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Refus de titularisation d’un agent stagiaire : l’adéquation entre les fonctions exercées et le cadre d’emplois, condition de légalité

Dans une ordonnance de référé rendue le 18 novembre 2025, le Tribunal administratif d’Orléans apporte un éclairage essentiel sur les conditions dans lesquelles un refus de titularisation d’un fonctionnaire stagiaire peut être légalement prononcé. Cette décision rappelle un principe fondamental : un agent ne peut être évalué, et donc refusé à la titularisation, que sur la base de fonctions correspondant effectivement au cadre d’emplois pour lequel il a été recruté.

Les circonstances de l’affaire

L’espèce concernait une agente nommée en qualité d’adjoint technique territorial à compter du 1er septembre 2024 au sein de la commune de Vignoux-sur-Barangeon. Durant son stage d’un an, elle a été affectée au service multi-accueil et a continué à exercer les fonctions qu’elle accomplissait auparavant en tant qu’auxiliaire de puériculture depuis février 2024. Cette situation ressortait clairement de plusieurs documents : sa fiche de poste intitulée « Auxiliaire de puériculture en fonction d’adjointe » mise à jour au 1er septembre 2024, précisant qu’elle devait veiller à la sécurité physique et affective des enfants accueillis, ainsi que les comptes-rendus de ses entretiens professionnels de décembre 2024 et avril 2025.

Saisi pour avis, la commission administrative paritaire a rendu un avis défavorable au refus de titularisation le 6 octobre 2025, motivé précisément par le fait que l’agente avait accompli des fonctions d’auxiliaire de puériculture ne correspondant ni à son grade ni à son cadre d’emplois. Malgré cet avis, le maire a maintenu sa décision et a refusé de titulariser l’intéressée par arrêté du 24 octobre 2025.

Le cadre juridique de la titularisation des agents stagiaires

Le juge des référés rappelle utilement le régime juridique applicable aux fonctionnaires stagiaires. Selon le décret du 4 novembre 1992, la durée normale du stage est fixée à un an et peut être prorogée d’une période équivalente si les aptitudes professionnelles ne sont pas jugées suffisantes. Le statut particulier du cadre d’emplois des adjoints techniques territoriaux, fixé par le décret du 22 décembre 2006, définit précisément les missions de ces agents de catégorie C : tâches techniques d’exécution dans divers domaines comme le bâtiment, les travaux publics, la voirie, les espaces verts, la restauration ou encore la logistique.

Le tribunal souligne qu’un agent public stagiaire se trouve dans une situation probatoire et provisoire. La décision de ne pas le titulariser repose sur l’appréciation de son aptitude à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé et, plus généralement, sur sa manière de servir. Cette décision est donc prise en considération de la personne de l’agent.

Les conditions de légalité d’un refus de titularisation

L’ordonnance énonce un principe cardinal : l’autorité compétente ne peut légalement prendre une décision de refus de titularisation que si les faits retenus caractérisent des insuffisances dans l’exercice des fonctions et la manière de servir de l’intéressé. Le juge précise que même si certains faits seraient susceptibles de constituer des fautes disciplinaires, cela ne fait pas obstacle à un refus de titularisation, à condition que l’agent ait pu présenter ses observations.

Surtout, et c’est là l’enseignement majeur de cette décision, un fonctionnaire stagiaire ne peut faire l’objet d’un refus de titularisation pour insuffisance professionnelle que si sa manière de servir ne donne pas satisfaction à l’issue d’un stage au cours duquel il doit avoir été mis à même d’exercer les fonctions relevant du corps ou de la catégorie d’emplois au titre de laquelle il a été nommé.

L’analyse du juge des référés

Sur la condition d’urgence, le tribunal applique une jurisprudence constante : une mesure privant un agent public de la totalité de sa rémunération doit, dès lors que cette privation excède un mois, être regardée comme portant une atteinte grave et immédiate à sa situation. La commune n’ayant produit aucun mémoire en défense et n’étant ni présente ni représentée à l’audience, elle n’a pu justifier de circonstances particulières de nature à écarter cette présomption d’urgence.

Sur l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision, le juge retient un moyen particulièrement pertinent : le refus serait entaché d’une erreur manifeste d’appréciation dès lors que l’insuffisance professionnelle a été appréciée au regard de fonctions qui ne concernaient pas le cadre d’emplois de l’agent. En effet, il ressortait de l’ensemble des pièces du dossier que l’agente avait exercé durant son stage des fonctions d’auxiliaire de puériculture, profession relevant d’un cadre d’emplois de catégorie B selon le décret du 29 décembre 2021, alors qu’elle avait été recrutée comme adjoint technique territorial, cadre d’emplois de catégorie C aux missions radicalement différentes.

Cette discordance entre les fonctions effectivement exercées et celles correspondant au grade pour lequel l’agent a été recruté crée un doute sérieux sur la légalité du refus de titularisation. Comment en effet apprécier valablement les aptitudes professionnelles d’un agent à exercer les missions d’adjoint technique s’il n’a jamais été mis en situation de les accomplir durant son stage ?

La portée de cette décision

Cette ordonnance rappelle aux collectivités territoriales une exigence fondamentale : la période de stage doit permettre d’évaluer réellement les capacités de l’agent à exercer les fonctions du cadre d’emplois pour lequel il a été recruté. Confier à un stagiaire des missions relevant d’un autre cadre d’emplois, fût-ce dans l’intérêt du service, ne saurait ensuite justifier un refus de titularisation fondé sur une prétendue insuffisance professionnelle.

Cette situation pose également la question de la responsabilité de l’employeur public dans l’organisation du stage. En l’espèce, la collectivité avait formellement reconnu la nature des fonctions exercées en créant une fiche de poste intitulée « Auxiliaire de puériculture en fonction d’adjointe ». Cette mention, pour le moins ambiguë, révélait une confusion assumée entre deux cadres d’emplois distincts.

Le juge des référés a donc suspendu l’exécution de l’arrêté de refus de titularisation, permettant ainsi à l’agente de retrouver provisoirement ses fonctions et sa rémunération dans l’attente du jugement au fond. Il a en revanche rejeté ses conclusions tendant à obtenir une indemnité journalière pour le préjudice subi, rappelant que de telles condamnations excèdent l’office du juge des référés qui ne peut prononcer que des mesures provisoires.

Cette jurisprudence devrait inciter les employeurs publics à une plus grande rigueur dans l’organisation des stages des fonctionnaires stagiaires, en veillant à ce que les missions confiées correspondent effectivement au cadre d’emplois de recrutement, condition indispensable d’une évaluation loyale et légale des aptitudes professionnelles.