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L’obligation de motivation des décisions de retrait d’autorisation de travail à temps partiel : une exigence stricte confirmée par le tribunal administratif de Caen

Dans un jugement rendu le 25 septembre 2024, le tribunal administratif de Caen rappelle avec fermeté l’importance de l’obligation de motivation des décisions administratives défavorables, même lorsque l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation étendu. Cette décision illustre parfaitement la tension qui peut exister entre les nécessités du service public et le respect des garanties procédurales accordées aux agents publics.

L’affaire concernait un professeur certifié de sciences physiques qui s’était vu accorder par la rectrice de l’académie de Normandie, le 1er février 2021, une autorisation d’exercer à temps partiel à hauteur de 80% pour l’année scolaire 2021-2022. Quelques mois plus tard, le 23 août 2021, soit quelques jours avant la rentrée scolaire, cette autorisation était abrogée par un nouvel arrêté prenant effet au 1er septembre suivant. Confronté à cette décision qui remettait en cause l’organisation de sa vie professionnelle et personnelle, l’agent a contesté la légalité de l’abrogation devant la juridiction administrative.

Le tribunal a accueilli favorablement sa demande d’annulation en se fondant exclusivement sur un vice de forme substantiel. L’arrêté du 23 août 2021 ne comportait en effet aucune motivation. Il ne mentionnait ni considération de fait, ni référence textuelle, ni explication quelconque permettant à l’intéressé de comprendre les raisons qui avaient conduit l’administration à revenir sur sa décision initiale. Cette absence totale de motivation constitue une violation manifeste des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l’administration.

Le tribunal a rejeté l’argument de l’administration selon lequel les motifs de la décision auraient été explicités oralement lors de plusieurs échanges avec les services concernés. Cette position jurisprudentielle est parfaitement cohérente avec les principes fondamentaux du droit administratif. L’exigence d’une motivation écrite ne constitue pas une simple formalité mais représente une garantie essentielle pour l’agent concerné. Elle lui permet de comprendre les raisons de la décision, d’en apprécier le bien-fondé et, le cas échéant, d’exercer utilement les voies de recours qui lui sont ouvertes. Des explications orales, aussi détaillées soient-elles, ne sauraient satisfaire à cette exigence légale.

Au-delà de cette annulation pour vice de forme, le jugement présente un intérêt particulier dans son traitement des conclusions indemnitaires. L’agent réclamait une somme de 15 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l’illégalité de la décision. Le tribunal a appliqué une jurisprudence constante selon laquelle l’illégalité d’une décision administrative n’engage la responsabilité de l’administration que si, dans le cadre d’une procédure régulière, la même décision n’aurait pas pu légalement être prise. Cette approche conduit le juge à examiner au fond la légalité de l’abrogation en faisant abstraction du vice de forme constaté.

Sur ce point, le tribunal a considéré que l’abrogation aurait pu légalement intervenir. Il rappelle d’abord que l’autorisation de travail à temps partiel constitue une décision créatrice de droits dont le maintien est subordonné à une condition : que les nécessités du fonctionnement du service permettent effectivement la réduction du temps de travail de l’agent. Conformément à l’article L. 242-2 du code des relations entre le public et l’administration, une telle décision peut être abrogée sans condition de délai lorsque cette condition n’est plus remplie.

En l’espèce, l’administration justifiait l’abrogation par des éléments postérieurs à l’autorisation initiale, tenant à la fixation définitive des services des enseignants et aux contraintes organisationnelles de l’établissement d’affectation ainsi que de deux autres établissements voisins. Le tribunal a jugé que ces éléments constituaient des nécessités de service suffisantes pour justifier légalement l’abrogation de l’autorisation, dès lors qu’elles étaient apparues postérieurement à la décision initiale.

Cette analyse conduit à un résultat paradoxal mais juridiquement cohérent. D’un côté, la décision est annulée pour défaut de motivation, ce qui entraîne des conséquences importantes sur le plan statutaire. Le tribunal enjoint ainsi à la rectrice de tirer toutes les conséquences de cette annulation sur les droits de l’agent, notamment en termes de rémunération, pour la période du 1er septembre 2021 au 31 août 2022. L’agent doit être considéré comme ayant légalement exercé à temps partiel pendant toute cette période. D’un autre côté, les conclusions indemnitaires sont rejetées au motif que les préjudices invoqués résultent de l’application même des règles statutaires et non du vice de forme ayant entaché la décision.

Ce jugement délivre plusieurs enseignements pratiques pour les administrations et leurs agents. Pour les administrations, il confirme que le pouvoir d’abroger une autorisation de temps partiel pour des motifs tenant aux nécessités du service existe bel et bien, même au-delà du délai de quatre mois normalement applicable au retrait des décisions créatrices de droits. Cependant, ce pouvoir doit impérativement s’exercer dans le respect des formes légales. La motivation écrite n’est pas une simple contrainte bureaucratique mais une obligation substantielle dont le non-respect entraîne l’annulation de la décision et peut engendrer des complications administratives et financières importantes.

Pour les agents publics, cette décision rappelle que les garanties procédurales constituent de véritables armes juridiques, même lorsque le fond de la décision contestée pourrait être justifié. Elle illustre également les limites de la réparation indemnitaire lorsque l’illégalité constatée est purement formelle et que la décision aurait pu être légalement prise dans le cadre d’une procédure régulière.

Tribunal Administratif de Caen  25 septembre 2024 n°2102636