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Annulation de la sanction disciplinaire pour l’étudiant relaxé par le juge pénal

Le Tribunal administratif de Bordeaux a rendu le 14 décembre 2023 une décision particulièrement instructive sur les exigences probatoires en matière de procédure disciplinaire universitaire, notamment lorsque celle-ci intervient parallèlement à une procédure pénale.

Les faits et la procédure

L’affaire concernait un étudiant en sixième année de médecine sanctionné par la section disciplinaire de l’université de Bordeaux pour avoir prétendument adopté un comportement qualifié de « nuisible et pernicieux » envers une étudiante. Les faits reprochés remontaient à une soirée étudiante organisée en février 2019 par l’association « Les Carabins de Bordeaux ». Une étudiante avait relaté lors d’un entretien avec la cellule de veille contre le harcèlement de l’université en décembre 2020 avoir été victime d’un viol lors de cette soirée.

Sur la base de ce signalement, l’université avait engagé une procédure disciplinaire qui aboutit, le 26 novembre 2021, à une sanction de niveau 3 : une mesure de responsabilisation consistant en 32 heures de formation au centre hospitalier Charles Perrens sur la prise en charge des victimes de violences sexuelles et le stress post-traumatique.

La question de la recevabilité

Le tribunal a d’abord dû se prononcer sur la recevabilité du recours. L’université soutenait que la sanction ayant été entièrement exécutée, elle ne faisait plus grief au requérant. Le tribunal écarte cet argument en relevant deux éléments essentiels : d’une part, la décision n’avait été ni retirée ni abrogée postérieurement à l’introduction du recours ; d’autre part, malgré son exécution, la sanction demeurait inscrite au dossier de l’étudiant pendant trois ans. Cette inscription constituait un grief suffisant pour maintenir l’intérêt à agir.

Cette analyse pragmatique du tribunal reconnaît qu’une sanction disciplinaire, même exécutée, continue de produire des effets juridiques défavorables pour l’étudiant concerné, notamment en termes de réputation et de parcours universitaire.

L’articulation entre procédures pénale et disciplinaire

Le cœur du raisonnement juridique porte sur l’articulation entre les procédures pénale et administrative. Le tribunal rappelle un principe bien établi : si les faits constatés par le juge pénal dans un jugement de condamnation ayant force de chose jugée s’imposent à l’administration, il n’en va pas de même pour les motifs d’un jugement de relaxe ou, comme en l’espèce, d’un classement sans suite.

Dans ces hypothèses, l’autorité administrative conserve en principe sa liberté d’appréciation pour déterminer si les faits sont suffisamment établis et s’ils justifient une sanction. Cette autonomie des procédures trouve sa justification dans la différence de finalités et de régimes probatoires entre le pénal et l’administratif.

L’exigence probatoire en matière disciplinaire

Toutefois, le tribunal opère ici un contrôle particulièrement rigoureux de l’établissement des faits. Face à une plainte pénale classée sans suite, le tribunal considère que le témoignage de l’étudiante, fût-il circonstancié et accompagné d’éléments comme des photographies attestant d’une perte de poids ou la mention d’un suivi psychiatrique, ne suffit pas à établir la matérialité des faits reprochés en l’absence d’autres éléments matériels de corroboration.

Le tribunal souligne que l’étudiant mise en cause ne niait pas avoir embrassé la plaignante mais contestait les faits d’agression, indiquant avoir eu un rapport avec une autre personne ce soir-là. Dans ce contexte, le tribunal juge que la seule production du témoignage de l’étudiante, « non corroboré par d’autre élément matériel », ne permet pas de remettre en cause la conclusion implicite du classement sans suite.

Cette position peut sembler exigeante, d’autant que le tribunal reconnaît lui-même les éléments fournis par la plaignante : récit circonstancié, témoignages de tiers sur son état consécutif aux faits, suivi médical, preuves photographiques. Néanmoins, le juge administratif estime que ces éléments, aussi convergents soient-ils, ne constituent pas une preuve matérielle suffisante des faits allégués eux-mêmes.

Les implications pratiques

Cette décision illustre la difficulté pour les universités de sanctionner disciplinairement des comportements graves dénoncés par des victimes lorsque la procédure pénale n’aboutit pas. Elle rappelle que l’autonomie des procédures disciplinaire et pénale a ses limites et que le juge administratif exerce un contrôle substantiel sur la réalité des faits reprochés.

Pour les établissements d’enseignement supérieur, cette jurisprudence impose de constituer un dossier probant avant d’engager une procédure disciplinaire, particulièrement lorsque les faits ont fait l’objet d’un classement sans suite. Le seul témoignage de la victime, même étayé par des éléments indirects, apparaît insuffisant aux yeux du juge.

Cette exigence, si elle protège les droits de la défense, soulève néanmoins des interrogations sur la capacité des établissements à répondre efficacement aux situations de violences sexuelles et sexistes, souvent caractérisées par l’absence de témoins directs et la difficulté d’apporter des preuves matérielles formelles.

TA Bordeaux, 3e ch., 14 déc. 2023, n° 2200384.