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Annulation de l’opposition du préfet à l’ouverture d’une école hors contrat

Le jugement rendu par le tribunal administratif de Montpellier le 6 octobre 2023 illustre les limites du pouvoir d’opposition de l’administration face à la déclaration d’ouverture d’un établissement scolaire privé hors contrat. Cette décision rappelle avec fermeté que la liberté d’enseignement demeure le principe, l’opposition de l’autorité administrative constituant l’exception, strictement encadrée par la loi.

Le régime déclaratif des écoles hors contrat

L’affaire trouve son origine dans la déclaration faite le 14 mai 2021 par l’association ADL School auprès du recteur de l’académie de Montpellier en vue d’ouvrir un établissement d’enseignement primaire privé hors contrat dénommé « groupe scolaire Lamartine ». Par arrêté du 3 septembre 2021, le préfet de l’Hérault s’oppose à cette ouverture en invoquant des défauts dans les statuts de l’association qui ne lui auraient pas permis d’identifier les membres fondateurs et d’apprécier leur moralité.

Le tribunal commence par rappeler le cadre juridique applicable, en citant l’article L. 441-1 du code de l’éducation dans sa version alors en vigueur. Ce texte institue un régime de déclaration pour la création d’établissements scolaires privés, régime qui se caractérise par une logique de liberté. Toute personne remplissant les conditions de capacité et de nationalité peut ouvrir un tel établissement à condition d’en déclarer son intention à l’autorité compétente, qui dispose ensuite d’un délai de trois mois pour former opposition.

Cette liberté n’est cependant pas absolue. L’article L. 441-1 énumère limitativement quatre motifs permettant à l’autorité compétente de s’opposer à l’ouverture : l’intérêt de l’ordre public ou la protection de l’enfance et de la jeunesse, le non-respect des conditions de capacité et de nationalité par la personne qui ouvre l’établissement, le non-respect de ces mêmes conditions par le futur directeur, ou enfin le fait que le projet n’aurait pas le caractère d’un établissement scolaire ou technique.

L’erreur de fait du préfet

Le tribunal procède à un contrôle rigoureux de la décision préfectorale et relève qu’elle est entachée d’erreurs de fait. Le préfet avait estimé que les statuts de l’association présentaient des défauts ne lui permettant pas d’identifier les membres fondateurs et d’apprécier leur moralité, ainsi que de vérifier la réalité de l’existence d’un bureau.

Or, le tribunal constate que l’association, dont la déclaration avait été enregistrée en préfecture en avril 2021, a produit à l’appui de son recours gracieux l’ensemble des pièces permettant de lever ces prétendues incertitudes. Le procès-verbal de l’assemblée générale constitutive présente clairement les trois membres fondateurs avec leurs fonctions respectives, leurs pièces d’identité ainsi que les extraits de leurs casiers judiciaires, qui ne comportaient aucune condamnation. Le tribunal relève en outre que les statuts avaient été signés par deux des membres de l’association.

Cette constatation est décisive : elle révèle que les éléments sur lesquels le préfet fondait son opposition étaient en réalité disponibles ou pouvaient l’être facilement. L’administration ne pouvait donc légitimement invoquer l’absence de ces informations pour s’opposer à l’ouverture de l’établissement.

Le caractère limitatif des motifs d’opposition

Au-delà de l’erreur de fait, le tribunal souligne un aspect fondamental : les motifs invoqués par le préfet ne figurent pas au nombre de ceux limitativement énumérés à l’article L. 441-1 du code de l’éducation. Cette précision mérite qu’on s’y attarde. L’autorité administrative ne peut s’opposer à l’ouverture d’une école hors contrat que pour l’un des quatre motifs expressément prévus par la loi.

En l’espèce, les prétendus défauts des statuts de l’association ne relevaient d’aucun de ces motifs légaux. Ils ne concernaient ni l’ordre public ni la protection de l’enfance, ni les conditions de capacité ou de nationalité des personnes impliquées, ni le caractère scolaire du projet. L’administration a donc excédé ses pouvoirs en fondant son opposition sur des considérations qui, aussi légitimes puissent-elles paraître d’un point de vue administratif, n’entraient pas dans le cadre légal d’intervention.

Cette approche du tribunal témoigne d’une volonté de protéger la liberté d’enseignement contre des contrôles administratifs qui, sous couvert de vérifications formelles, pourraient devenir des obstacles injustifiés à l’exercice de cette liberté. Le caractère limitatif de l’énumération légale des motifs d’opposition n’est pas une simple formalité mais constitue une garantie essentielle.

L’absence de défense de l’État

Un élément procédural vient renforcer la position de l’association requérante. Malgré une mise en demeure qui lui a été adressée le 20 juillet 2022, le préfet de l’Hérault n’a produit aucun mémoire en défense. Le tribunal applique alors l’article R. 612-6 du code de justice administrative qui dispose qu’en l’absence de production de mémoire malgré la mise en demeure, la partie défenderesse est réputée avoir acquiescé aux faits exposés par le requérant.

Cette carence dans la défense de l’État est d’autant plus surprenante qu’elle intervient dans un contentieux où l’administration aurait pu, si elle l’avait souhaité, préciser les motifs de son opposition et éventuellement les rattacher aux cas légaux d’opposition. Cette absence totale de défense conduit le tribunal à accueillir également le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 441-1 du code de l’éducation.

Les enseignements de la décision

Ce jugement délivre plusieurs messages aux porteurs de projets d’écoles hors contrat et aux administrations compétentes. Il rappelle d’abord que la liberté d’enseignement, principe constitutionnellement protégé, se traduit concrètement par un régime déclaratif souple, où l’opposition administrative demeure l’exception.

La décision souligne ensuite que les motifs d’opposition sont limitativement énumérés par la loi et doivent être strictement respectés. L’administration ne peut inventer de nouveaux motifs, aussi raisonnables puissent-ils paraître, pour s’opposer à l’ouverture d’un établissement. Cette rigueur dans l’application de la loi protège les porteurs de projets contre l’arbitraire.

Enfin, le jugement illustre l’importance pour l’administration de vérifier scrupuleusement les faits avant de prendre une décision d’opposition. Les éléments que le préfet affirmait manquants étaient en réalité disponibles, ce qui a conduit à la censure de sa décision. Cette leçon vaut pour toutes les autorités susceptibles de former opposition : préfet, recteur, maire ou procureur de la République doivent s’assurer de la réalité et de la pertinence des motifs invoqués avant d’entraver l’exercice de la liberté d’enseignement.

 

TA Montpellier, 3e ch., 6 oct. 2023, n° 2105866.