Le tribunal administratif de Paris, dans un jugement du 9 juillet 2025, rappelle avec fermeté les règles de compétence et de procédure qui encadrent l’admission des étudiants en première année de master. Cette décision, rendue à la suite d’une initiative de l’université Paris-Panthéon-Assas, met en lumière les tensions entre l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur et le respect du cadre légal national, tout en soulignant l’importance de la répartition des compétences entre les organes universitaires.
Le contexte factuel mérite d’être rappelé. Pour l’année universitaire 2023-2024, l’université Paris-Panthéon-Assas a été confrontée à un afflux considérable de candidatures, avec plus de 40 000 dossiers déposés pour seulement 1 761 places disponibles en première année de master. Face à ce défi organisationnel et estimant que la plateforme nationale Mon Master présentait des lacunes dans son paramétrage, le président de l’université a décidé de créer un outil applicatif distinct. Par des courriels envoyés le 24 avril 2023, soit après la clôture de la phase de dépôt des candidatures, les candidats ont été invités à classer par ordre de préférence quatre parcours de master proposés par l’établissement, en utilisant cette plateforme alternative.
Cette initiative a immédiatement suscité la controverse et conduit deux associations étudiantes à saisir la juridiction administrative. Le tribunal devait ainsi se prononcer sur la légalité d’une décision qui, sous couvert d’améliorer l’efficacité du traitement des dossiers, modifiait substantiellement les modalités d’examen des candidatures.
Le premier grief soulevé par les associations requérantes concernait l’incompétence du président de l’université. Le tribunal a rappelé le principe fondamental selon lequel, au sein des universités, il appartient au conseil d’administration de fixer les capacités d’accueil et les modalités de sélection pour l’accès à la première année du deuxième cycle. Si le législateur n’impose pas au conseil d’administration de préciser tous les éléments d’appréciation selon lesquels les mérites des candidats seront examinés, il lui est toutefois loisible d’y procéder. Dans ce cas, l’établissement doit procéder aux formalités adéquates de publicité, permettant aux usagers du service public de l’enseignement supérieur d’en prendre connaissance.
L’université soutenait que le président s’était borné à exécuter la délibération du conseil d’administration du 14 décembre 2022, qui avait défini les capacités d’accueil et les critères d’appréciation des candidatures. Le tribunal a rejeté cette argumentation avec une rigueur remarquable. Il a constaté que les éléments d’appréciation précisés par cette délibération, dont les étudiants avaient effectivement pu prendre connaissance, ne comprenaient aucune mention d’un classement préférentiel entre parcours de formation. Pour certaines formations, les critères se limitaient même aux résultats académiques et à l’intérêt des expériences extérieures à l’université, sans aucune référence à une quelconque hiérarchisation des vœux.
Cette analyse conduit le tribunal à une conclusion sans appel : en décidant de solliciter l’expression d’une préférence entre parcours, le président ne peut être regardé comme s’étant borné à exécuter la délibération du conseil d’administration. Il a en réalité ajouté un nouveau critère d’examen des candidatures, empiétant ainsi sur les compétences du conseil d’administration. Cette position jurisprudentielle revêt une importance considérable car elle établit une ligne de démarcation claire entre l’exécution des délibérations, qui relève du président, et la définition des modalités de sélection, qui appartient au conseil d’administration.
Le deuxième motif d’annulation porte sur le non-respect de la procédure dématérialisée. Le tribunal rappelle que le processus de recrutement en première année de master était organisé au moyen d’une procédure dématérialisée gérée par la plateforme Mon Master. Cette plateforme, mise en œuvre par arrêté ministériel, prévoyait notamment le recueil de données relatives aux candidatures, à la motivation et aux informations complémentaires éventuellement sollicitées. Si les établissements disposent d’une certaine autonomie dans la phase d’examen des candidatures, celle-ci s’inscrit néanmoins dans le cadre de la procédure dématérialisée nationale.
En organisant un recueil de données sur une plateforme tierce, l’université a méconnu les dispositions réglementaires applicables. Cette violation procédurale n’est pas anodine : elle porte atteinte à l’unité et à la cohérence du système national de recrutement en master, qui repose précisément sur l’utilisation d’une plateforme unique garantissant transparence et égalité de traitement entre tous les candidats et tous les établissements.
Le troisième fondement de l’annulation concerne la nature même du critère mis en œuvre. Le tribunal rappelle que lorsque les établissements fixent une capacité d’accueil et décident que l’admission est subordonnée à l’examen du dossier, les seuls critères applicables doivent tenir aux mérites des candidats. Cette exigence légale fait obstacle à ce que les établissements arrêtent d’autres critères pour l’admission dans leurs formations du deuxième cycle.
L’analyse du tribunal sur ce point est particulièrement instructive. Le classement préférentiel sollicité consistait en une mise en comparaison de quatre parcours, et non en un simple recueil d’information propre à un dossier individuel. Les étudiants n’avaient pas la possibilité de motiver leur classement, et celui-ci ne concernait que les parcours de l’université Paris-Panthéon-Assas, même pour les candidats n’ayant formulé qu’un seul vœu dans cet établissement. Dans ces conditions, le critère ne pouvait éclairer effectivement l’autorité sur les motivations des candidats et ne tenait donc pas à leurs mérites. Il s’agissait davantage d’un mécanisme de gestion administrative des flux de candidatures que d’un véritable outil d’appréciation des qualités individuelles.
Cette décision présente un intérêt majeur pour l’ensemble de la communauté universitaire. Elle rappelle que l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur, principe constitutionnel, ne s’exerce pas sans limites. Les universités doivent respecter le cadre légal et réglementaire national, particulièrement lorsqu’il s’agit de procédures d’admission qui touchent directement au principe d’égalité d’accès au service public de l’enseignement supérieur.
Pour les établissements, ce jugement constitue un avertissement : toute innovation dans les procédures de sélection doit être juridiquement fondée, validée par l’organe compétent, et conforme aux dispositifs nationaux. L’urgence organisationnelle ou le souci d’efficacité ne sauraient justifier des entorses aux règles de compétence et de procédure.
TA Paris, 1re sect. 9 juilet 2025, n° 2309644