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Composition des jurys universitaires pour un refus de triplement : une rigueur procédurale exigée sous peine d’annulation

Le jugement rendu le 16 septembre 2025 par le Tribunal administratif de Paris rappelle avec fermeté les exigences procédurales qui s’imposent aux établissements d’enseignement supérieur en matière de composition des jurys d’examen. Cette décision illustre comment un défaut de preuve de la régularité de la composition d’un jury peut conduire à l’annulation d’une délibération, même sur une question aussi sensible que le refus d’autoriser un triplement d’année universitaire.

Le cadre juridique de la composition des jurys

L’article L. 712-2 du code de l’éducation confère au président d’université un pouvoir important : celui de nommer les différents jurys d’examen. Cette compétence s’inscrit dans les prérogatives générales de direction qui lui sont reconnues. La nomination des membres du jury doit intervenir par arrêté présidentiel, acte administratif qui fixe officiellement la composition de l’instance collégiale appelée à se prononcer sur la situation des étudiants.

Cette formalité n’est pas une simple exigence administrative déconnectée de la réalité. Elle répond à un double objectif : d’une part, garantir la régularité et la traçabilité des décisions prises par les jurys, et d’autre part, assurer aux étudiants que leur situation est examinée par une instance légalement constituée, dont les membres ont été désignés selon les règles en vigueur. La composition du jury participe ainsi des garanties procédurales fondamentales dont bénéficie tout étudiant.

Les faits de l’espèce

Dans l’affaire soumise au Tribunal administratif de Paris, un étudiant inscrit en troisième année de licence « Comptabilité contrôle audit » à l’université Paris Dauphine pour l’année universitaire 2022-2023 avait sollicité l’autorisation de tripler son année. Cette demande, qui nécessitait une appréciation de sa situation académique et personnelle, relevait de la compétence du jury d’année.

Par une délibération du 10 juillet 2023, le jury a refusé d’autoriser ce triplement. L’étudiant a alors formé un recours gracieux auprès du président de l’université le 17 octobre 2023, qui l’a implicitement rejeté. Face à cette double décision de refus, l’intéressé a saisi le tribunal administratif en janvier 2024, invoquant plusieurs moyens dont un vice de procédure tiré de l’irrégularité de la composition du jury.

L’analyse du tribunal : une exigence probatoire stricte

Le raisonnement développé par le tribunal mérite une attention particulière. Les juges ont d’abord constaté que le jury de la deuxième session de la troisième année de licence avait bien été nommé par un arrêté du président de l’université en date du 15 mai 2023, dont la régularité n’était pas contestée. Cette première vérification établissait qu’un jury avait été officiellement constitué pour la session d’examen concernée.

Toutefois, le tribunal a ensuite opéré une distinction cruciale. Il a relevé que la décision de refus de triplement ne résultait pas de la délibération du jury de session d’examen du 5 juillet 2023, mais d’une délibération ultérieure du jury d’année en date du 10 juillet 2023. Or, pour justifier de la régularité de la composition de ce dernier jury, l’administration ne produisait que le procès-verbal provisoire de délibération d’admission du jury du 5 juillet 2023.

Cette confusion ou cette insuffisance probatoire s’est révélée fatale pour l’université. Le tribunal a considéré que l’administration ne justifiait pas de la régularité de la composition du jury qui avait effectivement pris la décision contestée. En d’autres termes, l’université n’était pas en mesure de démontrer que le jury d’année du 10 juillet 2023 avait été régulièrement constitué et que ses membres avaient été valablement nommés.

La portée de la décision

Cette solution appelle plusieurs observations. D’abord, elle témoigne d’une rigueur remarquable dans l’appréciation des garanties procédurales. Le tribunal ne se contente pas de constater qu’un jury a été nommé pour la formation concernée et pour la période considérée. Il exige que l’administration établisse précisément la régularité de la composition du jury qui a effectivement délibéré sur la question soumise à son appréciation.

Cette exigence peut sembler formaliste, mais elle répond à une logique juridique cohérente. Dans le contentieux universitaire comme dans tout contentieux administratif, il appartient à l’administration de justifier de la régularité de ses actes lorsque celle-ci est contestée. La charge de la preuve pèse sur l’établissement d’enseignement supérieur, qui doit être en mesure de produire les documents établissant que le jury était régulièrement constitué au moment où il a délibéré.

On peut également observer que le tribunal n’a pas examiné les autres moyens soulevés par le requérant, notamment ceux tirés de l’insuffisance de motivation, de la méconnaissance du principe d’égalité ou de l’erreur manifeste d’appréciation. Cette économie de moyens est habituelle en contentieux administratif : dès lors qu’un moyen suffit à justifier l’annulation de l’acte attaqué, le juge n’a pas à se prononcer sur les autres griefs formulés. Cette approche pragmatique permet de concentrer le débat sur les questions essentielles et d’éviter des développements superflus.

L’injonction de réexamen : une mesure nécessaire

Au-delà de l’annulation de la délibération litigieuse, le tribunal a fait usage de son pouvoir d’injonction prévu par l’article L. 911-2 du code de justice administrative. Il a enjoint au président de l’université Paris Dauphine de réunir à nouveau le jury pour qu’il se prononce sur la situation de l’étudiant dans un délai de trois mois suivant la notification du jugement.

Cette injonction était en effet nécessaire compte tenu du motif d’annulation retenu. Puisque l’annulation était fondée sur un vice de procédure affectant la composition du jury, et non sur une illégalité de fond, il appartenait à l’université de faire délibérer à nouveau un jury régulièrement constitué sur la demande de triplement de l’étudiant.

Le délai de trois mois fixé par le tribunal apparaît raisonnable. Il permet à l’université de constituer un jury dans les formes requises, de rassembler les éléments nécessaires à l’examen de la situation de l’étudiant, et de délibérer dans des conditions sereines. Ce délai tient également compte du calendrier universitaire et des contraintes pratiques auxquelles sont confrontés les établissements d’enseignement supérieur.

Pour les étudiants, cette décision confirme l’intérêt de soulever systématiquement le moyen tiré de l’irrégularité de la composition du jury lorsque les conditions de délibération paraissent incertaines ou lorsque l’administration ne peut produire les documents établissant la régularité de cette composition. Ce vice de procédure, qui ne nécessite pas de démontrer un préjudice spécifique, peut suffire à obtenir l’annulation de la décision contestée et un réexamen de la situation par un jury régulièrement constitué.

 

TA Paris, 1re sect. – 1re ch., 16 sept. 2025, n° 2400741