’attitude de M. B. revêt « incontestablement un caractère fautif ». Les propos sexistes, les menaces physiques et le comportement intimidant constituent des manquements sérieux aux règles de vie en communauté universitaire. Sur ce point, le tribunal valide l’appréciation portée par la commission disciplinaire sur la nature répréhensible des comportements.

Mais cette reconnaissance de la faute ne suffit pas à valider la sanction. Le juge relève deux éléments essentiels qui créent un doute sérieux sur la proportionnalité de la mesure. D’abord, M. B. n’avait jamais fait l’objet d’aucune sanction précédemment. Son dossier disciplinaire était vierge avant cette affaire. Ensuite, et surtout, il n’est pas allégué qu’il aurait commis d’autres faits répréhensibles que ces trois faits isolés.

Cette analyse est déterminante. Une exclusion d’un an constitue l’une des sanctions les plus lourdes du dispositif disciplinaire universitaire, juste en dessous de l’exclusion définitive. Elle doit être réservée aux cas les plus graves, impliquant généralement soit une extrême gravité des faits, soit une récidive, soit un comportement systématique de l’étudiant. Or, en l’espèce, malgré le caractère fautif des comportements, on se trouve face à trois incidents isolés sur une période de quatre mois, sans antécédent ni récidive postérieure.

Le contraste est saisissant : d’un côté, trois faits certes graves mais ponctuels, commis sur une période limitée, par un étudiant sans antécédent disciplinaire. De l’autre, une sanction d’exclusion d’un an qui compromet définitivement l’obtention du diplôme et la carrière professionnelle. La disproportion apparaît manifeste.

Une injonction de réintégration immédiate

Ayant constaté que les deux conditions du référé suspension sont remplies, le juge ordonne la suspension de l’exécution de la décision. Mais il va plus loin en prononçant une injonction de réintégration. Cette mesure positive trouve sa justification dans le fait que l’exécution de l’ordonnance implique nécessairement le retour de l’étudiant dans sa formation.

L’injonction est assortie d’un délai d’une semaine à compter de la notification de l’ordonnance. Le juge refuse en revanche d’assortir cette injonction d’une astreinte, estimant que l’université se conformera spontanément à la décision. Cette confiance dans l’exécution volontaire par une personne publique est habituelle en référé suspension, l’astreinte étant réservée aux cas où un risque sérieux d’inexécution est avéré.

Sur le plan financier, l’université est condamnée à verser 1 500 euros à M. B. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, en réparation des frais exposés pour la procédure. Cette somme, inférieure à la demande initiale de 2 000 euros, correspond à une appréciation usuelle en matière de référé. La demande reconventionnelle de l’université, qui réclamait 3 000 euros, est naturellement rejetée puisqu’elle n’est pas la partie gagnante.

Enseignements pour la pratique disciplinaire universitaire

Cette ordonnance délivre plusieurs messages importants aux établissements d’enseignement supérieur. Le premier concerne le calibrage des sanctions. Une exclusion d’un an ne peut être prononcée à la légère. Elle doit correspondre à une situation objectivement grave, caractérisée soit par l’extrême gravité d’un fait unique, soit par la répétition de comportements répréhensibles, soit par la récidive après une première sanction.

Le deuxième enseignement porte sur la cohérence temporelle de l’action disciplinaire. Comment justifier qu’une situation jugée suffisamment grave pour mériter une exclusion d’un an n’ait donné lieu à aucune mesure conservatoire pendant plusieurs mois ? Cette incohérence affaiblit considérablement la crédibilité de l’argument tiré de la nécessité de protéger le bon fonctionnement de la formation.

Le troisième point concerne l’appréciation globale du comportement de l’étudiant. Si le juge reconnaît le caractère fautif de certains actes, il replace ces comportements dans une perspective plus large : un étudiant sans antécédent, des faits isolés sur quelques mois, l’absence de nouvelle difficulté depuis plusieurs mois. Cette vision d’ensemble doit guider les commissions disciplinaires dans leur appréciation.

Pour les praticiens du contentieux universitaire, cette décision confirme l’efficacité du référé suspension face aux sanctions disciplinaires disproportionnées. Le moyen tiré de la disproportion présente l’avantage d’être relativement simple à invoquer et à comprendre pour le juge, contrairement aux moyens tirés de vices de procédure ou de questions de compétence qui nécessitent une analyse technique approfondie. En l’espèce, le juge n’a même pas eu besoin d’examiner les autres moyens soulevés, ce qui témoigne de la force du grief tiré de la disproportion.

Cette jurisprudence s’inscrit dans un mouvement plus large de contrôle renforcé de la proportionnalité des sanctions, qu’elles soient disciplinaires, administratives ou pénales, rappelant que la sévérité doit toujours être l’ultima ratio, utilisée seulement lorsque les circonstances le justifient pleinement.

Analyse de l’ordonnance du Tribunal administratif de Rennes du 27 octobre 2025, n° 2506774