Le jugement rendu par le Tribunal administratif de Pau le 19 octobre 2023 apporte des clarifications importantes sur les conditions d’accès à la formation préparatoire à l’examen d’entrée aux centres régionaux de formation professionnelle d’avocats pour les étudiants titulaires de diplômes étrangers. Cette décision illustre la complexité de l’articulation entre les exigences nationales et la reconnaissance des qualifications obtenues à l’étranger, tout en validant le principe d’une différence de traitement au nom de la diversification des modes d’accès à la profession.
Un refus d’inscription contesté
Un ressortissant camerounais, titulaire d’une licence en droit délivrée par l’Université de Yaoundé II en 2010 et ayant validé une première année de master en droit des affaires en 2012-2013 dans le même établissement, avait sollicité son inscription à l’Institut d’études judiciaires de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. Cette inscription visait à lui permettre de suivre la formation préparatoire à l’examen d’entrée au centre régional de formation à la profession d’avocat.
Le président de l’université avait refusé cette inscription au motif que le requérant ne justifiait pas être titulaire d’un diplôme de Master 1 délivré par une université française. L’autorité universitaire considérait notamment que les dispositions législatives et réglementaires n’autorisaient pas les ressortissants camerounais à s’inscrire à cet examen avec un diplôme de master obtenu dans leur pays d’origine, et qu’il était nécessaire de produire le certificat d’aptitude à la profession d’avocat camerounais.
Le cadre juridique de l’équivalence des diplômes
Le tribunal rappelle utilement le dispositif législatif et réglementaire applicable. L’article 11 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques exige des candidats à la profession d’avocat qu’ils soient titulaires d’au moins une maîtrise en droit ou de titres ou diplômes reconnus comme équivalents par arrêté conjoint du garde des Sceaux et du ministre chargé des universités.
Le 8° de l’article premier de l’arrêté du 25 novembre 1998, pris en application de cette loi, prévoit un mécanisme d’équivalence particulièrement favorable : tout titre ou diplôme universitaire étranger exigé pour accéder à une profession juridique réglementée dans l’État où ce titre a été délivré est reconnu comme équivalent à la maîtrise en droit pour l’exercice de la profession d’avocat en France.
Cette disposition crée donc un système d’équivalence automatique fondé sur la reconnaissance fonctionnelle du diplôme dans son pays d’origine, plutôt que sur une comparaison détaillée des contenus de formation ou des niveaux académiques.
La validation du principe de différence de traitement
L’université défenderesse avait soulevé une exception d’illégalité et d’inconstitutionnalité des dispositions de l’arrêté de 1998, arguant qu’elles créaient un régime plus favorable pour les étudiants étrangers que pour les étudiants nationaux, en violation des principes d’égalité devant la loi et d’égalité d’accès au service public.
Le tribunal rejette cet argument au terme d’une analyse particulièrement intéressante du principe d’égalité. Il rappelle d’abord que ce principe ne s’oppose pas à ce que l’autorité réglementaire règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que la différence de traitement soit en rapport avec l’objet de la norme et ne soit pas manifestement disproportionnée.
Le tribunal estime que le pouvoir réglementaire, dans l’exercice du pouvoir d’appréciation que lui a conféré le législateur, a légitimement cherché à diversifier les modes d’accès à la profession d’avocat en dressant une liste de différents titres reconnus comme équivalents à la maîtrise en droit. La différence de traitement entre étudiants étrangers et étudiants français n’apparaît pas manifestement disproportionnée, notamment parce que tous les candidats sont ensuite soumis aux mêmes épreuves de l’examen d’entrée au centre régional de formation professionnelle.
Cette solution consacre une approche pragmatique : si les conditions d’accès peuvent différer, l’égalité est restaurée au stade de l’examen lui-même, qui constitue le véritable filtre de sélection.
L’application au cas d’espèce
S’agissant de la situation du requérant, le tribunal examine la législation camerounaise pour déterminer si le diplôme présenté permet effectivement d’accéder à la profession d’avocat au Cameroun. L’article 5 de la loi camerounaise du 19 décembre 1990 exige que tout candidat à la profession d’avocat soit titulaire de la licence en droit et produise le certificat d’aptitude à la profession d’avocat.
Le tribunal constate que le requérant justifie d’une licence en droit délivrée en 2010, qui constitue le diplôme nécessaire pour se présenter à l’examen permettant d’obtenir le certificat d’aptitude à la profession d’avocat au Cameroun. Cette licence remplit donc la condition posée par l’arrêté du 25 novembre 1998 et peut être regardée comme équivalente à la maîtrise en droit française, permettant au candidat de se présenter à l’examen d’accès au centre régional de formation.
Le tribunal précise de manière importante que ni la loi de 1971 ni l’arrêté de 1998 n’imposent de communiquer une attestation d’équivalence délivrée par les autorités camerounaises ou l’original du diplôme de master. Cette clarification est essentielle car elle évite d’ajouter des conditions non prévues par les textes et qui pourraient constituer des obstacles injustifiés à l’accès à la formation.
Le rejet de la substitution de motifs
En défense, l’université tentait d’obtenir une substitution de motifs en invoquant l’absence de production de documents complémentaires. Le tribunal refuse cette substitution, rappelant que les textes n’imposent pas la communication de ces pièces. Cette position témoigne d’une interprétation stricte des conditions d’accès, qui ne peuvent être alourdies par l’administration au-delà de ce que prévoient les dispositions applicables.
Cette décision du Tribunal administratif de Pau constitue une contribution utile à la sécurisation juridique de l’accès à la profession d’avocat pour les étudiants titulaires de diplômes étrangers, en clarifiant les conditions de reconnaissance des qualifications et en validant le principe d’une diversification contrôlée des voies d’accès à cette profession réglementée.
TA Pau, 1re ch., 19 oct. 2023, n° 2202578.